Elle perçut son aura avant d’entendre sa voix éclatant depuis une chambre. La Troisième siège se posta à l’embrassure et le vit, serrant entre ses doigts la main d’un presque mort. Ce spectacle lui fit curieux effet, puisqu’elle s’imagina assister à une scène de théâtre, et être la spectatrice privilégiée de cette bizarre mascarade. Himesaki bondit hors de la chambre l’instant suivant, sans la voir, ou que du coin de l’œil pour l’oublier ensuite. Elle le regarda partir, son Haori flottant derrière lui, ainsi qu’un parfum lourd et âcre. Asuna huma l’air, profondément. Une odeur de sang qui la fit sourire.
Elle suivit la piste du Capitaine, tant par cette senteur de grondante colère que par l’énergie qu’il laissait. Calmement, la jeune femme s’aventura au dehors de la division. Elle dédaigna les dossiers qu’elle tenait, et les posa sur un banc, sans plus s’en préoccuper. Dans un geste de coquetterie inattendue, Asuna fit passer une de ses mèches derrière son oreille. L’instant d’après, elle disparut d’un Shunpo.

La Troisième Siège le traqua, comme il l’avait lui-même traqué autrefois. Cette inversion des rôles l’emplit d’une joie paisible. Elle n’avait aucune idée de ses propres intentions, ni sur pourquoi elle agissait ainsi. Un sentiment curieux l’avait prise, et c’est pour le faire taire que la jeune femme pistait à présent son « agresseur ». Rien de plus ni de moins que la volonté de tourner une page, d’apporter une conclusion à un dossier trop longtemps resté ouvert. Les Nuées s’agitèrent entre les tempes d’Asuna, contentes, gorgées d’espérances.

Un toit se rua sous ses pieds, sur lequel elle se posa. Là, tout près, l’énergie du Capitaine avait explosé. Bien que toujours dense, Asuna ne la craignait plus. Elle marcha le long des tuiles avec aisance, tout en s’échappant de l’attention de ceux qui auraient pu la voir, là-haut. Si leur regard pouvait capter la Shinigami, ce serait toujours en glissant par-dessus, sans y prêter garde. Elle se posta près du bord, les bras croisés dans le dos. Une autre scène se joua sous ses yeux, plus sanglante que la précédente : l’Himesaki avait laissé choir son masque de bienveillance pour se recouvrir de son plus noir aspect. Il déchirait la chair de sa lame, la lacerait, le sourire aux lèvres. Entre les cris de ceux tombant sous les coups, Asuna eut l’impression d’entendre les rires de leur bourreau. Du haut de son observatoire, elle assista au massacre, mais sans le regarder vraiment. Elle portait son regard au-delà des actes, sur la nature même de celui qui les accomplissait.
La Shinigami se souvenait de lui, la traitant de monstre. Mais jamais, ô grand jamais, elle n’avait perpétré avec une telle allégresse un carnage similaire. Il avait voulu projeter sur la jeune femme son propre reflet. Rien de plus. De nouveau, elle sourit, en paix avec elle-même.

Tout en maintenant son camouflage, elle glissa jusqu’au sol. Elle se tint à coté des corps en morceaux, ne leur accordant qu’un bref coup d’œil, et s’avança vers l’arbre contre lequel la bête, repue de sang, se reposait à présent. À quelques mètres, Asuna s’immobilisa. L’illusion autour de son corps se dissipa sans bruit ni effet. La jeune femme apparut alors, droite, raide, et la mine impassible comme à son habitude. Son regard, pourtant, brillait d’un tout nouvel éclat.

« Je sais.

Elle avait murmurée sa première réponse, sans esquisser le moindre geste de recul. Son regard ne quitta l’Himesaki, ni ne cilla, et il ne se révéla aucune peur dans ses prunelles. Mais un guerrier tel que le Capitaine n’aurait pas manqué de saisir ce mouvement furtif qu’elle avait eu vers la garde de son arme.

- Je ne prends pas la chose à la légère. Bien que vous m’ayez habituée à plus de mots que d’actes. Je me montrerai plus combative que ceux-ci, dit-elle en désignant les corps déchiquetés. Mais ce n’est pas pour me battre que je suis ici. »

La fureur devrait attendre. Ces petites piques étaient lancées sans grande conviction. Asuna ne souhaitait aucune réaction. Et à vrai dire, tant qu’elle pourrait énoncer son propos, l’égo du Capitaine ne lui était présentement rien :

« Je viens pour parler. Et pour en finir avec tout ceci. Avant votre départ de la Quatrième, je me tenais à un mètre de vous, à peine, et vous ne m’avez pas vu. Tout comme vous ne voyez pas les évidences sous votre nez.

Un voile se déposa sur son visage et donna à ses traits un semblant d’expression. Elle posa sur Tôjô un regard où se lit une espèce de déception amère.

- Un instant, j’ai pensé que… Peut-être…, elle se tut pour ne plus songer à ces espérances folles, à présent brisées. Je me suis trompée. Ses yeux clairs coulèrent leur attention jusqu’au carnage ; ni la vue du sang mousseux, des trippes écloses sur la chair, ou des os brisés ne les émurent.
Je me souviens de votre volonté à nous lier par des points communs. De votre fierté à ça. Un instant, je vous ai cru, et avoir réellement rencontré un être qui pourrait être mon pendant. J’ai uniquement calqué mon propre reflet sur votre personne.
Ce que je vois là n’est l’œuvre d’un homme, elle montra du doigt le massacre, ni plus, ni moins. Qui tient plus de la bête, et avec quelques talents de comédie. Mais un homme du commun, malgré tout. Un criminel au regard de la société. Mais ce que j’ai voulu y voir ? Non. Un simple boucher, esclave de ses besoins. »

Sa main vint presser son autre bras tandis que sa silhouette s’affaissa, si bien que cette révélation parut la vider entièrement de ses forces. Ainsi éperdue, la jeune femme se dévoila plus fragile que jamais. Elle fixa le sol, misérable, et ses cheveux dégoulinant sur ses joues accentuèrent l’effet.

« Je vous ai surestimé trop longtemps. C’est fini. Je sais ce que vous êtes. Comme eux, là, ces cadavres. À la différence que vous bougez encore. L’énergie lui revint soudainement, elle fit volte face, et s’éloigna. Je ne consacrerai plus mes efforts à vous, je vous laisserai en paix, à présent. Je sais votre nature. Un enfant avec un canif. Je n’ai que faire des enfants. »

Elle bondit sur le toit sans plus se retourner, et s’éclipsa. Au-delà de cette triste cour, de ce quartier en ruines, des rues, des gens, au-delà de tout. Plus loin, toujours, où on ne la trouverait, où les masques n’importaient plus. Quand enfin, fut-elle seule, Asuna se débarrassa de sa déception et ses rêves déçus aussi facilement que des guenilles souillées.
Son impassibilité laissa place à une douceur inattendue tandis que s’épanouit sur ses lèvres un sourire. Cette interminable attente cesserait bientôt, et avec elle les œillades jetées derrière l’épaule, les craintes nocturnes, et la paranoïa constante. À présent, Asuna escomptait que l’orgueil d’Himesaki l’emporterait sur sa patience, pour le forcer à agir, sottement si possible. C’est satisfaite qu’elle regagna la Quatrième et tous ses maudits dossiers. Toutefois, les piles interminables ne parvinrent à entamer son humeur. Bientôt, elle s’y préparait, heureuse, à récolter le fruit de son calcul.