Citation :

Comme le titre l'indique, seuls les Espadas sont invités à participer à cette réunion.

Une fois n'est pas coutume, Dark fut le premier sur les lieux. Cela aurait au moins le mérite de légitimer sa place de Primera Espada. Il n'était pas dans ses habitudes de se précipiter lorsque Grimmjow convoquait ses Épées, ne fut-ce que pour minimiser l'impression d'être un chien que celui-ci n'avait qu'à siffler quand l'envie lui en prenait. Mais s'il pouvait à l'accoutumée justifier son retard par le temps qu'avait mis l'intermédiaire à le trouver - excuse plausible étant donné sa fâcheuse manie à errer toujours plus loin dans le désert, nul messager n'en étant revenu pour affirmer le contraire – ce n'était cette fois pas une option puisqu'il se trouvait à l'intérieur du palais, occupé à changer ses bandages. Avoir à s'en charger lui était d'ailleurs assez pénible tant les sables du Yermo avaient tendance à les encrasser rapidement, l'astreignant à revenir au palais pour en changer régulièrement.

N'aurait été cet inconvénient, il aurait, comme à son habitude, pu prendre tout son temps pour se manifester. S'il en avait été contrarié au point de ne pas exécuter l'estafette, ce qui aurait de toute façon été sans intérêt sans tuer les soigneurs qui seraient automatiquement devenus témoins de la scène, il ne lui avait pas fallu longtemps pour se persuader que ce n'était pas forcément un mal. C'était après tout la première réunion à laquelle il participerait en tant que numéro un de leur ordre, un jour à marquer d'une pierre blanche. Qu'il soit exceptionnellement dans les temps était de rigueur pour un jour si particulier. Même si attendre que tous aient été bien installés pour lire leurs réactions sur leurs mines déconfites ne lui aurait pas déplu.

Par ailleurs, avec la récente promotion de Borick au poste de chef de l'Exequias, il convenait de ne pas se faire remarquer. Grimmjow n'avait certes pas la clairvoyance de son prédécesseur, mais ce n'était pas non plus une raison pour le mettre sur la voie. Ainsi devait-il tout faire pour paraître irréprochable, si ardu que ce soit pour quelqu'un comme lui. Même si le Roi du Hueco Mundo l'avait à la bonne, il n'était en rien immunisé à ses remontrances et devait s'attendre à ce que sa contre-performance face à Shinjirô lui soit jetée au visage. Cette pensée lui fit serrer le poing, répandant sur le sol quelques gouttes de son sang. Sa blessure aurait amplement eu le temps de cicatriser s'il ne la rouvrait pas à tout bout de champ...

Il ne daigna même pas jeter un regard à ce sillage sanglant et alla choir lourdement sur la chaise qui lui était assignée. Ce faisant, un claquement de doigts signifia aux serviteurs laissés à dispositions aux quatre coins de la pièce de préparer le thé. Un rituel initié par Aizen qui avait perdu de son sens après sa destitution mais que Dark se plaisait à réintroduire parfois lors de ces mêmes réunions. Si dérisoire que ce soit en apparence, les réactions que chacun de ses homologues pouvait avoir face à cette tasse n'étaient en général pas sans révéler l'une ou l'autre bribe de leur personnalité. Beaucoup de nouvelles têtes ayant fait leur apparition depuis quelques temps, modifiant en conséquence le haut du classement, les faire passer par ce test ne pouvait pas être une mauvaise idée.

Dès que les larbins se furent activés, il profita de ce qu'il était encore seul pour se vautrer sur son siège un peu plus confortablement et croiser les bras derrière sa tête dans le but avoué de fermer les yeux quelques secondes. Ses pieds allèrent s'écraser lourdement sur la table en attendant que le service se fasse et n'exige de libérer la place. Un peu de repos ne lui ferait pas de mal. La journée avait été longue et n'était, de toute évidence, pas encore finie.

- Je suis surpris de te voir déjà en place, mon frère. Et ravi de constater que tu te portes mieux.

La rencontre des grands pontes du palais blanc s’annonçait imminente. Enfin, il m’était donné de rencontrer mes frères et sœurs des Lames. Hormis l’Empereur, une telle occasion ne m’avait pas été donnée de croiser les autres, et ce fut donc avec une impatience certaine que je me dirigeai vers la salle de réunion. Le Roi nous avait mandés, et nous obéissions, pour nous réunir autour de lui pareils à une grande famille.
Que cela était beau.

Je me doutais plus ou moins des raisons du rassemblement ; suite à l’assaut de notre demeure par les Dieux de la Mort, la Panthère par fierté devait bouillonner de répliquer. Moi-même, je n’avais pu participer à la défense du palais, et j’espérais que le Roi ne me tiendrait rigueur de cette absence. Ce ne fut pas ma faute, hélas, d’avoir été trop occupé à réunir au fin fond du désert l’armée de bêtes promise à Grimmjow, et ayant dû subir les aléas de messagers trop lents.
Peu importait, toutefois. Le Goteï Treize avait subi de nombreuses pertes, m’avait-on informé, l’efficacité de nos rangs ayant largement pris le pas sur la leur. Une bonne nouvelle, réellement. De notre coté, nous n’avions eu qu’à déplorer la perte de la Seconde Lame et du chef de l'Exequias, ce qui fut un moindre prix pour une victoire aussi éclatante.

Je me présentai dans la salle, souriant comme à mon habitude. J’avisai deux personnes, dont je reconnus aisément l’une d’entre elles comme étant l’ancienne Sixième Lame, l’Empereur aux cheveux d’or, Borick, à présent à la tête de l’Exequias. Une promotion justifiée au regard de ses dernières performances martiales, mais dont j’hésitais encore sur les émotions qu’elle m’évoquait. Le jeune homme était ambitieux, ainsi que doué, mais conférer trop de pouvoir à quelqu’un, et il se transformait en tyran. Je gratifiai toutefois l’Empereur d’une révérence de la tête, le respectant grandement malgré tout.
Quant au second homme, je ne le connaissais pas. Ce serait toutefois mentir de dire qu’il me parut sympathique. Tout l’inverse, en réalité. Une espèce d’adolescent aux yeux de biche violacés à la chevelure teintée de façon similaire, et absurde. Un visage juvénile au menton incongru duquel il transparaissait une morgue enfantine, et des attitudes qui m’évoquèrent celles des jeunes humains boutonneux pleins de revendications vaines et rebelles. Je commençai à comprendre pour Borick considérait aussi peu ses anciens compères de l’Espada. Je souhaitais sincèrement que les autres n’étaient pas à l’image de ce garçon. Cependant, je ne laissai rien paraître pour incliner la tête pareillement dans sa direction en guise de respect, forcé il va s’en dire :

« Messieurs… »

Je regardai ma montre à la richesse clinquante, mais qui ne fonctionnait plus depuis des décennies. À la vue des aiguilles arrêtées, mon visage s’illumina davantage.

« Je suis pile à l’heure, semble-t-il, c’est parfait. Tout juste parfait. »

De forte bonne humeur, je m’installai à ma place où, comble du ravissement, je découvris sur la table une tasse de thé. J’en humais l’odeur avec contentement.

« Du thé Oolong ? Formidable. Plus qu’à attendre les autres, je gage. Qu’ils se hâtent, j’ai grande envie de cette petite merveille. »

Je me redressai sur mon fauteuil sans toucher à la tasse, espérant que les autres arriveraient vite. Ils entreraient dans de mauvaises dispositions vis-à-vis de moi s’ils me privaient d’une boisson chaude.

Des pas résonnèrent dans le corridor. Le bruit fit écho contre les parois, alertant fort probablement les fines oreilles de l’arrivée d’une dame, porteuse de bottes sophistiquées aux talons aiguisés. Nul doute qu’il s’agissait de la Quinta, à moins que la Tercera ne se soit enfin décidée à améliorer sa piètre apparence via quelques habits haute couture, incluant ces bruyantes semelles. Impossible, un animal ne portait pas de talons hauts. L’avancée de la cinquième lame se faisait lente, mais essayait d’emprunter une allure confiante malgré la vilaine blessure qui l’élançait sur tout son flanc. Son combat dans le Yermo ne s’était pas aussi bien déroulé qu’elle l’espérait et elle portait là les conséquences de son incompétence. Là encore, elle n’en avait pas trop honte, car elle pouvait se consoler d’avoir emporté dans son inconscience un Capitaine. Ce qui émoustillait son orgueil, c’était d’en venir aux conclusions que le Segunda avait fort probablement gagné l’affrontement et qu’il s’était chargé personnellement de la mener en un endroit sûr. Avouer devoir sa survie à cet incompétent, c’était inadmissible pour une femme de sa caste, tout simplement. Un idiot ne sauvait pas les princesses.

Pour son Roi, elle s’efforça de conserver l’air arrogant dont elle empruntait quotidiennement, malgré la colère aigüe qui lui battait aux tempes. C’était sa toute première réunion depuis sa promotion. Devoir revoir les visages de Ace et de Borick lui donnait la nausée, mais elle se consolait heureusement par la présence de Sa Majesté bien-aimée, et dans un coin de son esprit, se plaisait à penser que Naezka ne pouvait être présente en ces lieux réservés uniquement à l’Élite. Tout compte fait, elle n’avait qu’à ignorer les deux abrutis qu’elle chérissait avec une haine profonde pour concentrer toute son attention sur Grimmjow. Malgré sa résolution, elle ne put s’empêcher d’émettre un petit rire lorsqu’elle reconnut au loin la silhouette de Borick disparaitre dans l’embrasure des larges portes. Elle allait définitivement avoir une misère folle à s'en désintéresser. Quand on est étouffé par un ego incommensurable, difficile d’en ignorer sa source…

Elle poussa à son tour les portes tout en avalant une grimace, dissimulant habilement la douleur née de ce maigre effort. Un rapide balayage du regard lui permit de noter que Borick n’était en rien le tout premier arrivé. Hormis un étranger, Dark occupait déjà sa place et à voir la manière dont il était vautré dans son siège, nul doute qu’il avait dû avoir le temps de trouver confort. Aucune mimique à son intention en clin d’œil des derniers moments avec lui ne lui fut accordée, mais une lueur espiègle vint illuminer sa pupille durant un bref instant, tandis qu’elle se remémorait avec satisfaction sa précédente rencontre avec lui. Elle ne perdit pas davantage de temps à l’observer et s’avança pour prendre place loin des Arrancar. Dos droit, jambe croisée, sa main passa rapidement sous sa blouse pour venir y chercher une sucrerie qu’elle avala tout rond, non sans jeter l’emballage sous sa chaise. Toujours dans l’intention de chasser le silence, elle frappa bruyamment sa sucette contre sa dentition, jetant des regards curieux partout.

Jusqu’à ce que toute son attention converge en direction du bouffon vêtu d’une drôle de manière. Si elle se permettait quelques folies à exhiber des vêtements uniques telles qu’une jupe agencée à un chemisier, il était surprenant de constater qu’il s’était accoutré de la même façon que les mortels lorsqu’ils étaient sur leur 32… ou 34, bref, sur leur trentaine. De tels tissus devaient refléter une personnalité détestable. Ses cheveux trop bien peignés, le bracelet orné d’un matériau fortement dispendieux et sa posture… Son apparence soignée offrait quelques indices sur sa façon de dialoguer. Il était fort à parier qu’il devait s’exprimer comme un « chieur ». À cette simple hypothèse, elle avait l’espoir de ne pas l’entendre piper mot une seule fois durant la réunion. Quoiqu’il en soit, s’il était ici, nul doute qu’il devait faire partie de l’Espada. Une moue dégoutée recouvra ses traits durant une fraction de seconde, mais elle préféra s'abstenir de tout commentaire. Le Roi pouvait entrer d'une seconde à l'autre, elle devait se tenir sage.

Est-ce que je t'ai demandé quelque chose toi ?

Que celles qui n'ont rien à faire là dégage sur-le-champ. Non-négociable !

Mais pas toi, pauvre imbécile !

Vous savez ce que je vois devant moi là ? Des êtres plein de potentiels, vraiment ! Mais une foutue bande d'incapables aussi ! La moitié du Gotei débarque chez nous, et combien de Haori vous m'avez rapporté ? La réponse est simple...

Zéro ! En fait non... Un ! Un seul ! Et c'est moi qui l'ait choppé ! Qu'est-ce que je dois en conclure, hein ? Que je vais devoir me taper le boulot tout seul ? Autant tous vous exterminer alors, non ?
Seigneur Grimmjow...
LA FERME!

Mais je n'en ferai rien ! Car je sais qu'on peut faire beaucoup, beaucoup mieux que ça.

Les Shinigamis, on peut les gérer, je m'en fais pas pour ça. Si seulement il n'y avait pas ces Maho Machins pour nous tomber sur le râble... J'aimerais entendre ce que vous en pensez. Ce que vous avez vu, qui vous avez combattu. Borick ici présent, et désormais le leader de mon Exequias a pu rencontrer un de ces Maho Tsukaï. Il pourra sûrement vous en apprendre plus. Mais c'est quand même l'avis de vous tous que je réclame ici. Preuve que je crois encore en vous, sans quoi je ne vous consulterais même pas...

Mieux est un bien grand mot. Faut dire que je fais rien pour aider.

Sa voix était lasse. La fatigue s'y faisait sentir plus qu'il ne l'aurait voulu. À défaut de posséder des capacités de régénération aussi poussée que certains de ses compatriotes, Dark était tenu d'endurer sa guérison à un rythme ordinaire. Soit beaucoup trop lent à son goût. Si son hierro s'en était trouvé renforcé, ses plaies n'avaient pas encore guéri entièrement. Aussi, le moindre de ses mouvements était prétexte à rouvrir l'une ou l'autre, ou tout du moins à les rendre plus lancinantes qu'elles ne l'étaient déjà. Son absence totale de repos n'y changeait rien. Si on lui avait bien sûr conseillé de se tenir tranquille le temps que son état s'améliore il n'en avait tenu aucun compte. Au contraire, même : il était de loin plus actif qu'avant. Plutôt que de ne partir à la chasse que pour se divertir comme il le faisait autrefois, il s'était remis à ce rituel à la fois long et fastidieux qu'était l'entraînement. Ce qui, à son niveau, consistait à chaque fois en une destruction d'une petite partie du Hueco Mundo – sans que ce soit trop voyant.

Il suffisait que le sable s'écoule quelque peu pour combler les cratères qu'il laissait derrière lui, et en quelques jours il ne restait plus trace de son passage. Pour la première fois depuis des années, il faisait une croix sur son farniente. Il pensait pouvoir se reposer sur ses acquis, mais ceux-ci s'étaient effondrés. Pour en obtenir à nouveau, il devait s'élever au sommet de sa force qui, semble-t-il, s'était émoussée. À son apogée. S'il se moquait d'être digne du titre de Primera Espada – qui, pour lui, ne valait pas mieux qu'un collier de chien autour du cou en tant que preuve de sa servitude -, il n'en était pas moins horriblement frustré de faire pâle figure devant ses derniers adversaires successifs. Être défait par un Mahō Tsukai, ces ennemis dont on ne savait rien, était une chose – encore qu'il ait toujours autant de mal à le digérer -, mais plier devant un Shinigami en était une autre. Cela n'avait fait que confirmer ce qu'il avait déjà ressenti lors de l'apparition du monolithe. Il lui fallait plus de force. Sans quoi jamais il n'aurait celle de briser ses chaînes...

Ce que Borick était parvenu à faire avec un certain brio en sortant du cadre strict de l'Espada – et ce pour devenir chef de l'Exequias. Une brillante transition que Dark lui enviait quelque peu, pour tout avouer, mais cet équilibre entre eux était la meilleure chose dont ils puissent rêver. Il y avait là une occasion comme ils en attendaient depuis que Grimmjow s'était adjugé le trône du Hueco Mundo. À eux d'en tirer profit. Que Borick soit le premier arrivé après lui n'avait rien d'étonnant, mais il était tout de même heureux que ce soit le cas avant d'avoir à affronter les nouvelles têtes qui feraient fatalement leur apparition. Il n'était au départ pas sûr que le blond ait le droit d'y participer, mais la vue d'un siège supplémentaire en bout de table l'avait rassuré sur ce point dès son arrivée. En guise de preuve, il leva la main à hauteur de son visage et plia ses doigts plusieurs fois pour lui démontrer leur mobilité – laquelle n'était pas encore parfaite, si tant était qu'elle le soit à l'accoutumée.

Disons que je peux mettre un pain sans avoir peur que mon bras se détache. C'est déjà ça.

Les blessures les plus graves se situaient au niveau du torse mais l'ex-Sexta n'avait pas besoin de le savoir. Dark lui-même s'en moquait éperdument. Tant que ses poings étaient assez forts pour rendre justice – sa justice -, le reste n'avait que peu d'importance. Sa santé était le dernier point dont il se soucie. La peur de la mort n'était pour lui qu'une vaste blague. Sa seule objection serait qu'il ne pouvait mourir que dans un combat acharné, qui consumerait son âme jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien. Mais en attente de celui qui pourrait lui offrir cette fin telle qu'il l'avait imaginée, il continuerait de se battre et de rester en vie. De plus, il ne pouvait être question de cela avant qu'il se soit libéré du joug de ce roi superflu.

Le suivant pénétra dans la pièce au moment où Dark s'allumait une cigarette pour profiter tant qu'il le pouvait du moment de répit précédent l'arrivée de Grimmjow. Pour une fois que celui-ci n'était pas présent dès le départ et lui laissait par conséquent l'opportunité de fumer dans la salle de réunion, il n'allait pas se priver. Toujours était-il que l'homme qui venait d'entrer laissa Dark circonspect. Que son numéro ne soit pas visible contribuait à la méfiance qu'il nourrissait à son égard, que sa manière de parler ne réussit elle aussi qu'à accroître. Trop pompeux pour être honnête. Même Borick n'avait pas une diction si altière malgré ses prétentions au titre d'empereur. Et si cela semblait naturel de sa part, il se montrait bien moins insouciant à l'égard de ce nouveau venu.

C'est qui ce pingouin ?

Dark le considéra longuement d'un oeil morne avant de s'en désintéresser. Depuis le temps, le Primera s'était fait à l'idée que les basses strates du classement changeaient de main avec une – trop – grande régularité. Probable que d'ici à la prochaine réunion Costard-Cravate – nommé ainsi en son for intérieur faute de présentation – ne soit déjà plus des leurs. Son stratagème avait au moins prouvé son efficacité, et c'était déjà ça de pris. Ne restait plus qu'à apprendre à connaître ce personnage trop guindé à son goût dont la tête n'avait eu besoin que d'un instant pour ne pas lui revenir du tout. Inutile de s'adresser à lui toutefois : son comportement lors de la réunion parlerait pour lui. Récolter un maximum d'informations sur ses pairs tandis qu'il n'en donnait pour sa part que le strict minimum était sa manière de procéder, mais cela, seul Borick pouvait s'en douter.

Ce dernier en saurait d'ailleurs peut-être plus à son sujet. C'était en tout cas ce que laissait penser le peu de temps durant lequel il s'y était attardé comparé au temps qu'il avait pris pour détailler sa propre physionomie. S'il aurait en temps normal été incapable de repérer ce genre de détails, le moindre d'entre eux pouvait avoir son importance. Car ce qui se préparait en ce lieu n'était aucunement destiné à se tenir dans une ambiance bonne enfant. Avant d'être alliés, ils étaient des rivaux. Chaque faiblesse ainsi décelée serait ouverte de toute sa largeur et exploitée. S'ils avaient une chance d'avancer en se repaissant des cadavres des autres, et bien ils n'allaient pas se gêner. Du reste, la perspective de porter une montre au Hueco Mundo le fit d'autant plus douter de l'état mental de l'individu que la garder en état de marche devait tenir du masochisme, avec tout ce sable.

Néanmoins, Dark n'eut guère le temps de considérer cet aspect plus avant. Les portes s'étaient ouvertes une fois de plus. L'Ezeckiel esquissa un léger sourire en voyant Lili franchir les portes de leur point de convergence à tous. Ainsi elle avait survécu ? C'était tout à son honneur, car nombre des leurs avaient perdu la vie dans les récents affrontements. Il avait notamment eu vent d'un Segunda Espada qu'il n'avait même pas connu et qui aurait disparu lors des derniers événements. Dire qu'il n'était pas à la hauteur serait un mot trop faible et l'ex-Quincy avait eu honte pour lui en apprenant qu'il n'avait occupé son ancienne place qu'aussi peu de temps. Ce qui rendait celle-ci à nouveau vacante... Cette pensée le laissa songeur après qu'il ait repris sa mine neutre sans que nul ne se soit aperçu de son bref éclaircissement, si ce n'est la principale intéressée.

Moment que choisit Daestra pour entrer elle aussi, non sans s'être faite précéder d'une kyrielle de femelles dont la vue fit hausser un sourcil à Dark. Des Fraccions ? Et quatre d'un coup, par- dessus le marché ? Il ne ressemblait pas à la plantureuse carnassière de se lier de près ou de loin avec qui que ce fut, Borick et lui-même demeurant, jusqu'à preuve du contraire du moins, des exceptions. Et pour cause au vu de l'ambiguïté de leur relation, où il était parfois malaisé de savoir qui était la proie et qui était le gibier. Quitte à se faire précéder d'un cortège, il se dit qu'elle aurait aussi bien pu s'entourer d'Aleksi... Avant de se remémorer la nature de celui-ci et de regretter le simple fait que cette pensée ait pu lui traverser l'esprit. Ouais, en fait non.

Je savais pas que c'était une soirée-pyjama. On me l'aurait dit, j'aurais amené mon oreiller : je me fais déjà chier.

Quoique la connaissant, ces donzelles ne devaient pas être si différentes, même si leurs vices ne prenaient pas nécessairement place dans le même registre. Qu'elles ne quittent pas la pièce le laissa néanmoins perplexe : pour figurer parmi les plus anciens de l'Espada à ce jour,la Tercera devait très bien savoir quel sort les attendait si Grimmjow devait tomber sur ce cheptel fort singulier. Qu'à cela ne tienne. Nul ne pouvait prétendre comprendre dans sa totalité l'esprit torturé de la prédatrice. Mais pour être parmi ceux la connaissant le mieux, à plus forte raison compte tenu de leurs similitudes, il ne pouvait que soupçonner qu'elle en soit avisée mais soit prête à en assumer les conséquences, car considérant avoir de très bonnes raisons d'agir de la sorte.

Seule ombre au tableau, connaissant les humeurs de Grimmjow, leur présence ferait toutefois l'effet d'une bombe à retardement. Une tension montante s'empara de lui et il jeta furtivement un regard de connivence vers Borick. Si cela devait dégénérer, leur fallait-il se tenir prêts ? Il faillit tressaillir quand ce fut au tour de la Panthère de passer les portes– quoique « exploser » serait plus juste, et j'en connais un rayon – à l'évidence peu enclin à barguigner. T'as mal choisi ton moment ne put-il s'empêcher de penser à l'égard de la Principessa mais aucun signe extérieur ne vint trahir cette réflexion. S'il ne s'était pas attendu à ce que cela finisse ainsi dès l'instant où il les avait rejoint, Dark aurait presque été désolé d'avoir indirectement provoqué la mort de la servante qui venait de retapisser une partie de la table dans les tons pourpres. À la place, il resta sans réaction, les bras croisés, et se contenta d'ôter ses pieds de la table sans se précipiter. Rien qui puisse laisser penser que ce soit motivé par la crainte que lui inspirerait ce roi de pacotille.

Et la remarque jaillit, vive et cinglante.

C'était à prévoir, et Dark ne s'attendait pas à autre chose de sa part. Enfin, si : un Cero en travers de la gueule. Peut-être s'en était-il abstenu de crainte que Daestra n'y survive au vu de son blindage excessif. Pour en avoir par le passé lui-même éprouvé la solidité, c'était un doute légitime. Et... S'ils avaient déjà acquis assez de pouvoir pour le mettre en péril, finalement... ? Cette idée se fana aussi vite qu'elle avait germé à la vue des bandages qui couvraient en partie ses avant-bras. Quand bien même ce serait le cas, il n'était pas en état. Encore que. Les bras croisés, il se fit violence pour ne pas s'agiter tandis qu'il repoussait vaille que vaille les pulsions qui avaient commencé à le travailler.

L'envie était forte. Mais il était encore trop tôt. Ainsi donc, il ne broncha pas, même quand la pression spirituelle de Grimmjow s'établit dans la totalité de la pièce. Ce n'était pas la première fois qu'il la laissait suivre le cours de sa rage, et si ce n'en était assurément pas plus agréable pour autant, tout du moins pouvait-il mieux l'encaisser que ceux qui n'y étaient pas habitués. Néanmoins, la manière qu'auraient de la subir les nouveaux membres de l'Espada pouvait l'intéresser. Aussi rouvrit-il les yeux qu'il avait précédemment fermés. Plus que celle-ci, ce sont les mots de Grimmjow qui le piquèrent au vif, rouvrant la blessure « mentale » causée par sa défaite face à Shinjirô. Non sans avoir lutté avec panache, mais cela ne changeait absolument rien au résultat. Son poing se serra et il sentit un filet de sang lui couler entre les doigts. Oui... Il ferait mieux la prochaine fois.

Daestra choisit de quitter les lieux, non sans une dernière bravade – quand bien même n'était-ce pas forcément voulu. Elle s'en mordrait les nageoires, il l'aurait parié, mais cela ne regardait qu'elle au fond. Quel que soit son châtiment, il en aurait vent bien assez tôt. Elle avait en tout cas pris la peine de le saluer avant de s'en aller, et même s'il estimait ses capacités, Dark n'eut d'autre choix que d'envisager que c'était peut-être la dernière fois qu'il la voyait. Plutôt que de conjecturer, il préféra toutefois prendre la parole le premier pour en revenir au sujet.

Mahō Tsukai... Il dut faire de gros efforts pour ne pas perdre son sang-froid alors que ses yeux se rivaient sur son poing fermé. Je suis le seul à m'être battu avec celui qui a ramené sa fraise quand on a pété le monolithe. Le seul encore en vie, en tout cas. Cet enfoiré a gobé mon Cero pour me le renvoyer à la gueule. Et son putain de champ de force... Les autres, vous en faites ce que vous voulez. Mais celui-là, il est à moi.

Sa main saignait à grosses gouttes, lesquelles s'abattaient sur la table à un rythme monotone. L'une d'entre elles échoua même sur le rebord de sa tasse, glissant jusqu'à ce qu'elle contenait avant de s'y dissoudre et d'en troubler la surface. Il la regarda sans la voir, obsédé par la soif de vengeance qui le tenaillait. Ce qu'il venait de faire n'était point une requête mais bel et bien une consigne. Quiconque s'en occuperait à sa place subirait le sort qu'il lui avait initialement de ses propres mains. Fut-ce Grimmjow lui-même, il ne laisserait personne se mettre entre lui et cette promesse écrite dans le sang. Son calme revint et ce fut à son tour de devoir baisser son reiatsu qui, sans égaler celui de Grimmjow ou la vitesse à laquelle il était monté, n'en imposait pas moins le respect. À nouveau maître de ses émotions, il se laissa aller paisiblement contre le dossier de sa chaise et attendit la suite des événements, toujours à l'écoute. Quant à savoir pour combien de temps...

- Dark, je crois savoir que tu ne connais pas notre très cher Tibors, Cuarta Espada ? Quel dommage qu'il faille se réunir officiellement pour connaître le nom de ceux qui composent notre élite. Quant à Lili... Oh, suis-je bête. Qui ne la connait pas à la Citadelle ?

- Les armes n'ont pas pour vocation de prendre la parole ou de réfléchir, Seigneur. Seulement à obéir aux ordres. Sans doute que la place de la Principessa à cette réunion était de trop.

- Les Mahô Tsukai sont autrement plus dangereux que nous ne l'avions prévu initialement... Un seul d'entre eux a été capable de manipuler l'ensemble des combattants réunis sur Karakura. Un marionnettiste d'une grande compétence qui est parvenu à altérer l'esprit des puissants présents. Je ne veux couper l'élan de personne à cette assemblée. Mais affronter ces Ombres seul est vain. Capitaines du Gotei, Espada... Personne n'a été en mesure de repousser l'ennemi. Pire encore... Nous sommes passés à côté d'une opportunité unique d'obtenir davantage d'informations sur eux.

Tu as raison Borick. Elle était de trop à cette réunion. Tout comme elle l'était à la précédente, et comme elle le sera pour toutes les suivantes. Daestra Chibiko est suspendue de mon armée, avec effet immédiat. Elle est désormais indésirable à Las Noches. De plus, dès la fin de cette réunion, vous serez conviés à une grande chasse : celui qui me rapportera sa tête sera grandement récompensé !

Une arme qui n'est pas contrôlable est inutile, et doit être anéantie. Merci pour tes précieux conseils, Borick.

Gnéééé??

Plus fort qu’elle ne l’aurait voulu, il s’agissait en fait de son unique réaction lorsque le cortège de femmes fit son entrée. « Femme » étant en fait un terme généreux pour les désigner, car il s’agissait davantage d’animaux qu’autre chose. Ainsi n’eut-elle eu aucune difficulté à deviner l’identité de ces individus, lequel se trouvait parmi eux la Tercera. Préférant taire sa curiosité afin de s’attarder le moins possible sur ce troupeau de requins, elle chassa du même coup son envie de les examiner, n’étant pas du tout à l’aise avec ce genre de personnage. Elle avait pu ouïr depuis son arrivée les commérages sur la troisième lame, et tous sans exception lui avaient donné froid dans le dos. Non seulement elle n’avait aucune envie de faire connaissance avec cette dernière, mais si en plus elle devait s’afficher flanquée de quatre jumelles, c’était hors de question de prendre contact. Elle se réjouit même d’être privée de toute attention de sa part. Toutefois, quoique son regard fasse mille et un tours de la pièce, sa fine oreille retint les brèves paroles de la nouvelle arrivée. Les salutations particulières qu’elle adressa à la fois à Dark et Borick laissaient présager un lien favorable quelconque, et bien qu’elle fût intriguée par cette charmante attention, elle n’eut le temps de réfléchir à ce mystère. Ce ne devait être là que des connaissances, après tout.

Son Rey faisait enfin apparition après cette entrée fracassante. Lili, jusqu’alors assise ordinairement sur sa chaise, se redressa soudainement, tandis que son visage s’empreignait d’un sérieux qu’on ne lui connaissait pas. Comme on boit de l’eau, elle écouta ses paroles avec avidité tout en admirant la puissance et l’attitude dont il faisait preuve, non sans une pointe de jalousie au creux du regard. Elle qui l’avait détesté depuis moult années avait appris à l’apprécier, du moins à le respecter. Elle lui devait bien cela pour cette promotion inopinée qu’il lui avait servie, preuve qu’il reconnaissait avec justesse sa valeur. Elle n’abimerait pour rien au monde cette chance inestimable… Malgré tous ses efforts pour rester concentrée sur les paroles de Grimmjow, elle avait fini par perdre le fil de la discussion, son attention soudainement attirée sur une tache au mur plus que sur ce qu’était en train de répondre Dark.

Lorsqu’elle fut ramenée à la réalité par la voix si détestable de l’égocentrique blondinet, elle put enfin constater que le siège qu’occupait la Tercera venait de se libérer. Quand avait-elle quitté l’endroit? Un petit haussement des épaules pour balayer ce questionnement inutile et se concentrer sur ce qu’avait à dire son rival. Quoiqu’il en fût, elle était partie, au grand plaisir de la Quinta. Voilà une personne en moins à ignorer. Il demeurait que le dernier, qui siégeait non loin d’elle, avait réussi à attirer son attention lorsqu’il présenta le Cuarta. Qui était-il pour se permettre de telles présentations? Leur hôte? Qu’il s’adresse uniquement à Dark alors que ce dernier ne lui avait rien demandé certifiait aussi qu’un lien quelconque les liait, probablement plus fort que la relation qu’il entretenait avec elle. Aussi, elle dut employer de grands efforts pour ne pas s’abandonner à la tentation de lui clouer le bec sur place, aidée par la présence du Rey qui gênait ses moindres mouvements. Elle s’imaginait même lui crever les yeux lorsque ce dernier lui offrit un clin d’œil qu’elle traduisit comme une réelle provocation.

Après que Grimmjow ait prononcé la sentence pour punir l’audace de la Tercera, un frisson parcourut son échine. Elle s’imaginait mal partir à la chasse de ce requin, encore moins si celui-ci se réfugiait dans les profondeurs du Yermo. Pour elle, il était hors de question de participer à ce jeu, même si la place de troisième lame devait être en jeu. Elle jeta un regard furtif vers les autres acteurs de cette réunion pour voir si l’un ou l’autre démontrait un quelconque intérêt à ce que le Roi venait de proposer, mais ennuyée par cette analyse inutile, préféra prendre à son tour la parole –après tout, il s’agissait des problèmes de Daestra, pas des siens.

Tss. Cuarta Espada? J’me souviens pas l’avoir vu participer à une quelconque bataille pendant qu’on se faisait éclater la tronche dans le désert. Puis, se tournant vers le principal intéressé, le questionna de manière arrogante. Tu vas me dire que t’as eu peur de souiller ton costume?

Elle le dévisagea sans dissimuler sa curiosité, mais passa vite à autre chose. Elle s'adressa à l'assemblée sérieusement. Alors, son ton de voix devint plus respectueux, ses mots mieux choisis :

Pour ma part, je n’ai pas eu affaire au Maho… Tsu… Tsugaï, mais à des déchets de Shinigami. De ce que j’en entends, ils doivent constituer une réelle menace. C’est quoi ils veulent précisément, on le sait ça? Et s'ils sont nombreux? Parce que si y'a une armée de Mahotrucs, on est mal.

Elle balaya du regard la salle, une fois encore. Une lueur d’inquiétude traversa sa pupille alors qu’elle constatait l’absence du Segunda. Où pouvait bien être cet imbécile? Même si elle ne comptait nullement le remercier pour l’attention qu’il lui avait offerte durant le combat, elle aimerait bien qu’il s’en soit sorti, indemne ou non. Il le méritait, après tout. Elle se souvenait précisément la puissance qu’il avait démontré, et l’intelligence surprenante qui lui avait soudainement pris dès les hostilités engagées. La seule personne qui pouvait lui donner réponse était le Roi. Elle reposa son attention sur celui-ci et se permit même de l’interroger, sa voix témoignant toujours du grand respect qu’elle lui vouait :

Hum. Ce n’est peut-être pas le meilleur moment, mais qu’est-il advenu de ce crétin de Segunda?

Elle avait dit crétin seulement pour dissimuler son inquiétude, histoire que personne ne se fasse à l’idée qu’elle commençait à prendre d’amitié l’imbécile d’Espada. Son entêtement à rejeter ce sentiment nouveau dédié à un tel idiot l’empêchait d’admettre sa légère tristesse. Quoi qu’elle en dise, elle aurait eu un cœur dans sa poitrine que celui-ci battrait à vive allure dans l’attente d’entendre de la bouche du Roi la mauvaise nouvelle… Parce que oui, cette absence injustifiée suffisait à confirmer ses doutes. Elle ne voulait seulement pas y croire.

Dire que j’étais fortement désappointé du spectacle ne serait qu’un doux euphémisme. Consterné, affolé, ou désemparé seraient des termes bien plus justes. Borick m’avait fait mention de certains aspects de l’Espada, mais confronté à ceux-ci, je devais admettre que le portrait de l’ex-Sexta n’était pas totalement fidèle à la réalité.
Par où commencer ? Il y eut la première jeune femme. D’une beauté élégante, la mine dédaigneuse qu’arboraient ses traits l’enlaidissait toutefois considérablement, chose que je jugeais fort dommage. Cette même grimace d’arrogance, je ne l’avais que trop vue sur nombre de visages d’Arrancars, et elle en disait très long sur la façon dont ils se percevaient. Ils étaient à leurs yeux les plus forts, les meilleurs, et blabla. Bref, sans intérêt.
La deuxième… femme… éveilla une plus grande curiosité. Mortelle serait le qualificatif le plus approprié ; escortée de sa meute, la belle fatale semblait prête à tous nous dévorer. Je ressentis tout autour d’elle son aura de prédation, et fus parcouru d’un frisson où se mêla une crainte respectueuse à quelque chose de plus sauvage. Mais toujours est-il qu’un tel être, aussi grandiose fut-il dans sa perfection animale, n’avait pas à prendre des décisions qui détermineraient du devenir de tout un monde. L’Espada devrait être une élite politique, et non pas simplement martiale.

Quand vint le Roi, je me rappelai soudainement ce qui justifiait la présence de pareille créature au rang d’Espada. Avec un régnant tel que Grimmjoy, il était évident que le Chaos devenait l’ordre général, alors que l’Ordre n’était plus qu’un lointain souvenir. La Panthère était exécrable, en tous points. Dirigeant pitoyable, elle se ridiculisait à la moindre de ses interventions. Ses excès de puissance, à la fois dans la pression spirituelle qu’il exerça sur nous tous au gré de son humeur, et l’assassinat passionné d’une servante, prouvaient au contraire sa faiblesse à régner. Je regardai d’un air navré le crâne mis en bouillie de la malheureuse par celui qu’elle avait juré de servir. Un véritable roi n’avait nul besoin de prouver sans cesse sa force, car elle devait être déjà admise par tous.
Le pauvre roitelet de pacotille qu’était Grimmjow n’avait guère compris comment les choses marchaient.

Mais ce qui nous avait réuni tous ici n’était certainement pas les ratés royaux, mais bien l’apparition impromptue de Shinigamis au Hueco Mundo, et surtout l’intervention d’une toute nouvelle sorte d’ennemis. Je n’entendais rien à ces histoires de Maho Tsukai. Je n’en avais jamais rencontré, et n’avais rien à dire dessus, pour autant, j’écoutai avec la plus vive attention ce que les autres avaient à en dire. Ce que j’en retins principalement fut qu’ils étaient surpuissants et secrets. Autant dire, très peu d’informations à se mettre sous la dent.

Le déroulement de la réunion prit un tout autre tournant lorsque la belle d’albâtre se leva après que le Roi eut congédié sa meute. La mère des fauves quitta la salle en signe de contestation, et notre bon roi, égal à lui-même, lui ôta tout titre à l’instant où elle franchit la porte. Plus navrant encore, il proposa une chasse à mort contre la rebelle. Je cherchai chez les autres un signe d’intérêt, mais étant moi-même clairement pas enthousiaste, je m’en désintéressai rapidement. J’avais parfaitement saisi la brutalité de l’animal, et n’avais nulle envie de m’y frotter.
Je fus tiré de mes pensées par l’intervention (inutile) de la première jeune femme. Elle me lança une provocation des plus puériles à laquelle je répondis par un haussement de sourcil.

« Vous êtes priée de ne pas m'accuser de votre inaptitude à remplir votre propre rôle, ma chère. »

Sur cette remarque cinglante, je portai mon attention vers le seul être d’intérêt dans la pièce, le nouveau chef de l’Exequias. Je lui lançai un regard rempli de sympathie, avant de me tourner vers le Roi. Par politesse, je laissai l’autre sotte terminer son plaidoyer de lapalissades, avant de prendre à mon tour la parole.

« Connaître leurs objectifs, si ces créatures sont aussi puissantes que vous le décrivez, n’est d’aucune utilité. Ils nous balaieraient en un rien de temps à partir du moment où nous nous dresserions face à eux. En revanche, je m’interroge sur leur origine. Les Shinigamis sont venus dans le Monde Creux pour une raison précise, et je gage que celle-ci se prénomme Mahô Tsukai. Le désert est grand, mais auraient-ils pu évoluer parmi nous sans que nous en ayons conscience ? J’en doute. Le cas contraire serait trop effrayant. Je me tus, laissant mes mots faire leurs effets, avant de continuer, d’un ton professoral.
Si la Société des âmes s’est déplacée jusqu’à nous pour dénicher ces êtres, nous pouvons supposer qu’ils ne viennent pas de chez eux non plus. Les Mahô Tsukai se cachent-ils parmi les humains ? Ou doit-on envisager l’existence d’un autre univers, que ni nous, ni les Dieux de la Mort n’avons jamais supposé l’existence ? »

Je me portai la tasse de thé à mes lèvres et bus quelques gorgées. Tenant toujours l’objet entre mes doigts, je m’adossai plus confortablement sur le dossier de mon siège en pierre.

« Un dicton humain dit que l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Je propose une association avec les Shinigamis jusqu’à ce que nous ayons vaincu cet ennemi commun, conclus-je d’un ton badin. »

Je m'en occuperai. Comme toujours. lâcha-t-il dans un soupir de lassitude.

Là où Borick préférait jouer la carte de la neutralité, lui gardait continuellement sous le coude celle de l'hypocrisie. C'était déjà lui qui avait perpétré l'assassinat de Fou-Lu après que celui-ci ait été catalogué comme rebelle après avoir conspiré avec des Shinigami. Il ne voyait donc pas d'inconvénient à se charger de Daestra également... De la même manière, cela va de soi. Il ne jeta pas le moindre regard en direction du nouveau Chef de l'Exequias. Dès qu'il avait ouvert la bouche, celui-ci devait déjà savoir à quoi s'attendre. C'était ainsi qu'il fonctionnait et qui mieux que lui pouvait se vanter d'en saisir toutes les nuances ? D'autant plus à présent que la Tercera n'était plus la bienvenue à cette table – ni même la Tercera, d'ailleurs. Dark se fit la remarque qu'il était heureux que cette réunion et l'altercation qui venait d'y avoir lieu ne se soient point tenus quelques jours plus tôt, sans quoi c'est sa place et non la tête de l'Exequias qui aurait pu échoir à son alter ego. Celui-ci devait déjà y avoir pensé.

Toujours était-il qu'en lui donnant ce titre de proie, il mettait au défi n'importe lequel d'entre eux de tenter de se l'approprier en lieu et place. Si tel était le cas, il pourrait sans scrupules les massacrer tous autant qu'ils sont pour avoir interféré avec sa partie de chasse. Pour avoir lui-même un goût prononcé pour de telles activités, Grimmjow ne pourrait que cautionner. D'autant plus s'il trouvait toujours l'ex-Quincy aussi divertissant qu'au premier jour. Y en aurait-il ne serait-ce qu'un seul pour braver l'interdit qu'il venait de mettre en place ? Il était impatient de le savoir. Et point question de manifester la moindre crainte à cet égard, car il n'en avait pas la moindre : aucun d'eux n'était de taille à mettre la Principessa en difficulté. Il le savait pour s'y être lui-même déjà mesuré. Ainsi donc, qu'ils fassent seulement mine de s'y risquer, et il savait par avance quel sort leur serait réservé...

Ah, on avait un Segunda ? Première nouvelle. Moi qui croyais que c'était juste un bouche-trou.

Ce fut la seule réponse qu'il eut à l'interrogation de Lili. Pour n'avoir jamais rencontré celui qui avait pris sa place en personne, Dark ne savait que peu de choses à son sujet, si ce n'est qu'il n'avait pas vécu assez longtemps pour faire honneur à son rang. Et sans même l'avoir connu, il ne pouvait que lui souhaiter d'être mort au champ d'honneur : cela pallierait quelque peu à son incompétence. Car pour tout dire, le Primera ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de honte à l'idée que son successeur n'ait été qu'un pantin tout juste bon à divertir les émissaires de la Soul Society. Néanmoins, faute d'en savoir plus, il préféra ne pas émettre de conjectures plus élaborées : le Roi serait sans doute en mesure d'éclaircir la zone d'ombre qu'était celle de sa disparition, si tant est qu'il y soit disposé.

Mort, pour ce que j'en sais. Mais je ne suis pas le mieux placé pour en parler.

Une manière aimable – autant que l'Ezeckiel pouvait l'être, du moins – pour renvoyer la balle sans le solliciter directement. C'était là le meilleur moyen qu'il connaisse pour tenter d'obtenir quelque chose de sa part en dépit de son état de nerfs. Ce n'était pas une science exacte et si cela échouait, il ne pourrait rien pour elle, mais au moins aurait-il essayé de l'aider à sa façon – même si rien ne lui aurait permis de le savoir, si ce n'est peut-être ses propres capacités de déduction. Ceci fait, Dark examina de plus près les paroles de son frère afin de n'en garder que le plus utile. Il savait déjà tout ça et plus encore pour en avoir parlé avec lui et requis tous les détails qui pourraient lui être utiles, mais se faire rafraîchir la mémoire ne faisait jamais de mal – en particulier quand l'on avait déjà tant de choses à penser.

Toutefois, l'hilarité qui avait fait mine de le gagner quand Lili s'en était prise au Cuarta revint en force quand ce dernier voulut leur faire part de son trait de génie. C'était plus qu'il n'en pouvait supporter : la Première Lame éclata de rire, non sans avoir tout essayé pour se contenir. Ça se voit que t'es pas du coin, toi. Non, et avec de tels propos, il avait de fortes chances de ne jamais apprendre à le connaître. Si le Shén Di avait été condamné à mort pour avoir frayé avec des Shinigamis, qu'en serait-il de celui qui suggérait de but en blanc de joindre leurs forces aux leurs ? C'était bien mal connaître la Panthère Bleue que de penser qu'il y avait la moindre chance pour qu'il prête une oreille à ces divagations – et, à plus forte raison, qu'il les accepte sans que cela ne fasse qu'accroître son énervement.

Je peux aussi m'occuper de lui dans la foulée, si vous le voulez. proposa-t-il obligeamment au maître des lieux, un large sourire carnassier au bout des lèvres.

Tu ne fais pas le poids pour affronter un Maho Tsukaï seul, et tu l'as déjà prouvé. Arrête donc avec cette stupide idée de vengeance. S'il se pointe, c'est moi qui m'en occuperait, en personne !
Par contre, je suis heureux que tu te dévoues une fois de plus. Tu t'es déjà débarrassé du précédent Primera, qui d'autre que toi donc pour éliminer la Tercera ? Par contre, je souhaite que tu n'y ailles pas seul. Tu prendras un Espada avec toi. Par exemple... Lili ? Me ferais-tu ce plaisir ? À vous deux, vous ne devriez pas avoir de mal à l'exterminer. Faites-la souffrir. Seule sa tête me comblera. Ou ses excuses, si tant est qu'elle soit prête à les rendre à mes pieds !

Par contre, pas de nouvelle du Segunda. Il n'est jamais revenu de Karakura. Mort, sans doute...

Et lui, le premier qui y touche, c'est moi qui l'expédie bouffer le quartz par la racine ! Bonne ou mauvaise, au moins il a une idée, voilà qui révolutionne nos réunions !

Du coup... On fait comment, hein ? Je t'envoie leur dire bonjour et je croise les doigts pour qu'ils ne t'éliminent pas dans la seconde, alors qu'ils viennent tout juste de marcher sur nos terres ? Si t'as d'autres idées brillantes, te gêne pas, mais celle-là pour le moment, je vois pas quoi en foutre. Que les Maho Tsukaïs se pointent, et je leur réglerai leur compte un par un. Et si ça marche pas... On verra...

En gros, on sait que les Maho sont puissants et qu'ils en ont après le cul des Shinigamis aussi. C'est bien, mais ça va pas nous mener bien loin. Quelqu'un d'autre à quelque chose ? Des commentaires à faire, des idées à proposer ? Pouvez y aller hein, c'est pas comme si j'allais vous éclater sur un coup de tête... Ahah !

— Alors dans ce temps-là tu te tais et tu laisses ceux qui connaissent vraiment la vérité, parler.

Elle avait été irritée par la réponse de Dark. Par l’intermédiaire de cette phrase tranchante, elle lui transmettait son mécontentement quant à une prise de parole si futile, gorgée d’allégations non appuyées qui ne pouvaient être source que de rumeurs. Au moins avait-il eu la décence de lui expliquer qu’il n’en savait au final absolument rien, ce qui transformait ses croyances en simples hypothèses, et ses paroles en inutilités. Elle avait besoin d’avoir le cœur net quant au sort qui fut réservé au Segunda après qu’elle se soit évanouie. Non qu’elle soit prise d’une incroyable tristesse s’il s’avérait vrai qu’il avait trépassé, mais au moins elle n’aurait plus à méditer sur ce détail. Elle fustigea du regard celui qu’elle avait coutume de respecter, mais s’efforça par le fait même d’étirer ses lèvres en un faux sourire davantage apparent à une grimace. Au final, peut-être ne voulait-elle pas admettre la mort de son allié, ou l’apprendre par la bouche du Primera, et dans ces mots. Néanmoins, quand ce fut au Roi de lui répondre, elle n’en fut toujours pas satisfaite, quoiqu’elle n’exprime aucunement son mécontentement, cette fois-ci. On la laissait sur sa faim avec de telles suppositions. Elle allait devoir mener enquête seule, si elle en avait le temps et le cœur, mais dans l’instant, autre chose pressait.

Autre chose, soit la proposition de son cher Roi à accompagner Dark dans la chasse aux sauvages. Il avait dû la sélectionner suite à la réplique qu’elle avait adressée au Primera, et quoiqu’être désignée par Grimmjow pour une mission importante la flattait énormément, elle ne pouvait chasser la boule de peur apparue au creux de son estomac. Elle allait y laisser sa peau. Énervée, elle mâchouillait nerveusement le bâton dont la sucette n’était déjà plus, levant un doigt afin de contester la décision du Roi. Incapable de placer un mot, elle dut se résigner à subir son sort, car il semblait pour le Roi qu’elle n’avait pas de consentement ou de refus à prononcer. Un rapide coup d’œil pour jauger l’humeur de son nouveau compagnon de pêche, histoire de s’assurer qu’elle n’y avait pas été trop fort avec sa réplique irréfléchie, avant de s’attarder à autre chose pour penser le moins possible à ce qui pourrait arriver dans cette mésaventure.

Le Cuarta n’était pas un génie. Sa proposition en témoignait largement. Il était bien de suggérer quelques idées pour impressionner le Roi et faire changement, mais si ces plans s’avéraient être du n’importe quoi, mieux valait fermer le clapet. Il semblait que le pingouin ne connaissait pas cette notion, elle allait devoir le lui inculquer dans les jours à venir, s’il ne voulait pas perdre la fausse crédibilité dans lequel il croyait baigner avec cet accoutrement hors normes. Quoique la situation était bien choisie pour abaisser la Quatrième Lame, elle n’était plus du tout d’humeur à rigoler, sans cesse hanter par l’annonce du Roi qui l’envoyait directement au trébuchet, accompagné du Primera. Elle n’avait aucune crainte pour la vie de son compère, au contraire, il avait tout pour triompher contre Daestra, mais elle n’était qu’une lilliputienne parmi des géants. Elle força son esprit au silence en se rendant compte que sa nervosité commençait à devenir un peu trop apparente à son goût. Après tout, elle était presque autant compétente que les Espadas supérieurs et il ne s’agissait au final qu’une opportunité pour plaire à son Roi, tout simplement. Sa poitrine se bomba légèrement suite à la grande inspiration qu’elle prit pour retrouver son aplomb; voilà qui faisait du bien!

— J’suis d’accord avec l’idée du Cuarta. Et puisque c’est son idée, envoyons-le l’exécuter le premier! Je suis sûre que ça fonctionnera.

On en sera débarrassé vite fait. Bien sûr, sa dernière phrase ne trouva chemin jusqu’aux oreilles des autres, mais la pensée la fit sourire. Pour sa part, elle n’avait aucune bonne idée pour les Mahô Tsukaï. Ces entités semblaient beaucoup trop puissantes pour pouvoir élaborer un stratagème suffisant pour leur anéantissement. Tout ce qu’ils pouvaient espérer, c’était collecter plus d’informations sans toutefois risquer la vie des pions de Las Noches. À perdre sans cesse des effectifs, le royaume s’affaiblissait, et avec lui, les chances de remporter une quelconque victoire contre ces envahisseurs. Si la Quatrième Lame voyait en la Soul Society des alliés, Lili était incapable de s’imaginer une possible coopération. Sans grand espoir, elle partagea son idée complètement contraire à celle de Tibbers :

— Ce dont on manque le plus avant tout, dans l'instant, c’est pas la puissance de frappe, mais les infos. On connait rien des Mahô Tsukaï, on est bien mal partie. Je propose d’aller « solliciter » tes amis les Shinigamis, Tibbors, et pourquoi pas les idiots sur Terre aussi. Ils doivent bien avoir un truc utile. Suffit de savoir tirer les vers du nez aux bonnes personnes.

Elle haussa les épaules. Ce que c’était douloureux au crâne réfléchir à tout va pour des suggestions potables. Elle qui était du genre à sauter dans la mêlée sans calculer quoi que ce soit, voilà qu’elle s’impressionnait à offrir de si sages paroles pour les beaux yeux de son Roi. À peine eut-elle terminé sa phrase que son cerveau passait déjà à autre chose...

Cela ne s’avéra pas tout à fait fructueux, en vérité. Oh certes, la Primera Espada venait de se faire moucher en beauté, mais cela était une maigre consolation à vrai dire. Mon idée, que je savais bonne, avait été écartée par le Roi, mais pas ignorée. Je devais reconnaître à la Panthère un certain sens de la prudence, mais c’était sans compter ma volonté de le servir.

« Si vous me permettez d’insister encore un peu, mon Roi, glissai-je doucement, quoique prudemment. J’ai tout à fait conscience des risques, et comme le propose très courageusement la Quinta Espada, je me tournai lentement vers elle, un fin sourire moqueur aux lèvres, je suis disposé à être envoyé en émissaire. La Société des Âmes possède des ressources que nous n’avons pas, je crois sincèrement qu’il serait dommage de ne pas essayer. Par ailleurs, nous étions dans notre légitimité à nous défendre : ce sont ceux qui nous ont envahi, et non l'inverse. »

Je reposai la tasse sur la table pour embrasser du regard mes frères et sœurs. L’allure neutre, je tentais d’adopter un ton qui se voulait suffisamment didactique pour traverser la couche de graisse crasseuse qui entourait le cerveau de certains (et surtout certaine) d’entre eux.

« Nous sommes une race au moins aussi vieille que les Shinigami. Une race rivale, aussi, indéniablement. Mais là où nous sommes pris en défaut, c’est bel et bien dans nos capacités à nous structurer. Et cela n’est pas de votre fait, mon Roi, dis-je en regardant Grimmjow.
Nous sommes ainsi, voilà tout. Nous tous ici avons passé des années à dévorer les nôtres pour amasser de la puissance, tandis que les Shinigamis ont eu le temps de peaufiner des domaines qui nous sont complètement étrangers. Ils ont des appareils, des études, des analyses, différents outils qui leur permettent de comprendre le monde dans lequel ils vivent. Ce que nous n’avons pas. Je croisai les doigts, repris mon souffle puis continuai mon plaidoyer.
N’allez pas croire que j’éprouve une quelconque sympathie pour les Anges de la Mort, mais force est d’admettre qu’ils nous supplantent par bien des aspects. La société que nous tentons de mettre en place repose exclusivement sur les puissances individuelles de chacun d’entre nous. Ces puissances dépassées par les Maho-Tsukaï, il ne nous reste plus grand-chose.
Je me tus quelques secondes pour jeter un coup d’œil à l’assemblée afin de confirmer qu’aucun ne s’était endormi. Il y aurait forcément quelques têtes de nœuds pour m’ignorer, bien sûr. Aucune importance.
À défaut d’une alliance avec la Société des Âmes, je propose une réorganisation de nos effectifs, une structuration réelle pour que nous puissions légitimer notre nom « d’armée du Roi ». Nous n’avons pas de service scientifique, peut-être faudrait-il trouver des Arrancars brillants pouvant apporter leur pierre à l’édifice.
Par ailleurs, il existe dans ce palais nombre de Numéros à potentiel qui sont laissés à eux-mêmes. Moi le premier, je comprends les vertus de la sélection naturelle, mais si nous voulons prétendre à une plus grande force de frappe, peut-être devrions nous nous charger d’eux. Les entraîner, connaître leurs talents, leurs faiblesses, embellir les premiers, supprimer les dernières. Certains seront peut-être les Espadas de demain, c’est une chose à ne pas ignorer. »

Sur ces derniers mots, je m’hydratai la gorge de ce merveilleux thé, et advienne que pourra.

Dark ne parut même pas remarquer la réaction de Lili. Le Primera n'était pas du genre à aimer ergoter, c'était de notoriété publique. Pourtant, Grimmjow ne semblait pas au courant. Et pour cause, il y avait veillé. Veillé à ce que ceux qui lui étaient restés fidèles et ne complotaient pas pour le destituer – que ce soit ensemble ou chacun de leur côté – soient dans l'incapacité de le renseigner à ce sujet. Cette réponse acerbe de la part de la Quinta aurait le mérite de brouiller les pistes. Si sa proximité avec Borick et Daestra – ainsi que Fou-Lu de son « vivant » - n'était pas un secret, personne n'avait eu vent de sa relation avec Lili. Et c'était là sa carte maîtresse dans cette discussion qui, sans cela, aurait pris une tournure fort désagréable. Savoir prendre ses précautions avait parfois du bon. Cela faisait fatalement d'elle le choix le plus logique pour lui adjoindre un partenaire dans la traque de celle qui répondait désormais au titre de Privaron Espada.

C'était la seule avec laquelle il ne soit pas supposé entretenir un rapport amical hormis Tibors, et un « accident malencontreux » avait bien plus de chance de survenir pour peu qu'on le laisse en compagnie de celui-ci. La solution était donc toute trouvée – du moins du point de vue de la Panthère. S'il savait. L'ex-Quincy fit cependant mine de grimacer en gage de sa désapprobation mais n'émit aucune objection. Grimmjow était déjà d'assez méchante humeur sans qu'il en rajoute une couche. Même si l'envie était forte de pointer du doigt qu'il n'avait eu besoin de personne – du moins selon le rapport – pour venir à bout de Fou-Lu, et que la mort des Exequias qui l'accompagnaient dans cette tâche n'avait fait aucune différence. Faire mine d'être contrarié ne fut pas difficile dans la mesure où il l'était réellement. Le roi voulait lui voler sa proie. Comportement que lui-même n'aurait toléré aucunement à l'époque où il était encore du même rang.

S'il n'en dit mot, Dark n'en pensa pas moins : quoi que le Jaggerjack puisse en dire, il aurait sa revanche. Car quand il avait une idée en tête, il était impossible de lui enlever, fut-ce en lui fracassant le crâne. Il pourrait brandir son autorité tant qu'il le voulait mais elle ne lui serait d'aucune utilité face au fait accompli. Oui, quand il jetterait à ses pieds le corps sans vie du Mahō Tsukai et, pourquoi pas ?, prendrait sa tête dans la foulée, il verrait si ses idées de revanche étaient si creuses qu'il voulait bien le croire. D'autant qu'il était bien mal placé pour parler, les Arrancars les plus anciens pouvant même relater sa bataille contre un certain roux à laquelle ils avaient assisté, cachés sous une dune. Ce n'était pas brillant. Pas plus que ce qu'il lui interdisait formellement en ce moment. Le pouvoir lui était monté à la tête. Et sa seule hâte était à présent de l'en faire redescendre.

Comme vous voudrez. soupira-t-il en haussant les épaules.

Je lui rappelle qu'un cadavre d'Arrancar se désagrège, ou bien ?

S'il avait pu reprocher à Lili d'être infantile dans son comportement, tout du moins sur certains plans, ce n'était finalement rien à côté de ce grand enfant. Pas une seule fois il n'avait cillé, ne trahissant rien de ses émotions. Grimmjow voulait jouer avec lui au plus malin, mais première nouvelle : il n'était pas le seul à avoir plus de matière grise et à s'en servir plus qu'il n'en avait l'air. Le Rey pensait avoir un coup d'avance, mais c'était le Primera qui avait su le mieux placer ses pions. Le Roi est à présent seul sur l'échiquier. Son regard se porta vers Tibors. Seul le Fou reste pour l'accompagner. Ce dernier se lança d'ailleurs dans un monologue – qu'il écouta sans prêter la moindre attention à Lili pour que nul ne devine la supercherie. Grand mal lui en prit : il n'y vit qu'une logorrhée typique de ceux qui ne connaissent rien des véritables lois du Hueco Mundo. Avait-il vraiment sa place à cette table en tant que Cuarta ? Il éructa :

Et puis quoi encore ? On ne peut renier sa vraie nature. Nous sommes des animaux. Une race ancienne, nourrie de ténèbres, animée par un millénaire de haine et de fringale. Un vrai cauchemar. Oui, nous sommes entrés dans les ténèbres, et les ténèbres sont entrées en nous. Jusque dans ces moindres recoins, ce monde est fait pour n'être qu'une jungle. Un vaste cimetière pour des cadavres en sursis. Nous ne pouvons vivre autrement que parmi la chair et les os, qu'en se déchiquetant les uns les autres. Aujourd'hui nous sommes les chasseurs, mais demain nous pourrions bien être les proies. Tuer ou être tué. Dévorer ou être dévoré. Chacun son choix, mais le mien est fait depuis longtemps.

Et ce n'est pas toi qui y changera quoi que ce soit.

Les Espadas de demain ? Surtout pas. Tout sauf ça. Était-il trop stupide pour prendre toute la mesure de la tension ambiante ou à ce point bouffi d'ambition qu'il préférait n'en tenir nul compte ? Dans les deux cas, il regretterait bien assez tôt d'en avoir oublié toute prudence. S'il tenait tant que cela à éduquer ceux qui demain lui planteraient peut-être un couteau dans le dos, libre à lui, mais il serait bien le seul. Dark doutait fort de voir qui que ce soit participer à ce programme pour peu qu'il soit approuvé – et ce n'était déjà pas gagné. Mais pour cela, encore faudrait-il qu'il soit en état de le mener à bien après être revenu de son entrevue diplomatique à Soul Society et Dark ne demandait qu'à voir en combien de morceaux se ferait son voyage-retour. Aussi souhaita-il que ce soit chose faite à son « retour de chasse » pour n'avoir plus qu'à s'en réjouir et ne plus jamais souffrir cette suffisance qui ne lui donnait nulle autre envie que de transformer en corde la cravate qu'il portait autour du cou.

« Nous tous ici avons passé des années à dévorer les nôtres » ? Ça, c'est ce que tu crois.

- Il me semble que vous oubliez une chose, Espada... Je suis l'un des seuls à avoir eu l'occasion de parler à un de ces Mahô Tsukai. Je doute que les Shinigamis aient une information à nous transmettre dont je n'aurai pas eu vent. Seul un humain était à mes côtés lorsque Hyôma s'est dressé face à nous. Il est celui qui a manipulé l'ensemble des âmes présentes sur terre. Il s'est nommé lui-même comme le Lieutenant d'un certain Koga. Visiblement le chef de leur groupe. Et si cet homme était aveugle, il n'en connaissait pas moins beaucoup de chose sur notre monde. Nul doute qu'il en sache autant sur les autres.

- Si Hyôma a été capable de nous manipuler, je n'ose imaginer les pouvoirs de celui qui dirige les opérations dans l'ombre. Et d'après ce que j'en déduis, je suis de l'avis de Tibors concernant un possible autre monde. A mon arrivée sur terre, j'ai vu de mes yeux un portail semblable à nos Garganta se refermer sur une personne de leur race. Je pense qu'il nous faudrait nous concentrer sur un moyen de découvrir comment atteindre cet endroit. Alors, nous serons en mesure de déployer la force de notre armée.

Les Shinigamis, on verra. Je ne pense pas qu'on aura vraiment besoin d'eux. Et franchement, je préfère les voir morts... Je vais y réfléchir, mais en attendant...

Cherchez tous de votre côté à en apprendre plus sur ces Maho Tsukaïs. Après tout, c'est votre survie qui est en jeu, et ça vous connaît ça, pas vrai ? Moi, je m'en fais pas... Prochaine fois qu'il y en a un qui se pointe, je me ferais un plaisir de lui refaire le-