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Bouillonnement dans ses veines qui ne lui avait encore jamais été donné de ressentir. Force emmagasinée que son enveloppe charnelle supportait à peine, de quoi faire grimper en son âme une âpre adrénaline. Et pourtant, pas la moindre crispation sur son faciès. Au lieu de l'affliction, une extase, que son sourire était loin de traduire à sa juste mesure.

Dans ce monde sur le point d'imposer son joug aux trois autres, un tintamarre chaotique manifeste de la gloutonnerie de la nouvelle dimension. Dans ce chaos, alors que commençait à se façonner le paysage extérieur à mesure qu'étaient mises à contribution les âmes dûment acquises, on pouvait trouver le premier lieutenant assis en tailleur sur le toit du palais, paisible, comme cherchant à mieux apprécier cette mélodie qui sifflait aux portes de ses tympans.

Si l'atmosphère exprimait bien l'instabilité d'un monde nouveau-né, le caractère déjà majestueux du lieu n'allait pas pour déplaire à Hyôma. L'aboutissement d'un travail de longue haleine, ayant coûté la vie à deux de ses semblables. Mais quelle vétille que ces sacrifices au regard de l’œuvre final. Et évidemment, le fier Maho n'était pas pour considérer le massacre des humains comme partie, même infime, des sacrifices en question. Seul l'esprit puéril s'émeut du trépas de larves, sous prétexte de la prématurité de leur existence. Un bref élan de lucidité, et l'évidence du caractère nuisible de leur évolution en shinigamis ou hollows suffisait à reconsidérer ces créatures en leur qualité de parasites. À leur égard, tout au plus pouvait-on se contenter d'un froid mépris ; sauf à l'instant présent, où la situation imposait de faire fi de la bénignité induite par une attitude de la sorte.

En effet, leur ambition portée à leur terme, Koga pouvait compter sur ses lieutenants pour briser dans l’œuf la riposte adverse. Car si le résultat s'avérait probant, il n'en avait pas moins happé nombre d'intrus en son sein. Trois factions sur le point de s'affronter en même temps dans leur ventre. La leur, éminemment supérieure à toutes les autres, et ce, malgré leur infériorité numérique, allait rendre ennuyeuse l'issue ô combien certaine du combat. Tout du moins, telle était l'essence de ses pensées, jusqu'à ce que ses perceptions le renseignent de la bonne entente apparente des deux ennemis naturels. Une masse se déployant comme un seul corps, pour se diviser en plusieurs escouades ; à l'exception, toutefois, de certaines âmes paraissant conserver toute leur individualité dans leurs déplacements.

Malgré tout, l'objectif semblait limpide dans l'esprit de chacun : anéantir l'adversité. Ceux qu'on appelait autrefois « Ombres », en l'occurrence. Qu'ils soient allés jusqu'à s'allier à leurs pires ennemis pour parvenir à leur fin... c'était certes, faire preuve d'un certain niveau de pragmatisme, autant que d'audace ; ça n'en restait pas moins l'expression criarde du peu de fierté les animant. Créatures dont la faiblesse éveillait en lui un semblant de pitié. Face à l'aveugle, cinq adversaires, de puissance inégale.

-Ainsi voici les fiers guerriers venus me défier ! Je me présente, Hyôma, modeste lieutenant de sa Majesté Koga-dono. Me ferez-vous la grâce de vos noms ?

Une communication amorcée par le biais d'un timbre de voix doucereux. Sur son visage, les traits de la bienveillance. Pouvait-on s'imaginer un instant que cet homme n'avait d'autre dessein que celui d'éradiquer ses vis-à-vis ?

Cela aurait pu se terminer autrement. Si sa curiosité malsaine n’avait eu l’audace de défoncer les barrières et principes les plus élémentaires en termes de survie et de sécurité la Principessa ne se serait probablement pas retrouvée ainsi soustraite à l’attention de tous en proie au doute, à l’incertitude et au remord. Cela aurait pu se terminer autrement. Si son inavouable instinct maternel ne s’était imposé malgré de telles circonstances, la meute n’aurait à faire une nouvelle fois preuve de discrétion. Peut-être avait-elle eu trop confiance, peut-être que ses filles n’étaient visiblement pas prêtes à nager sans escorte en dehors du Hueco Mundo. Peut-être, peut-être, peut-être. De l’incertitude jaillit le fait, l’élément perturbateur, le choc du marteau brisant la chaîne et ce silence réduit à néant par le fracas de la peur. Qu’un retour sauf se profile, et avec lui viendra nécessairement le temps des sermons. De l’expiation.

Tout débute par-delà les confins du Yermo. Passé le couvert de la roche et de l’interminable manteau végétal se dessine une silhouette immobile, recroquevillée. Une forme de sérénité l’habite, transpire et jaillit de l’écorce ivoire. L’orbite insondable scrute l’horizon tandis que son jumeau embrasse les limbes du sommeil. Pour la première fois depuis une éternité le prédateur se plaît à côtoyer les songes. En paix. Paradoxe. Car l’ancienne renégate de Las Noches ne se trouve plus en territoire connu. Cela fait plusieurs semaines que la Matriarche et sa tribu se sont installés sur les terres autrefois gouvernées par un sinistre seigneur, lequel partageait son fief avec tant d’autres créatures aux pouvoirs inimaginables. Toujours est-il que l’ancienne Tercera y installa sa demeure, et plongea dans une sorte de phase évolutive intermédiaire. Finie la chasse aveugle, la traque sanglante, les crises de folie destructrices. N’étant en mesure de savoir quelles véritables forces habitent ce royaume, l’option la plus viable restait alors d’en apprendre davantage et de jouer sur les autres mondes. Raison précise pour laquelle ses filles ne l’entouraient pas ici. Pas encore. Puisqu’évidemment, quelque chose vint troubler le silence. Une fois de plus.

*Mère. Un incident. Un phénomène étrange sur le Plan terrestre. Stup manque à l’appel.*

Betty sort péniblement du portail, et courbe l’échine devant son idole endormie. Bien que le message ne lui soit adressé verbalement, la crainte reste palpable tant dans sa gestuelle que dans le ton. L’avatar s’éveille alors doucement, se redresse et la dévisage avec une sévérité impérieuse. Pour autant l’hybride ne s’emploie guère à la houspiller, préférant remettre cela à plus tard. L’heure semble mal choisie. Une vie, trop précieuse, est en jeu. Peut-être même plusieurs désormais.

- Montre-moi la voie, éclaireuse. Réglons cette affaire au plus vite, chaque minute passée en dehors de notre couvert en vaut bien plus pour nos bourreaux.

Sur ces mots froids comme la pierre le couple emprunte le Garganta toujours en liaison avec la Terre. A son arrivée une curieuse sensation de vide l’envahie. Elle comprend, sans que quiconque le lui dise qu’une formidable tragédie se joue en ces lieux. Les ténèbres qui gouvernent son Être jubilent. Son humanité elle, est aux abois.

- Combien ? Où ?

On lui annonce des millions, mais aucun responsable visible. On lui apprend l’existence d’un portail en plein cœur de la ville, non loin d’ici. Que sa fille, sans doute sous l’effet de surprise s’y est engouffrée sans réfléchir. Seul son guide est resté, est revenu la prévenir. C’est pourquoi il ne leur faut attendre davantage pour suivre la trace, y remonter et y plonger. Ne pas réfléchir. Pas le temps. Ses filles sont en danger. Elles le sont toutes désormais, mais qu’importe. Elles sont de nouveau ensemble, quelque part. L’endroit empeste le mal, la mort et le sang ne demandant qu’à être versé. Disparition. Une gigantesque structure domine le paysage. Il ne s’agit ni du Seireitei, ni de Las Noches, ni d’aucun endroit connu. Aucune odeur ne lui est par ailleurs familière et pourtant, si. Mais quoi ? Une voix ne tarde pas à s’exprimer, à parcourir les cieux. D’autres âmes entourent la meute habilement dissimulée sous le sol que tous foulent avec insouciance. Personne ne doit reconnaître. Personne ne doit savoir. Repartir, vite. Sa réponse à la question. Qui se dessine à la manière de Betty, qui établit un pont avec l’hôte de ses lieux. Afin de ne pas se révéler.

*Non.*

Le silence, juste et profond. Un murmure, rien de plus. Et l’exil, encore. Personne ne doit savoir. Personne, ou ils mourront tous.

La vie s'en était allée, emportant le monde dans son sillage. Ne régnaient plus en maître que la mort et la désolation, la perte et la corruption. Seul le silence restait maître de ce paysage qui, bien qu'inchangé, avait été vidé de toute sa substance. Si dense, si intense qu'on aurait cru le sentir palpiter, vibrer comme un coeur battant au rythme du temps. Les corps que jamais plus n'animeraient les couleurs de l'existence jonchaient les rues, jetés à terre comme autant de pantins dont on aurait brusquement coupé les fils. Des riches hommes d'affaires aux démunis, des nouveaux-nés aux vieillards en fin de vie, tous étaient tombés endormis dans un sommeil dont jamais ils ne se réveilleraient. Tous avaient péri, et Karakura avec eux. Tout était encore en place : les immeubles, les routes, et même les arbres.

Et pourtant, il ne restait rien. Rien, à part un écrasant sentiment d'impuissance... Le monde avait sombré dans un tel calme qu'elle croyait entendre son propre sang courir dans ses veines. Tout s'était passé trop vite. Le mal, quel qu'il fut, s'était abattu sans fracas. La Fin était venue les cueillir en douceur, comme souffle une brise innocente. Aucun signe avant-coureur, rien qui aurait pu laisser deviner qu'allait se rompre ici et maintenant le cruel fil de la destinée. Prostrée, immobile, elle n'avait pu que contempler l'annihilation dans toute sa splendeur. Voir de ses propre yeux ce qu'elle avait déjà pressenti. Ce à quoi elle ne pouvait croire mais qui ne pouvait être que la sinistre vérité. Une réalité qu'elle ne pouvait oublier, qu'elle ne pouvait fuir. Elle les avait sentis mourir.

Tout autour d'elle, encore et encore, sur des kilomètres à la ronde. Comme autant de bougies qui s'éteignent dans la nuit pour la rendre aux ténèbres qui l'enserrent. C'avait été si soudain que le choc n'avait fait que la paralyser. Pareillement à tout son corps, ses jambes étaient de pierre, et c'était bien tout ce qui les dissuadait de se dérober. Le jade de ses prunelles n'avait pu quant à lui que rester rivé à cet océan de vide dont les flots assassins l'avaient assailli dès qu'elle avait ouvert sa porte. Il ne s'était écoulé que le temps d'un souffle entre le moment où sa main s'était posée sur la poignet et celle où elle s'était ouverte devant elle, et pourtant tout avait déjà changé. Jamais plus elle ne foulerait cette Terre telle qu'elle l'avait connue.

Cette voix intérieure, si présente, si impérieuse ces dernières semaines, ces derniers mois la pressait de se retourner, mais elle était devenue sourde à ses appels. Quel besoin avait-elle de toute façon d'entendre quoi que ce soit alors que plus une voix ne pouvait s'élever ? L'unique mouvement qu'elle puisse encore percevoir était celui du vent dans ses boucles blondes qui se soulevaient paresseusement tandis qu'une larme, unique, parait sa joue gauche d'une limpidité cristalline. Sous l'emprise du bouleversement, elle n'en eut pas même conscience, sidérée par cet improbable cataclysme. Combien de temps passa-t-elle ainsi anéantie avant que son corps gourd ne chancelle et précipite ses genoux tremblants à la rencontre du sol.

Le pic de douleur que la dureté de la pierre insinua dans sa chair consuma sa torpeur jusqu'à n'en plus rien laisser, l'abandonnant face à une horreur sur laquelle elle ne pouvait pas même mettre de but ni de raison. Cela s'était passé sans que nul n'ait la possibilité d'agir, sans que personne l'ait senti venir. Et maintenant, c'était trop tard. Il ne restait plus qu'elle. Survivante envers et contre-tout. N'eut-elle été à ce point chamboulée, que les paroles de l'autre harpie la cataloguant comme erreur de la nature auraient pu lui tirer un fade sourire. Mais alors que tout lui semblait perdu et qu'elle doutait trouver la force de se relever tant cela ne pouvait qu'être vide de sens, un détail attira son attention. Rien qu'une broutille perdue au loin, effleurant les frontières de ses sens.

Le gouffre.

L'abysse dans laquelle tout ce qu'elle avait connu depuis un an s'en était allé sans laisser de traces. La faille des âmes. Le maelström dans lequel elle allait se jeter... Sa main se crispa sur la lanière de cuir qu'elle portait à l'épaule, comme elle le faisait chaque jour depuis des années. Ce fut pourtant la première fois que ses ongles s'y enfoncèrent et que la matière gémit sous la dureté de sa poigne. Il ne restait qu'elle. Qu'elle et sa guitare. Comme avant. Comme au premier jour. Le premier après avoir tout quitté. Oui, Melody était de nouveau une petite fille abandonnée, avec rien d'autre que son instrument pour se sentir exister. Avait-elle jamais vraiment cessé de l'être ? Elle n'aurait su dire. Mais ce qu'elle savait, c'était que contrairement à cette fois-là, elle savait à quoi se raccrocher.

Elle avait quelque chose à faire. Quelque part où aller.

Sa chaleur sempiternelle avait disparu. Le froid du linceul mortuaire qui avait enveloppé la cité s'était répandu jusqu'à elle et lui avait gelé le coeur. Peut-être était-elle déjà morte elle aussi. Peut-être ne s'en était-elle finalement pas tirée. Mais même si ce n'était qu'un songe, ce n'était pas ce qui la dissuaderait de conclure la seule mission qu'elle puisse encore se donner. Non, la chaleur qui était la sienne n'était plus et une autre s'y était substituée. Une flamme froide, un feu de glace qui ne pouvait rien réchauffer. Les braises d'une colère noire, profonde, viscérale, mais qui n'en seraient pas moins promptes à tout dévorer comme autant de crocs de givre. Sa force explosa autour d'elle, faisant trembler un sol que plus aucun pas ne voulait.

Le sang lui battait les tempes, vrillant ses tempes, emplissant son crâne à l'en faire éclater, et il n'y avait qu'en le faisant elle-même couler qu'il cesserait de pulser. Sentir la puissance jaillir de son être comme jamais elle ne l'avait fait lui rendit un peu de sa vitalité, lui donna le coup de fouet qui lui manquait. Peut-être n'était-elle toujours au fond qu'un pantin désarticulé, mais au moins venait-elle de saisir ses propres fils. Et cette marionnette humaine, vidée de toute sa joie de vivre qu'elle était devenue, elle savait très exactement où la mener. Moins par volonté que par instinct, la musicienne se fia à ce qu'elle avait ressenti – à l'étincelle qui avait allumé en elle cette rage flamboyante qui lui brûlait les entrailles à l'en rendre malade mais qui, bien au contraire, la galvanisait.

Sa bonne humeur avait été réduite en cendres. Il n'en restait plus rien. Ainsi pouvait-on dire que son âme à elle aussi avait été perdue, car elle était tout ce qui la définissait. Et à présent que sa nature profonde s'était évaporée pour ne plus faire d'elle qu'une coquille vide, tout ce qu'il restait pour la remplacer, pour l'agiter encore et la faire avancer était l'énergie de toute sa hargne, de toute sa peine et de toute sa frustration ravalée tout au long de toutes ses années d'existence. Peut-être n'était-ce pas grand chose au regard des êtres éternels qui la côtoyaient désormais, mais c'était à son échelle un carburant inépuisable et une arme qui faisait d'elle la personne la plus dangereuse sur cette planète exsangue. Elle était une tempête. Elle était le vent de l'orage. Et elle allait rugir de tout son saoul.

Avant que la demoiselle ne s'en rende compte, ses pas l'avaient mené à travers la déchirure en plein ciel qui avait avalé le monde. Ses pas frappaient en adagio le sol miroitant l'ayant reçue à son arrivée, mais leur écho faisait de chacun d'eux un coup de tonnerre qui n'était pas sans la maintenir au pinacle de sa fureur. Si elle ne progressait qu'avec lenteur au sein de la forteresse de l'infamie, du bastion de l'abjection, de la place-forte de l'opprobre, chaque parcelle de son être hurlait et réclamait vengeance. L'aura qui tourbillonnait autour d'elle sans pourtant qu'elle ait eu à tirer son pouvoir de son sommeil agité était d'une densité telle que quiconque l'aurait approchée sans y être préparé n'aurait pu que se retrouver cloué au sol sans autre forme de procès – jusqu'à en mourir s'il le fallait. Ce monde ne ressemblait à aucun de ceux qu'on avait pu lui décrire, mais cela n'avait aucune espèce d'incidence.

Oui, si Melody avait coutume d'inspirer le bien-être à son entourage par sa seule présence, elle se montrait tout aussi douée pour insuffler la peur. Elle avait rangé sa douceur pour dévoiler sa fureur. Une chose qu'elle pensait ne jamais faire, mais ne vivait-elle pas à présent au sein d'un monde qu'elle aurait cru ne jamais voir ? En son for intérieur, quelques songes se disputaient le peu de place que son attention avait encore à accorder. Du revers de la main, elle sécha ses larmes, se campa face à l'ennemi. Le premier d'une longue série. Il n'avait pas pu faire ça seul, elle refusait d'y croire. Et elle abattrait impitoyablement tous ceux qui avaient participé à cette aberration. Sans coup férir, jusqu'à la fin. Même si elle devait tomber à son tour, ce ne serait pas sans avoir essayé. Pas sans s'être battue pour ceux qui ne le pouvaient plus.

Ne t'en fais pas, je te le dirai avant de te tuer. cracha-t-elle sans perdre son apparente neutralité.

Quel avait été le sort de ceux qu'elle avait connu ? Naoko, Ganryû, Luciela et tous les autres ? Elle préférait ne pas y penser, tant il ne lui était plus possible que de craindre le pire – et d'en sortir avec une hostilité décuplée. Il ne lui restait rien, rien de plus que des rêves et une vie brisée. Et ces éclats, elle les planterait dans le coeur de ceux qui les avaient détruits comme autant de poignards, de lames effilées - celles de son bonheur brisé. Peut-être ce lieu serait-il sa tombe. Peut-être était-elle venue ici pour mourir à son tour, ne pouvant avec le poids de ce fardeau. Auquel cas n'en aurait-elle tout simplement pas eu conscience, mais il lui semblait ne plus rien sa voir. Sa tête s'était vidée alors même que son coeur se remplissait de haine. Et il était à présent temps de le laisser déborder. Méticuleuse, elle s'empara de sa guitare et vérifia ses accords.

En attendant, appelle-moi Vengeance.

Car c'est tout ce que je suis désormais.

- Tu déconnes, hein ?! explosa Tomoe, qui semblait au bord de la crise d'angoisse.

- Putain, tu crois que j'ai une tête à déconner ? Y'a que des morts et encore des morts, et ça sur des kilomètres à la ronde ! répliqua avec colère Crash, qui pour l'occasion avait daigné enlevé ses lunettes de soleil, alors qu'assis, il tentait sans succès de se masser les tempes.

- C'est ... C'est ...

- Terrible ? proposa Soei, qui regardait fixement le grille-pain, comme si la situation ne le concernait pas.

Tomoe poussa une petite exclamation dédaigneuse, alors qu'elle continuait à faire les cent pas. Situation de crise. Ça devait être une journée comme les autres, un jour de week-end où on se serait contentés de glander à l'appart'. Mais on l'a ressenti. Tous. Cette sensation dégoutante, qui nous rappelait bien trop notre sinistre amie mort. On a stressé. Tomoe voulait se casser et voir ce qu'il se passait dehors. Mais on a reçu un coup de fil. Crash qu'on a jamais entendu aussi nerveux. Il nous appelait que quand il y avait des mauvaises nouvelles, mais l'inquiétude dont il a fait preuve nous a fait comprendre que la situation était pire que ce que l'on pouvait imaginer. Pire que dans notre plus terrible cauchemar. Et nous n'avions pas tort. Il était blême. Une froide transpiration s'écoulait lentement de son front.

Et la nouvelle était là. Tous les civils s'étaient faits tués. Tous. Il n'en restait pas un de vivant. On a mis quelques secondes, avant de comprendre qu'il ne plaisantait pas. Le froid avait envahi la pièce, alors que l'été était sur nous. Tous morts. Sans exceptions. Ma patronne, mes collègues d'université, mes professeurs, mon boulanger. Tous envolés, comme ça. Sans avoir eu le temps de dire "ouf". Ça semblait si ... irréel ...

- Et si c'était que ça ... Y'a un immense portail, en plein centre-ville. J'ai envoyé des gars pour qu'ils me fassent un rapport, mais aucun signe d'eux. Nada. Ils sont sûrement morts à l'heure qu'il est.

On échangeait des regards. Je me rongeais les ongles, paniquée. Inquiète. J'avais l'habitude de me reposer sur d'autres gens, pour prendre les décisions à ma place. Mais il semblait qu'à cet instant, personne n'était en mesure d'avoir la lucidité pour. Une voix résonna pourtant dans mon esprit.

- Ça a la patte des Maho Tsukai, ma soeur.

- Ah ? Tu en sais davantage ?

- Pas plus que toi. Mais cela est signé de leur main, ne te souviens-tu pas du centre-commercial ?

Le souvenir était bien trop vivant dans mon esprit, malheureusement.

- Que devrions-nous faire ..?

- Cela ne me plait guère, mais nous devrions intervenir. Pas parce que je ressens la moindre compassion envers le bas-peuple, mais ... Parce que j'ai un mauvais pressentiment ... Il serait plus prudent de les stopper, tant que nous le pouvons.

- Nous ne partageons pas les mêmes raisons, mais voir que nous arrivons aux mêmes conclusions me rassure, ma sœur.

- Pour le meilleur et pour le pire.

Comme ça a été toujours le cas. Plus qu'à rassembler son courage. Mais je ne le sentais guère présent. Il ne l'avait jamais été, même lorsque j'avais été plus convaincue par la vertu de la cause. Il y a eu génocide. Mais je n'arrivais pas vraiment à être désolée. Ce n'était que justice, non ? Justice pour leur colonisation en Corée. Ce n'était pas eux mais leurs parents et les parents de leurs parents les coupables, mais pourtant ... J'étais un peu satisfaite. Coupable d'être satisfaite. Mais néanmoins, satisfaite. Je me décevais, mais ce n'était pas la première fois. Alors je me levais, soudainement. Un peu trop abruptement, ce qui attirait le regard sur moi. Tous me fixaient. Tous attendaient à ce que je dise quelque chose. Même Crash. Crash. Lui, désemparé, à la recherche d'un guide à suivre.

La situation était terrible, je le savais. Mais toute sa gravité venait de s'abattre sur moi en un instant. Mes jambes tremblaient, mais je faisais de mon mieux pour que ça ne se soit pas. J'essayais de prendre la parole, mais il y eut juste un croasement assez pathétique qui est sorti. Je me reprenais, et disais sur une voix plus faible que prévue.

- Je vais me rendre sur place.

- Tu déconnes ..?

- Tu crois que j'ai une tête à déconner, Tomoe ?! NON ! Je ne déconne pas, alors tu tiens tranquille le temps que je revienne, compris ?!

La concernée ouvrait de grands yeux stupéfaits. C'était la première fois que je m'adressais à elle sur ce ton. La première fois qu'elle voyait une lueur d'animosité dans mes prunelles émeraudes. Elle essaya de dire quelque chose. Ouvra la bouche. Mais finit par la refermer, ne trouvant pas de mot adapté à la situation. Extérioriser mon stress avait eu l'effet positif de me faire oublier ma panique première. Et je devais en profiter.

- Crash, tu me guides sur place. Je peux compter sur toi ?

- Ouais ...

Il se levait, lentement. Il n'avait plus envie que moi d'aller là-bas. Mais il savait que c'était son devoir. Notre devoir. On se dirigeait vers l'entrée, Soei se contentant de dire.

- Il y aura des bières quand vous reviendrez, 'vous inquiétez pas.

Je fronçais les sourcils, ne sachant pas trop comment interpréter ces mots.

- Ah, heu ... Merci ...

Tomoe se jeta sur moi. Me serra contre elle, avec une rare force qui me coupait le souffle.

- Tu me reviens hein, salope de rousse ?

- Ou-oui ...

L'étreinte dura quelques courtes secondes. J'avais presque envie de rester. Mauvais pressentiment, le même que celui que ma sœur avait. Quelque chose me disait qu'il n'y avait que mort qui m'attendait. La mienne. Mais on se séparait. Et je n'avais pas le choix. L'avais-je eu à un seul moment ?

- 'fais pas de bêtises.

- J'adore tellement en faire, pourtant ...

Gloussements. Regards effrayés échangés. Et pourtant, elle restait à l'appart', et moi je sortais dehors avec Crash. Direction ? L'inconnu. Mais avant l'inconnu, on doit traverser le désert de l'enfer. Désespérément calme et serein. Immobile dans son silence. Il y a ici et là des gens allongés, morts. Mais ils semblent dormir. C'est ce que j'essaye d'imaginer. C'est le plus pratique. Crash et moi n'échangeons pas un mot. Mais d'un autre coté, on pourrait parler de quoi ? *Oh c'est charmant ce parc, j'ai l'habitude d'y aller pour mon footing, sauf que d'habitude y'a pas autant de gens morts sur les bancs* ? Ouais, clairement. Ça le faisait pas. Il nous faut peu de temps pour voir le portail, faille béante dans le ciel. Et qu'il se stoppe.

- J'te laisse là, tu penses que tu trouveras ta route ?

- Ça serait difficile de se tromper.

- Héhé ... Je te dis à tout à l'heure ..?

- Si les Dieux le veulent.

- T'y crois à ça, toi ..?

- Je suis morte et pourtant je suis là à discuter calmement avec toi.

Eclat de rire de part et d'autre. On se sourit, pourtant incertains.

- Fais attention.

- Toujours.

Et nous nous séparions.

- Il est encore temps de reculer.

- Toi et moi savons parfaitement que ce choix n'est plus envisageable.

- Naturellement.

Le monde avait totalement changé, quand la faille fut traversée. Ce n'était rien de ce que j'avais pu voir avant, ici ou au Seireitei. Une immense structure dominait ce plan. Et il y avait des voix. Une inconnue qui se disait soldat en ces lieux. Une autre que j'avais à peine entendue, et dont les mots m'avaient échappés. Et une familière qui parlait de vengeance. Celle de Melody, métisse blonde qui partageait ma vie depuis quelques temps. J'étais rassurée, en un sens. Un allié en ces temps de trouble, je n'aurai pu espérer mieux.

- Je vais finir par croire que tu me stalckes, Melody !

Je m'étais rapprochée, avec un infime sourire sur les lèvres. Mon sabre trônait sur ma ceinture, alors que je posais ma main sur sa garde.

- Oh, la politesse. On me connait sous le nom de Saiwai Naoko. Enchantée de faire votre connaissance, Hyoma-sama.

Je m'inclinais avec grâce, avec toujours ce même petit sourire. J'avais perdu la raison ? Quelque chose comme ça. A vrai dire, maintenant que j'étais au coeur du danger, je n'étais plus paralysée par la terreur. Quand on a plus qu'une voie à suivre, on est libérée. On fait ce qu'on a à faire, le cœur léger. Et le reste ? Advienne que pourra.

-Vengeance ?

Un sourire suffisant empreint sur son visage. Les mots de l'humaine n'étaient pas pour l'ennuyer. Le tuer ? Une arrogance risible, dont il comptait bien jouer. Un grondement extérieur. Pression spirituelle aux origines mystérieuses qui suffisait seule à rendre invivable, pour les esprits les plus faibles, leur dimension. Une dimension dont le premier lieutenant se chargerait de nettoyer le plus tôt possible de tous les intrus la souillant.

Brille son anneau, sur le point de révéler sa véritable apparence. Ultime étincelle faisant s'enrober son objet d'un Rien, pour paraître ne plus exister. Aucun changement visible. Et pourtant, s'amoncelait son sang dans son cerveau, pour y circuler à une vitesse phénoménale. Un esprit dont la prééminence seule suffisait à perturber ceux alentours brouillant leur capacité de réflexion. Une capacité à penser rationnellement déjà entravée pour la plupart par une rage plus ou moins contenue. Une connexion établie avec chacun des esprits intégrant sa sphère d'influence, réduite pour en être d'autant plus redoutable. Commencer à s'immiscer dans les souvenirs de chaque. Cependant, ces individus, pour faibles qu'ils étaient, ne lui laisseraient assurément pas le temps de faire une fouille approfondie de leur psyché. Les occuper ; ils n'attendaient que ça.

-Me tuer ? Fort bien. Mais en ce cas, hâtez vous, car ce qui se prête là à votre regard n'est pas pour se contenter de l'énergie déjà emmagasinée. Observez comme peine à se maintenir ce monde déjà splendide ! Ce que vous voyez là n'est que l'embryon de ce à quoi nous aspirons. Selon vous, combien de destins s’évanouiront dans le néant avant que vous ne me vainquiez ? Un million ? Un milliard ? Davantage ?

Un rire cynique. Autant piquant que bref. Mentait-il ? Pouvaient-ils se permettre d'en douter ?

-Si vous saviez le plaisir que je retire de cette situation... De constater que l'on puisse autant s'émouvoir du sort d'un rien d'âmes. C'est risible au possible. À ma place, vous pleureriez de rire. Pourquoi ne le faites vous pas, d'ailleurs ?

Lever sa main en direction de l'humaine. Sa haine à son égard avait atteint un seuil tel qu'il lui devenait aisé de lui faire perdre la raison. Titiller une masse déjà existante, l'exacerber à un point critique pour la changer en une boule de haine aveugle. Le haïssait-elle à la base qu'il ne devait déjà plus être à ses yeux qu'un élément du décor, ses alliés à proximité devenant, du simple fait de leur présence, les cibles à abattre. Exutoires à sa rage.

Ne laisser aucune chance aux trois combattants restants, dont aucun ne brillait d'une aura particulière. Insignifiants. Tout au plus le Maho pouvait-il afficher un léger rictus à l'observation de l'immaturité apparente de ses opposants. Encore que la vizard ne s'en sortait pas trop mal, malgré qu'elle en fasse trop. Son surplus de politesse à la limite de l'inconvenance ne serait pas pour la sauver. La tare la plus blâmable de ses adversaires ? Leur race. Des shinigamis, au moins d'origine. Insolents par leur essence même, ils étaient, sans que le doute ne soit permis, les pires. Garants de l'équilibre des âmes ? Qu'ils réapprennent donc à respirer. Qu'ils réapprennent donc à rester debout. Qu'ils réapprennent donc à penser. Voilà qui les rappellerait à leurs humbles origines. Pathétiques créatures qui ne méritaient pas qu'il ne bouge un orteil pour les rappeler à leur éphémère conscience ; l'humaine étant, à cet effet, bien partie pour s'occuper de cette basse besogne. Malgré tout, en avait-il fini pour autant ? S'éloigner quelques mètres plus loin, pour ensuite tourner son visage vers un point particulier de la structure. Une dernière entité, qui n'avait pas encore été inquiétée, demeurait toujours dans les parages. Espérait-elle qu'il ne remarque sa présence ? Assez loin pour n'être pris au dépourvu par une quelconque attaque, assez proche pour être audible à l'arrancar.

-Une quantité d'expériences telle qu'il m'est malaisé de filtrer le superflu... Daestra Chibiko ? Voulez vous bien sortir de là ? ... La raison de votre présence ici est différente de la leur. Alors ? Quelles sont vos intentions ?

L’air est vicié, la matière instable, sans empreinte. Ce royaume n’est pas à l’image de ceux ayant déjà vu naître en leur sein le royal aileron. Il respire, vit, se nourrit et geint tandis que nombre d’intrus foulent son sol et s’introduisent sans son accord au plus profond de ses entrailles. Dans son intimité changeante, outragée. Au cœur des limbes, de son âme naissante gît la meute insondée, insondable. Exception faite du monde lui-même et de son fils impérieux juché quelque part sur la structure du palais personne ne semble en mesure de percevoir le danger. Lui n’est pas comme les autres. Cet homme possède un pouvoir sans commune mesure, une marque odorante familière et pourtant inconnue. Sa politesse est une redoutable façade. Malheureusement pour lui nulle muraille n’est assez épaisse pour la Principessa car son regard mort porte au-delà des simples apparences. Aussi lorsqu’un flot de paroles vint emplir les cieux et se marier à d’autres, elle resta muette. Aux aguets. Son incroyable capacité à percevoir l’âme du Monde fut une nouvelle fois très utile car, profitant de sa position il ne lui fut pas difficile d’enregistrer chacune des marques spirituelles en surface. L’organisme est traître, bavard. Une fois les créatures recensées, catégorisées, la matriarche plongea dans une sorte de songe éveillé. Pensant à la manière d’opérer leur retraite sans perte. Difficile, mais pas impossible. Sauf si.

La sérénité déjà vacillante se meut soudain en avatar du chaos. Une onde, colossale, balaye l’univers et lui insuffle ce doux parfum de haine. Cette soif de sang, qui habite si souvent les méandres de SON esprit. Une charmante mélodie. Les esprits s’embrouillent progressivement, ses filles s’affolent. Elle non. A combattre ses démons au quotidien, on finit par s’en accommoder. Sa nature ne la poussait à échafauder moult stratégies en dehors des sentiers du carnage, qu’on l’y invite en refoulant sa réflexion profonde au seuil du Palais de la Guerre ne lui fît guère plus l’effet d’une caresse. Mais lorsque que son nom véritable creva l’océan de paroles sans intérêt, que la croûte terrestre se hérissa d’innombrables pics… Une étrange lueur se mit à chuchoter dans le noir. Et, malgré les supplications de sa progéniture Daestra Chibiko ne put faire autrement que succomber à son appétit. Il lui fallait savoir, avant de fuir lâchement. Se frayer un chemin dans le grand désordre, nourrir sa curiosité et repartir en laissa si nécessaire quelques cadavres dans son sillage.

Une fois la cuirasse épineuse établie, espérait s’immiscer le silence. Encore, et pourtant il n’en fut rien. Au lieu de ça l’air s’emplit de relents ferreux, de crainte et de peur panique. Un cri strident, parfaitement insoutenable explose en dessous, propage l’onde avant de creuser le sol pour que finalement se dessine un embryon de cratère d’où émerge aussitôt monstres volutes pourpres, une escadrille d’acier totalement désorganisée et enfin, les premières arêtes d’une couronne ivoire.

- Puisque vous semblez être en mesure de connaître des choses à mon sujet sans que je daigne vous en informez, peut-être pourriez-vous alors y répondre. Quoique forcer à me découvrir devant vous, soit déjà en soit, une forme de réponse. Alors pourquoi la question ?

Nul doute que cet individu lisait en elle. En eux tous. A savoir par quel moyen, peu importe. Il venait de compromettre son extraction, ou du moins la pousser en ce sens. Ne lui restait plus qu’à savoir qui de lui ou des autres malheureux alentour gagnerait son courroux. Lui servirait de tremplin vers une fuite nécessaire. Vitale.

Ce qui se passait autour d'elle ne l'affectait en aucune manière. Qu'on la rejoigne en première ligne ou qu'elle doive mener ce combat seule importait peu. Sa colère était telle qu'elle ne pouvait être contenue ou endiguée. Il n'était plus de son ressort de choisir de la laisser ou non s'exprimer ; elle le devait. C'était une nécessité, un besoin vital que Melody ne pouvait aucunement négliger. Pas après ça. Cependant, si une chose ne changeait guère de ses habitudes, ce serait la façon de procéder. Même à l'aube de la fin du monde, c'était la musique qui parlerait. C'était ce qu'elle avait décidé, ainsi que ça devait être fait. Et elle souhaitait à ce monstre en costume d'homme d'apprécier sa musique, car c'était la dernière qu'il entendrait.

C'était en tout cas ce qui aurait dû se passer. Ce à quoi elle était déterminée. Ce vers quoi tout son être tendait. Même si c'était gâcher la vie qu'il lui restait – seule rescapée jusqu'à preuve du contraire de cette récolte macabre. Même si c'était courir à sa propre mort. Chose curieuse que de se dire qu'elle allait peut-être périr pour les habitants d'une ville dont elle ne savait rien et ignorait jusqu'à l'existence un an auparavant, mais c'était sa manière d'être. Elle ne pouvait pas fermer les yeux. Elle ne pouvait pas rester les bras croisés. Pas oublier. Jamais, et encore moins maintenant qu'elle avait la force de changer le monde. Serait-ce assez ? Peut-être... Ce n'était qu'en essayant qu'elle le saurait.

...Naoko... ? Je...

Son apparition lui avait fait l'effet d'une gifle retentissante, tant elle était aussi improbable que soudaine. Elle cligna des yeux plusieurs fois pour s'assurer que ni sa vision ni son esprit ne lui jouaient des tours, et même comme ça n'arriva pas à y croire. L'idée de sa mort avait déjà fait son petit bout de chemin en son coeur, et venait de se briser net. Un lointain élan de méfiance lui suggéra que ce pouvait être une ruse de l'ennemi, mais ça n'en était pas une. Elle savait au fond d'elle-même que ça ne l'était pas. Sa belle détermination s'était envolée. Tout ce qu'elle avait fulminé sur le trajet était parti en fumée. Son trouble était tel qu'elle faillit en oublier où elle était, ce qu'elle s'apprêtait à faire. Sa voix tremblait.

Je suis tellement contente de te voir...

Elle aurait voulu pouvoir lui sauter au cou. La serrer dans ses bras et pleurer toutes les larmes de son corps, puis s'endormir d'épuisement. Une chose qu'elle n'avait jamais fait et ne pensait jamais faire – t'es une fille forte, oui ou non ? –, mais dont elle avait terriblement envie à cet instant. Dormir et oublier tout ça. Se réveiller et se rendre compte que ce n'avait été qu'un mauvais rêve, ou du moins s'en convaincre. Laisser les autres régler cela à leur place. C'est là que son raisonnement se brisa. Trop facile, tu crois pas ? Non, c'était là un luxe qu'elle ne pouvait se payer, même avec tous ses moyens. Parce qu'elle était trop forte pour ça. De faire demi-tour, elle n'avait plus le droit.

On le lui avait dit et répété. Elle était un monstre. Une entité contre-nature. Quelque chose qui ne devrait pas exister. Son degré de puissance allait bien au-delà de celui de tous ceux qu'elle avait rencontré. Peut-être du sien aussi. se dit-elle en observant Hyōma à la dérobée. Et c'était bien pour ça qu'elle n'en avait pas le droit. Il était fini, le temps où elle pouvait se dire qu'avec ou sans elle, ça ne ferait aucune différence. Parce que ce fabuleux potentiel enfoui en elle était de taille à tout changer. Si elle baisait les bras et que l'ennemi devait sortir victorieux de l'affrontement à venir, elle vivrait hanté par la pensée que ce n'aurait pas été le cas si elle avait été là. Tel était son propre et véritable fardeau.

On parlera plus tard.

Elle désamorça son étreinte à regrets, mais lui sourit à la place. Si cela ne dura qu'un instant, Naoko n'y vit pas moins son éclat de toujours. La guitariste n'eut pas de mal à retrouver tous ses moyens. Même si son amie était en vie, ce n'était pas le cas de tous ces malheureux, moissonnés au nom de quelque funeste projet. Si l'être abject qui se tenait devant elle croyait la déconcerter à proférer de telles atrocités, il se trompait lourdement. Présenter les choses de cette manière mettait en exergue le fait que s'il était trop tard pour ceux étant déjà tombés, il y avait encore quelque chose à sauver. Ce qui emplissait le coeur à vif de la jeune artiste d'une joie sauvage.

Si c'est ça, c'est simple...

Le ton de sa déclaration était léger, presque enjoué. De guerre elle était pourtant, et si douces soient ses intonations, elles ne trompaient personne tant son regard brillait par sa férocité. La petite amazone qui était en elle allait faire un retour en fanfare. La commissure de ses lèvres s'était relevée en une ébauche de sourire matois, mais c'étaient les mâchoires d'un fauve que semblait cacher ce doux minois. L'heure était venue pour elle de devenir une enfant sauvage. L'aura crépitante qui saillit de sa silhouette acheva de lui ôter les derniers airs chétifs qu'il lui restait. Son âme de guerrière était en feu, et c'était le bûcher sur lequel deviendraient cendres tous ceux à lui avoir déplu. Le monde qui ne devait pas être s'ébranla sur ses fondations.

Je vais détruire cet endroit.

À avoir trop tenu la bride de ses capacités pour ne pas défigurer le paysage, Melody en avait presque oublié ce que ça faisait de lui laisser libre cours. La perspective de pouvoir enfin se le remémorer lui procura un plaisir coupable et lui donna l'impression que sa psyché se libérait de chaînes qu'elle lui avait elle-même créé. Tout casser, ça, j'sais faire. Démolir ce qui avait été bâti sur les cadavres de ces millions de trépassés... À cette minute, elle ne voyait pas ce qui aurait pu lui procurer plus grande satisfaction. A part peut-être de voir ce sinistre individu rester dans le chemin et en payer le prix. Néanmoins, avant que les premiers accords aient pu s'élever, un voile noir se déposa sur sa conscience. Malgré cela, les épieux qui ne rencontrèrent pas le néant vinrent se briser sur ses remparts, ne la condamnant qu'à de bénignes éraflures.

Sa fureur était sans doute plus maîtrise que Hyōma ne l'aurait cru – et voulu. De plus, l'arrivée inopinée de Naoko avait grandement contribué à tempérer ses ardeurs. Impossible pour elle de nier toutefois son violent désir de s'en remettre à la force pour cette seule fois, d'échapper à la rancoeur qu'il avait fait naître en son coeur. Lui, et qui sait d'autre avait pris part à ce dessein aussi noir que les ombres dont ils usurpaient le nom sans en avoir la noblesse. Tomber sous sa domination n'était pas si grave. Non seulement elle avait eu le temps de prévenir, mais en plus l'on voyait ses attaques venir de loin. Son style de combat était semblable à la manière qu'elle avait de se comporter sur scène : on ne pouvait pas la rater. L'air vibrait comme une ligne à haute tension.

Melody – ou plutôt son corps, régi par une entité de pure virulence – enchaînait les notes à un rythme effréné, ses doigts s'agitant comme s'ils étaient possédés sur les cordes qu'ils n'en finissaient plus de pincer. Dans la bulle qu'elle avait elle-même créé, personne ne serait à l'abri. Pas à moins d'avoir veillé à y être avant qu'elle ne commence à jouer. Le ciel lui-même parut leur tomber sur la tête alors que le sol se crevassait, éventré sous la brutalité des premières secousses, agrégées en autant de sphères denses et compacte pour mieux ravager l'immensité dorée. Son but était moins de nuire à l'ennemi que de réduire à néant ce pourquoi ils avaient été si loin. Inhumains. N'être pas dans son état normal n'y pourrait rien changer. Sa conscience se rétablit à grande peine. C'est pas vrai, espèce de...

Aidez-nous. ahana-t-elle à l'Arrancar qui venait de sortir de terre. Je ne sais pas qui vous êtes ni pourquoi vous êtes ici, mais... Aidez-nous, et vous aurez ce que vous voudrez de moi. Mais je ne partirai pas d'ici tant que ce type sera debout.

Elle darda sur l'intéressé un regard mauvais. Meurtrier.

Pas tant qu'il sera en vie.

- Coucou Melo' !

Je lui avais dis ça sur un ton léger, agréable. Alors que la situation ne s'y prêtait pas. L'environnement était angoissant, l'ennemi terrifiant. Il y avait quelque chose d'étrange dans l'air. Quelque chose qui troublait mes pensées et mon être, m'empêchait de réfléchir aussi bien que normalement, même si normalement, c'est quelque chose de très surfait. Inconscience frôlant l'indécence, étreinte de courte durée avec ma métisse qui fait mon bonheur de chaque jour. Je lui adressais un sourire plaisant, et me contentais de lui chuchoter.

- Oui, on parlera plus tard. Autour d'un bon chocolat !

Petit gloussement, alors que je me retournais vers Hyôma, lieutenant d'un roi qui n'était pas le mien. Je dégainais lentement ma lame, avant de la pointer en sa direction, me contentant de lui dire sur un ton amusé qui m'était bien étranger.

- Désolée, ce n'est pas contre vous.

Ce qui était vrai et faux. Je n'avais nul tort contre lui, ce n'était pas sa faute si je ne l'aimais pas. C'était un connard plein d'auto-suffisance, ce n'était pas sa faute. Tout ce que je souhaitais, c'était juste lui faire dévorer un peu de poussière. Et après, juste après, on ravagera cette effroyable plan. Oui, ça sonnait bien.

- Ban ... KAI !

Un faisceau de lumière s'abattait sur moi, et après quelques secondes, j'en ressortais avec un manteau en fourrure ébène, capuche rabattue sur mon visage, un serpent squelettique aux yeux saphirs enroulé autour de mon torse, alors que sa tête était posée sur mon épaule droite. L'ennemi était formidable, et si je souhaitais lui tenir tête, il me fallait l'être tout autant, si ce n'est bien plus.

Je faisais un pas en avant. Préparais les techniques que j'avais mis des siècles à maîtriser. Mais j'étais stoppée nette en plein élan. L'impression qu'on m'avait déconnectée. Mes muscles ne répondaient plus. Je n'arrivais plus à réfléchir. Mots décousus qui s'échappent de mes lèvres, alors que je tombe à genoux, impuissante. Incompréhension la plus totale qui peut se lire sur mes yeux, alors que le néant s'installe dans mon esprit. Avant qu'un épieux me transperce la poitrine. Si j'avais pu réfléchir clairement, j'aurai observé que c'était une blessure nette, précise. Une frappe visant à tuer.

- Oh.

Mes pensées étaient toujours aussi confuses. Je ressentais à peine la douleur. J'étais pourtant sûre que ça ferait plus mal. J'avais reçu des blessures moins importantes et avait pourtant eu l'impression de mourir. Ce n'était pas le cas, ici.

- Taeyong, Taeyong ! Ne m'abandonne pas, il faut qu'on-

- Je sais ... Je vais, juste ... me reposer, un ... peu ...

Face contre terre, si j'avais pu réfléchir, je me serai flagellée pour ma stupidité. Pour mon inconscience. Aurais regretté tant et plus de choses. Aurais sangloté. Mais ce n'était pas le cas. Je m'éteignais, mais au fond, ce n'était pas si terrible que ça.

Délai dépassé pour Genzaburo.

C'était le deuxième tour qu'il ratait, il est exclu de l'Event et encaissera une pénalité.

À Teippei de poster.

— Melody

L'impétuosité de l'humaine n'était pas pour lui ravir. Bien sûr, le surplus de rage insufflé à cette mortelle allait pour lui faire perdre la mesure de la situation, justifiant une témérité souhaitée ; restait cette irritante constatation de ne point l'aveugler comme il l'espérait, l'autre vizard aillant, selon toute vraisemblance, catalysé sa fureur au point de la changer en force. Une force suffisante pour égratigner l'objet de leur fierté, à eux, Maho Tsukai ; une dimension âprement acquise.

La détruire ? Se laisser surprendre par l'émergence d'une violente vague d'énergie, aboutissant à l'irruption d'innombrables pieux. Ces pieux vinrent empaler ses adversaires, mettant deux d'entre-eux hors d'état de combattre. Manifestation violente de l'appétit insatiable de leur monde. Un monde gagnant chaque instant en prestance, pour virer l'instant d'après vers la dégénérescence par l'initiative de la jeune fille. Pourfendre l'onde de choc envoyée à son encontre par le biais d'une lame télékinétique. Une capacité subsidiaire à son pouvoir, qu'il ne pouvait guère utiliser que contre de modestes attaques. Sans doute que le premier lieutenant de Koga n'aurait pu contrer cette salve avec autant d'efficacité s'il en avait été l'épicentre.

L'expression placide, malgré la provocation de l'humaine. Hyôma portait en lui assez d'expérience pour ne se laisser emporter pour si peu. D'autant qu'il faisait de la manipulation l'essence même de ses capacités. Analyser froidement la situation. Chez cette fille, un potentiel intrinsèque à ne pas mésestimer. De l'intérêt de l'annihiler prestement. De mettre toutes ses chances de son côté pour briser ce qui pouvait n'être que son dernier rempart. Un dernier rempart... Une étape, plutôt. En effet, la quantité d'ennemis à abattre était encore loin de se tarir ; que ce soit ici-bas que dans le monde des humains.

Un sourire se dessina sur sa figure tandis que se manifesta l'arrancar. Créature qui ne s’embarrassait pas des formes, pour en venir tout de suite à l'essentiel. En cela, elle n'était pas pour lui déplaire. Peut-être même éprouvait-il un soupçon de sympathie à son égard. Une sympathie aillant déjà éveillé en lui, aux premiers instants, une idée précoce, qui allait pour se confirmer. Sonder son esprit, certes, assez pour cerner le personnage ; mais là survenaient ses limites. De la complexité d'actualiser continûment les pensées des individus sous son influence l'empêchait d'entrevoir avec certitudes les réactions que celles-ci pouvaient avoir. Tout au plus était-il en mesure de se donner une idée de l'action à venir de l'objet de son emprise par l'observation transverse de son passé, il n'en restait pas moins un facteur supplémentaire à prendre en compte. Ce facteur brouillait considérablement ses facultés d'anticipations. Ce facteur, c'était la situation présente, inédite à ses interlocuteurs, qui ajoutait à l'alchimie, effective de leurs pensées, une part d'inconnue.

De voir l'humaine tenter de ranger Daestra de son côté n'était pas pour s'entrechoquer avec ses propres intentions. Manipuler la psyché du requin pour en accentuer la perception de la faiblesse de Melody ainsi que de Teippei. Une faiblesse telle qu'elle ne pourrait guère espérer d'eux un soutien réel au cas où elle déciderait de les rejoindre dans leur combat contre le Maho.

-Il semble que cette jeune fille voit en vous une puissance suffisante pour m'éliminer. Je ne puis lui donner totalement tort. Ensembles, vos chances sont minimes, mais réelles... Cependant, dans l'éventualité de ce scénario, soyez assurée que je saurai vous emporter avec moi dans le trépas.

Marquer une courte pause. Une pause suffisante pour laisser à sa vis-à-vis le temps d'intérioriser les enjeux du choix qui allaient se profiler devant elle. Car choix, il y aurait.

-Un ancien shinigami... Un ancien arrancar... Nous ne sommes pas pour nous fermer à de nouvelles... incorporations. Bien sûr, il vous faudra prêter allégeance à notre chef, Koga. Mais quelle vétille au regard de ce que vous pourriez obtenir en échange... Vous doter d'une puissance inconsidérée ? C'est en notre pouvoir ! Mettre à genoux le Rey de Las Noches ? C'est en notre pouvoir ! Réaliser vos ambitions ? C'est en notre pouvoir ! Ces mots pourraient devenir votre réalité... Une seule condition à cela : aidez moi à achever nos ennemis d'aujourd'hui. À moins que vous ne ressentiez de la compassion à leur égard... Alors ? Êtes vous avec nous... ou contre nous ?

Une manipulation partielle. Bien sûr, tout était mis en œuvre pour faire de cette arrancar une alliée, mais là s'arrêtait l'artifice. Car il s'agissait bien d'une proposition sincère, leurs effectifs actuels risquant de demeurer insuffisants pour tenir sous leur domination les autres mondes. Juggernaut ne pouvait plus se charger d'administrer l'Hueco Mundo ? Peu importe. Daestra ferait une remplaçante idéale.

-Décidez vite, et bien.

Le rythme s’accélère. Les auras se déchaînent, hurlent, et se fracassent les unes contre les autres pour ne former qu’une seule et formidable engeance. Du fond de son cratère la Principessa subit sans broncher. Sa carapace bien que fissurée par endroits demeure, encaisse vague après vague ce déferlement de haine. L’Être s’en nourrit, se renforce. Une bataille se profile, sonne les premiers accords d’une mélodie qui lui est tant appréciable que familière. Et si la plupart de ces ondes perturbent un temps sa perception du monde, ses sens ne perdent guère le fil narratif. A peine l’ode à la guerre s’installe-t-elle que les faibles s’écroulent. Leur pitoyable existence s’affaisse en même temps que leur arrogante forteresse de papier. On ne freine pas le destin, on ne se joue pas de la nature ni de son principe le plus élémentaire. Qu’importe la beauté de l’arbre et sa grandeur, soumettez-le aux bourrasques et il n’en restera que le support, imperturbable. Une montagne d’ivoire dressée, impassible face au vent. Un vent mielleux, et suppliant. Traître. Le roc ébréché pivote alors tranquillement en direction de celui-ci. Une silhouette flamboyante, fragile, humaine. Arrogante, car telle est la nature de sa race périssable. Ephémère, et donc dispensable.

- Ce que je désire, ne pourrez me le donner. Sauf à l’état de cadavre. Le prédateur ne peut offrir au gibier que le salut de son âme. Voyons comment la vôtre se défend. Nous déciderons ensuite.

Un bras se tend vers la créature de chair et de sang tandis que le visage armé d’un sourire se tourne à nouveau vers le mystérieux hôte de ce monde en perpétuel mouvement. La paume ouverte s’anime, s’illumine et laisse jaillir tel un geyser quantité de lames énergétiques instables. Leur trajectoire est hasardeuse, mais leur cible bien précise.

Après quoi la femelle impérieuse, dont l’attention se porte exclusivement sur les ténèbres incarnées fait face et se dresse, avant de doucement s’élever au cœur des cieux. Entourée de volutes pourpres, d’une escadrille aux aguets et de sa meute toujours enfouie la prédatrice boit silencieusement les paroles de l’individu haut perché. Ses caresses s’accompagnent d’un curieux sentiment de puissance à l’égard des autres monstres présents. Comme si on essayait d’appuyer son propos de manière à faire pencher la balance. Si l’effet escompté s’imposa sans le moindre mal au creux de son esprit, cela ne put en revanche lui porter préjudice. Nul besoin d’artifice pour qu’elle prenne parti. Si cet individu était effectivement capable de sonder son âme, alors il avait pu voir en elle la trahison, le meurtre, la douleur perpétuelle. Sa jeunesse au Gotei. L’abandon. La torture. Le conditionnement, l’internement, la renaissance et cette liberté qui ne dura que le temps d’un nouveau meurtre. Un cycle. Allégeance, trahison, errance et maintenant quoi ? Conditionnement, assassinat ou adoubement ?

- Ces mots, ne sont que des mots. Nul Ordre ne s’offrira jamais plus mes services sans que je puis m’assurer au préalable du bien-fondé de son titre. M’accorderez-vous cette danse ?

Les innombrables fragments d’aciers se mirent alors à tournoyer. Toujours plus vite, toujours plus fort. Bientôt, c’est un cône de poussière et de débris qui se dessina, engloba Daestra et la fit disparaître aux yeux de tous. Elle dansait, dans l’attente de cueillir son chevalier par la main et de l’entraîner vers l’œil. Si personne ne daignait venir, alors la puissance de cette tornade forcerait les choses et les attirerait tous en son sein. Il leur faudrait l’étreinte pour mériter son aide, pour revendiquer. Elle ne s’offrait plus aussi aisément, non. Pas alors qu’elle devait maintenant vivre avec son rôle de Mère.

Oh, ma tête... geignit-elle, portant une main à son front.

L'esprit encore embrumé, c'est à peine si Melody perçut un lointain écho de la libération de Naoko. Elle n'eut que le temps de se retourner pour la voir se faire embrocher, victime des pals qu'elle avait elle-même dévié sans plus s'en inquiéter. La vision d'horreur que ce fut pour elle se grava dans sa rétine si profondément qu'elle toucha jusqu'à son coeur. La douleur qu'elle en retira fut telle qu'elle aurait aisément pu croire que quelqu'un venait de s'en saisir et le serrait entre ses doigts jusqu'à éclatement. L'exclamation effarée qu'elle aurait dû avoir mourut dans sa gorge sans jamais la quitter tandis qu'elle se projetait vers elle, oubliant jusqu'à la présence de l'ennemi qu'elle devait combattre. Qu'il l'attaque en traître, si bon lui semblait. Mais ça, ça n'arrivera pas. Non, jamais.

Ça va aller.

Elle ignorait si Naoko était encore consciente, mais c'était de toute façon plus pour elle-même qu'elle prononçait ces mots tandis qu'elle pressait sa main sur la plaie. L'exercice n'était pas lui non plus pour la rassurer. C'était la première fois qu'elle s'essayait à soigner quelqu'un d'autre qu'elle-même, et elle devait bien avouer que l'exercice n'était pas aussi facile qu'elle aurait pu se l'imaginer. Même si, pour sa défense, la tension du moment ajoutait encore à la complexité. Le mieux qu'elle put faire fut de refermer la blessure. Que cela ait suffi à la remettre en parfait état n'était que de l'ordre de la supposition. Si se rafistoler elle-même la laissait bien sûr savoir si elle avait encore mal, elle ne pouvait ici se fier qu'au jugé. Bien peu de choses...

L'opération lui parut ne pas connaître de fin, tant la sensation d'avoir sa vie entre les mains l'écrasait sous une pression dont elle se serait bien passée. Il fallut attendre qu'elle estimât ne rien pouvoir faire de plus pour la voir se relever et reculer d'un pas trébuchant, laissant à sa chère amie l'espace qu'il lui fallait pour se reposer. L'adolescente n'était nullement tentée à l'idée de l'abandonner là pour retourner au combat. Mais il fallait. Il doit payer. Le halo de puissance qui se dégageait d'elle, retombé à presque rien pendant qu'elle appliquait ce qu'elle aurait qualifié de « premiers soins », reprit du poil de la bête et se déchaîna en un grondement spectaculaire. Elle fit volte-face, marchant lentement vers celui qui par ce geste avait signé son arrêt de mort.

Vous ne l'aurez pas. Je ne vous laisserai pas me la prendre. Pas elle.

L'aspect décousu de ces dernières phrases aurait volontiers laissé à penser qu'elle était encore sous l'influence de la colère que lui avait inspiré Hyōma, mais il n'en était rien. C'était en pleine possession de sa lucidité qu'elle marchait vers lui, déterminée à le faire tomber – avant que lui et les siens ne fassent plus de victime. De cette ville à laquelle son univers s'était résumé pour cette dernière année, Naoko était tout ce qu'il lui restait. Elle était évidemment bien plus que ça aussi, mais c'était déjà bien suffisant pour ne pas tolérer qu'on lui fasse le moindre mal. Ils en avaient déjà bien assez fait et il était temps que cela cesse. Aussi, bien qu'elle ait eu tout le temps qu'il lui fallait pour voir venir cette attaque, elle ne fit pas un geste pour éviter la salve énergétique qui fondait droit sur elle.

Laissez tomber. Je n'ai pas le temps de jouer. trancha-t-elle sèchement.

Sa guitare cracha d'elle-même une note, une simple note grâce à laquelle le sol se fracassa sous les pieds de sa maîtresse pour lui ériger un rempart parmi les débris. Le second tir, quant à lui, passa à travers, mais il lui suffit d'un mouvement rapide de la main pour l'empalmer et le faire disparaître – au profit d'une brûlure notable, mais dont la douleur lui parut si distante sur le moment qu'elle aurait aussi bien pu ne rien sentir. Pas une seconde son regard de jade ne se posa sur l'instigatrice de cette attaque infondée, pas plus qu'il ne le fit quand il vira au jaune le plus électrique et que d'immenses ailes d'acier jaillirent de son dos tandis que son pouvoir se libérait de ses chaînes. Plus de pitié. Pas de quartier. se commanda-t-elle. Pas avant que tout ça soit terminé. Regarder droit devant elle, et continuer sans s'arrêter.

Le cyclone pourpre qui manqua de l'arracher du sol n'attira pas plus son attention, même si sa faculté réagit d'elle-même en faisant éclater la surface dorée à chaque pas qu'elle faisait pour l'y maintenir. La lacération était réellement douloureuse et son corps en fit les frais plus qu'elle n'aurait pu le penser, couvert d'estafilade à la profondeur variable. Sa tenue ne fut pas longue à s'imbiber du sang qui ruisselait de ses plaies, mais le vide total qui s'était fait dans son esprit pour ne plus faire d'elle que l'instrument de sa propre vindicte lui intimait d'en faire fi. Et ce fut fait. Puis, un air si doux qu'on l'aurait sans peine confondu avec une berceuse s'éleva depuis les profondeurs de la tourmente et les entailles commencèrent à disparaître, gommées de sa chair comme si elle n'était qu'un dessin qu'on préserve d'un mauvais coup de crayon.

Allez cogne, ma fille.

Soudain, son pas tranquille s'accéléra. Son être tout entier fut projeté en avant, comme avalé par le vent, tandis qu'elle annihilait la distance restante entre elle et le beau parleur au verbe empoisonné qui ne lui avait déjà que trop pesé. Ce qu'elle voulait, ce n'était point lui briser la mâchoire, encore moins lui faire taire à jamais. Pas plus que d'entendre ses cris de douleur ne la réjouirait (quoique...). Ce qu'elle voulait entendre de sa part, c'était un mot d'excuse. Qu'il demande pardon pour ce qu'il avait commis en se prosternant non pas à ses pieds, mais devant tous ceux qui avaient disparu dans l'abîme. Mais cela, elle ne l'aurait jamais, et elle ne le savait que trop bien. Et peut-être était-ce ce qui la faisait le plus enrager lorsqu'enfin elle fut en mesure d'armer son bras.

De la part de la jeune fille.

La guitare virevolta dans les airs, tourbillonna, prit des airs d'hélice gigantesque. Tout ce que dut voir le Mahō Tsukai fut l'éclair ambré quand il s'abattit en direction de son crâne, visant sa tempe. Puisque son esprit aiguisé était le siège tant de ses pouvoirs que de sa fierté, ne restait plus qu'à voir comment il réagirait s'il devait en être privé, livré à lui-même et à sa faiblesse ne fut-ce qu'un bref instant. C'était une offensive un peu barbare pour elle, mais son désir le plus cher étant de le désarmer pour lui faire voir combien il pouvait être fragile lui aussi, elle n'avait pas d'autre façon de procéder. Avant même d'avoir pu constater de l'efficacité du choc, elle fit pivoter l'énorme masse qu'elle maniait avec une aisance qui, en d'autres circonstances, l'aurait elle-même épatée. Cette fois, elle attaquerait par en-bas.

Elle dévia la course de l'instrument d'une poignée de centimètres, curieuse de voir comment il se comporterait si son genou venait à n'être plus que bouillie d'os et de chair entremêlés. Qu'elle touche seulement, et sa souffrance serait-elle que si grands soient les airs qu'il essayait de se donner, il regretterait d'être né. C'était à elle de choir. À elle de partir pour que les autres puissent rester. C'était ainsi qu'il en avait toujours été. C'était ce qui la définissait. Alors pourquoi était-elle encore là alors que tant d'autres étaient déjà tombés ? On ne lui avait pas demandé son avis. On ne lui avait pas laissé le choix. Mais en se dressant contre lui, elle en faisait un. Celui de mettre sa propre vie en jeu pour les venger. C'était bien tout ce qu'elle pouvait faire pour tous ceux que ce crime envers l'humanité n'avait pas épargné.

Elle avait charge d'âmes, et elle les emmènerait sur ses ailes d'argent, aussi loin qu'elle pourrait aller. Puisse sa destination n'être pas l'oubli dans lequel ils avaient eux-même sombré. Puisse aucun soleil ne venir la consumer...

Une créature n'ayant point succombé à la mise en scène pathétique orchestrée par l'humaine. Une qualité déterminante pour la charge qui allait lui incomber, potentiellement. Souriant, dans l'attente d'une réponse espérée positive. Non pas qu'il voyait en cette arrancar une alliée indispensable. Plutôt, une envie modérée d'avoir à faire directement montre de la violence, préférant de loin observer ces bêtes s’entre-tuer. Manque de raffinement que de se salir soi-même les mains. Le raffinement, un luxe dont, vraisemblablement, il ne pourrait jouir en l'état. Une femme requin incommodante, souhaitant le mettre à l'épreuve. D'oser inverser les rôles. Lui en tenir rigueur ? Cette initiative était, certes, d'une arrogance sans nom ; elle n'en demeurait pas moins intelligible. Un murmure inaudible.

-Pauvre sotte...

Malgré tout, faire preuve de mansuétude, une armure invisible enrobant son corps. Une concentration telle qu'il lui était malaisé d'esquisser le moindre geste, les lames de la tornade se voyant rompre par un corps imperturbable. Lui enseigner l'attitude adéquate en présence d'une entité supérieure ? À peine cette idée l'effleure-t-il que se déporte juste devant lui l'insolente mortelle. Pris au dépourvu. Résolu à encaisser le coup. Coup qui lui vient sur le crâne. Un choc violent, faisant s'effriter son armure, en même temps que son sang froid.

-Tss...

L'irritation d'être ainsi à la merci d'un ennemi, quel qu'il soit. Une nouvelle expérience dégradante. Misérable. Se crispe son expression, jusqu'alors placide, à l'éclatement de sa seconde peau. Fléchir. Un genou endolori au sol, la mine mauvaise. De se sentir regardé de haut par une... gamine. Une humiliation. Le touche t-elle qu'un tumulte intérieur afflige son enveloppe charnelle. Malgré tout, se contenir. La fierté lui fait serrer les dents, des filets de sang s'échappant de ses lèvres tremblotantes. La frustration d'une impuissance momentanée. Pas le moindre cri. Souffre-t-il le martyr, une partie de ses os se fracturant, que les dégâts infligés paraissent superficiels, d'un point de vue extérieur.

Prendre sur lui pour se relever, l'air nonchalant, impassible. Une rage muette émane de lui. Non loin de lui, surgit une entité mal considérée. Immobilisé par six bandes de lumière. Bouger ? Ce n'était, de toute, en rien dans ses intentions. Enfermé dans une cabine d'énergie. Les piques spirituelles entament tout juste sa chair qu'une explosion télékinétique éjecte net cette prison menaçante. Sanguinolent, l'habit tailladé de part en part. Pour autant, pas la moindre manifestation de faiblesse. Au contraire, l'allure d'un prédateur blessé, dont le courroux ne présageait en rien le bon sort de ses opposants à proximité directe. Qu'ils craignent... Qu'ils le craignent... Ces déchets... Ces moins que rien. Une aura meurtrière, ô combien amplifiée par son emprise spirituelle. D'incruster, dans l'esprit de ses deux adversaires, une frayeur tétanisante. Ces vermisseaux... Ces vers de terre arrogants... D'exploser, subitement, dans un éclat autant bref qu'intense.

-DISPARAISSEZ !

S'abattent aussitôt, sur Melody et Teippei, une rafale de coups télékinétiques. Invisibles. Véloces. D'une violence rare, de sa part. Une tempête de frappes imperceptibles, mettant à mal chaque parcelle de ce qui devaient devenir deux carcasses. L'assaut asséné, reporter son attention sur Daestra, plus lointaine. Quelle serait sa réaction ? Elle aussi, il devrait l'écraser ? Très clairement, le moment n'était plus celui des mots feutrés. L'heure était aux actes.

- Voilà qui n’est pas très poli…

L’indifférence. Un outrage à sa royale personne, mais qui ne la surprit outre mesure compte tenu des circonstances. Depuis qu’elle avait fait irruption au cœur de la bataille Daestra ne s’était guère sentie en odeur de sainteté. Sa présence, sa neutralité sonnait comme un affront aux yeux des autres combattants. Qu’un Arrancar, avatar même du chaos et de la haine se dresse face à tous en clamant n’être ici que pour récupérer le fruit de son amour souillé et se déclare inapte à rejoindre les rangs d’un quelconque parti aurait dû paraître suspect. Au lieu de quoi chacun ici avait cherché à s’approprier son Être, à lui faire rallier une cause plutôt qu’une autre. Peine perdue. Pourtant, ce ne fut pas faute d’exprimer ses intentions, de façon claire et directe. Voir ainsi son argumentation glisser telle la caresse du vent contre les remparts d’un mépris inavouable redoubla chez elle, cette sensation de gêne et de colère.

L’hôte de ces lieux à défaut de répondre se contenta alors de cracher, d’ignorer sa requête et d’accueillir les vagues hostiles le plus naturellement du monde. Sans se soucier un instant de ce que cela pourrait engendrer. Ici, l’incompréhension. Si les mots ne pouvaient suffire à convaincre l’hybride du bénéfice à tirer de telle ou telle alliance, même éphémère, voir l’une de ses plus puissantes attaques ainsi balayée ne l’aida toutefois pas à trancher. Il lui faudrait une preuve plus concrète. Plus… Douloureuse. Ce n’est qu’en se confrontant à un éventuel allié que nous sommes en mesure de reconnaître sa force et donc, sa supériorité. Légitime.

Aussi lorsque la gamine embrasa le ciel de sa crinière flamboyante pour fondre sur l’ennemi, la Principessa ne fit qu’observer. Et se repaître de son sang recueilli quelques instants auparavant par son escadrille. Une humaine, une coquille de chair et d’os si fragile mais néanmoins avide de reconnaissance en tant que guerrière. Souvenir d’une existence révolue. Désireuse de partir mais aussi de rester et danser, succomber à la fougue destructrice. Pour quoi, pour qui ? On ne peut certainement fuir ni se libérer des entraves posées par l’instinct bestial. Or le seigneur de ce monde ne semble pas vouloir se décider lui non plus. Agir promptement, lui imposer ses choix.

A peine le curieux outil de la chandelle reposé, à peine le bras du bourreau tendu, l’onde chante. L’enveloppe se meurt, se disperse tandis que la cuirasse crève le temps et l’espace. En un battement de cœur la voilà qui se dresse, s’interpose entre les deux tourtereaux. En un battement de cœur, la plante de son pied percute l’échine d’une autre. Le danger, perçu tantôt, est bien réel. Le supplice lui sera volé, pour qu’enfin son jugement se mêle au geste et que le ballet s’engage. C’est ainsi que survient, enfin, la souffrance. La défense d’abord, pavois de métal réduit à néant. Le craquement singulier d’un os qui se brise. Les débris, multiples, de sa carapace pulvérisée par endroits sous les coups invisibles aux conséquences bien réelles. Le sang, son sang qui jaillit en abondance des sillons creusés çà et là. Un sourire, sanguinolent, malsain, qui déchire le masque habituellement impassible. Et monstres volutes ici, là, partout. Aussitôt la horde d’acier s’alarme, se regroupe aux endroits les plus touchés. S’agglutinent. Son corps meurtri, tout entier se régénère au rythme d’une pulsation lumineuse régulière. Salvatrice. Le requin se redresse alors péniblement, sans cacher son mal. Tourne vers l’hôte ses orbites caves, et son rictus en dents de scie.

- Il fallait donc que je vienne à toi, c’est cela ? Et bien… Me voici. Et si nous dansions, maintenant, Ami ?

Quoi, c'est tout ? Si grave soit l'heure, la guitariste devait s'avouer passablement déçue. C'était bien la première fois que l'on résistait à ce point à ses assauts, sur lesquels elle n'avait pourtant pas lésiné. Ainsi donc, son pouvoir pouvait raser des montagnes et était impuissant à terrasser un homme seul ? La sélectivité de la chose l'aurait laissée pantoise si rester immobile trop longtemps n'était pas ici synonyme de mourir sur place. Et, tout compte fait, elle refusait de quitter cette Terre (ou n'importe laquelle) dans un environnement aussi clinquant. Quitte à passer l'arme à gauche dans un truc tape-à-l'oeil, j'ai l'embarras du choix et j'préfère encore choisir moi-même. Les salles de concert de mauvais goût, ce n'était – hélas ! - pas ce qui manquait.

Le terrasser allait donc demander une correction un peu plus salée que celles qu'elle avait pris – malgré elle – l'habitude de donner. Qu'à cela ne tienne. La chanteuse en avait encore sous le pied et ne demandait qu'à le laisser s'exprimer. Prise dans le feu de l'action et n'ayant dès lors pas la possibilité de libérer ses mains à son gré, elle repoussa d'un souffle léger les mèches qui lui cachaient la vue. Elle l'avait touché. Il flanchait. Cela voulait dire qu'il pouvait être vaincu. Cela lui donna un surplus de courage, celui qu'il lui fallait pour ne pas s'arrêter avant d'en avoir apporté la preuve la plus absolue. Ceux de sa race tomberaient. Et elle se ferait une joie de les pousser elle-même de leur piédestal si elle le pouvait.

Peut-être que nous le sommes, oui. Et alors ? C'est naturel. C'est humain... Au moins dans mon cas. Alors je ne sais pas pour elle, mais moi suis bien contente de l'être, si ça peut me distinguer de quelqu'un... Non... Quelque chose comme vous. Je ne serai jamais comme ça, et je ne veux jamais l'être. Car si nous sommes sots, vous êtes fou. Et je vais mettre un terme à cette folie.

À peine eut-elle le temps d'achever sa sentence qu'une masse non-identifiée lui rentra dans les côtes, l'envoyant dinguer quelques mètres plus loin. Elle supputa avoir à faire à une attaque en traître, mais la douleur, brève et pas aussi intense qu'elle ne l'aurait cru, se chargea de lui faire comprendre qu'il n'était pas nécessaire de riposter. À l'évidence, la sirène hardcore qui lui avait mené la vie dure un instant plus tôt n'appréciait guère que leur adversaire désormais commun n'ait d'yeux que pour elle. En conséquence, elle faisait ce qu'il fallait pour qu'il la remarque... À sa manière. Melody n'irait pas s'en plaindre, pensant déjà son prochain assaut. S'assurant que Naoko était hors de portée de cette débauche de violence, elle en profita pour jeter un oeil aux environs.

...Mais c'est toi ! s'étonna-t-elle à la vue de Teippei.

Avec tout ce qu'il venait de se passer, c'était à peine si elle l'avait remarqué. Elle n'en avait pas vraiment eu le loisir. Les événements s'étaient enchaînés à une telle vitesse qu'elle n'avait eu le temps de rien voir, si ce n'est au sujet de sa propre survie. Il fallait dire aussi que son aura avait complètement changé depuis la dernière fois. Jadis saturée de folie, elle était aujourd'hui plus saine. Toujours dérangée, certes, mais à un degré beaucoup plus supportable que celui qu'il lui avait laissé deviner autrefois. Ce n'était pas forcé à mettre exclusivement sur son compte, cela dit ; ce jour-là avait été et resterait... Particulier.

Si voir un visage connu en situation critique – quel qu'il soit – la détendait de coutume, elle dut ici bien admettre que cela n'était pas sans s'accompagner d'une pointe d'appréhension. S'il ne l'avait pas autant choquée que ce fut le cas d'Asuna, il n'en était pas moins partie intégrante de son traumatisme – même si, pour l'heure, elle n'avait guère le droit de s'arrêter à ce genre de détail. Car quand c'est le sort de toute l'humanité qui est en jeu, Melody était d'avis que ses inimitiés passaient après. Un brin naïf de sa part, sans doute. Mais n'ayant déjà pas assez de ses deux mains pour lutter efficacement contre Hyōma, elle ne pouvait que s'en remettre à lui et à son bon sens, au moins pour cette fois. Elle darda vers lui un doigt accusateur.

Tu m'agresses pas, cette fois ! prévint-elle avant de remonter au front, parée de ses airs d'enfant-soldat.

Un pas éclair la ramena aux côtés du requin de nacre qui, peut-être, lui avait sauvé la vie il y a de cela une poignée de secondes. Si l'envie de lui rendre la pareille était bien présente, Melody s'en garda néanmoins ; à présent que c'était la bonne cible qu'elle avait en ligne de mire, il eut été malavisé de dévier le tir. Que ce soit sous par la grâce de l'adrénaline ou sous l'action de sa dense puissance, la peur que l'ennemi avait tenté de lui insuffler avait glissé sur elle sans plus lui causer qu'un grand sursaut. Pas de quoi la ralentir. Encore moins l'arrêter. L'air autour d'eux se mit une nouvelle fois à pulser, battant la mesure du récital qu'elle s'apprêtait à donner. Un concert très privé. C'était bien là le seul honneur qu'elle ferait à cet être qui n'en méritait point pas une once sous ses airs hautains.

Merci, dit-elle à l'hybride, bien qu'elle ne l'ait sans doute fait que dans son seul intérêt. Mais là, j'te conseille de te bouger.

Cette fois pourtant, pas de geste superflu, pas de fioriture. Juste ses doigts posés sur des cordes qui n'ont que trop attendu pour enfin les retrouver, juste les notes qui s'élèvent en un chaos organisé. Elle joue vite, plus vite qu'elle n'a jamais joué, et tant pis si pour cela doivent ses doigts saigner. Ses yeux étaient passés du vert au jaune, et déjà sur l'écran qu'elle seule pouvait voir les informations défilaient alors que se préparait à tomber sa propre version du jugement dernier. Le rock endiablé qu'elle interprétait était sans faille, vibrant et assourdissant de toute sa puissance, rugissant jusqu'au firmament – si tant était que cette dimension cancéreuse en fut dotée. S'ils veulent de la fin du monde, je vais leur en donner.

Non. C'est votre espèce, symbole d'un monde dépravé... Qui doit disparaître.

Son jeu se fit plus soutenu encore, puisant sa vivacité dans la prestesse surnaturelle que ses pouvoirs lui conféraient, si bien qu'elle s'étonna que ses cordes ne menacent pas de se rompre – même si, à bien y penser, elle n'avait plus dû les changer depuis l'éveil de ses capacités. Tout à coup se mirent à pleuvoir des sphères translucides, dernières nées d'un ciel qui n'existait pas tombant en droite ligne sur qui les maudirait bientôt. En son esprit, c'était comme si un cercle s'était formé autour de Hyōma, prison abstraite et intangible dont ne réchapperait ni son captif ni les coups qu'elle y avait enfermé, coexistence forcée. La tête lui tournait tant l'exercice était houleux, allant quérir dans sa concentration des ressources insoupçonnées, mais elle se fit violence pour ne pas chanceler. Elle ne ploierait pas la première.

Le sol s'ouvrit, plaie béante vomissant ses dorures en milles esquilles et innombrables carats, prenant leur hôte entre deux feux – ceux qui le consumeraient. La fureur du ciel et la colère de la terre paraissaient s'être alliés pour décimer ceux qui avaient malmené le genre humain sur lequel ils tendrement veillaient depuis des milliers d'années. Le grondement qui en résulta alla au-delà de tout bruit, plus même encore que la musique qu'elle s'efforçait de jouer sans même une seconde de répit depuis que cette guerre avait été déclarée. Assourdissant. Omniprésent. Hélas, cette formidable curée ne fut qu'éphémère, un filet de sang lui coulant du nez signifiant que ses limites avaient été de loin dépassées. Dans ses yeux, l'univers entier tanguait, sa prise sur les cordes se relâchant faute de force à y allouer. Elle en réunit néanmoins assez pour lever le pouce.

Il est à vous. exhala-t-elle, hors d'haleine.

D'écouter l'humaine déblatérer ses inepties. Une personnalité pénible... Qu'attendait-elle de lui, au juste ? Quel intérêt d'argumenter de la sorte en pareille situation ? Le faire culpabiliser ? Ridicule... Qu'espérait-elle ? Qu'il emprunte la voie de la rédemption ? Imaginait-elle simplement l'épargner pour que cela se fasse ? De sonder son passé, Hyôma voyait s'en dégager une gentillesse affligeante à s'en crever les yeux. Heureusement pour lui, les siens l'étaient déjà. Heureusement pour lui, cette fille ne serait bientôt plus capable de l'importuner. Du moins, le pensait-il.

-Quelle est la signification de... ceci ?

Une arrancar déportée d'un Sonido dans le but vraisemblable de sauver l'humaine de son courroux. De tout prendre pour elle dans l'optique de récupérer aussitôt des blessures reçues. Retourne-t-elle sa veste ? De l'écouter, silencieux. Se froncent ses sourcils.

-Danser ?

La douleur des coups reçus auparavant. Sensation désagréable, qu'il ne lui est pas commun d'éprouver. Une douleur à le rendre acerbe. Pire, une douleur à le rendre limpide aux yeux de son interlocutrice. Profondément irrité par l'absurdité de la situation. Cette arrancar... le prenait-il vraiment au sérieux ? Cette insolence... Tremblant de frustration, le Maho n'était pas loin d'exploser. S'efforcer de sourire, un sourire crispé. Le timbre de voix excessivement mielleux, presque agressif.

-Bien... Si c'est ce que vous voulez... nous danserons... Nous danserons autant de fois que vous le voudrez. Mais là... Là... Je vous demande... de les anéantir... tous autant qu'ils sont. Cela ne devrait pas vous demander grand effort... je me trompe ?

De sentir l'un des parasites se tenir côte à côte avec Daestra, sans que cette dernière n'en fasse rien, suffit à faire s'afficher sur sa trombine une mine sombre. Là s'entamait la riposte. Une riposte qui n'irait pas pour lui plaire. Et il ne fut pas déçu. Une pluie de sphères voraces s'abattant sur lui. Une bourrasque afflictive qui l'emporte en l'air. Et l'autre shinigami ne semblait pas non plus en reste, rallongeant son supplice. Une rafale d'énergie pure le brûlant. De petits lagomorphes fondant sur lui pour aussitôt exploser.

S'écraser au sol, dans un écran de poussières, pour en révéler, peu à peu, une silhouette debout. Put-on croire un instant en un homme aillant balayé chaque assaut d'un revers de main qu'il n'en était rien. Son corps fumant. Son habit en lambeaux. Chaque parcelle de chair ruisselant de sang. Un bras en moins. Voûté vers l'avant, la tête inclinée vers le bas. Haletant. Le premier lieutenant halète, visiblement au bout de ses forces. Exténué, mais toujours là. Une victoire de ces vermines ? Au contraire, et il leur ferait regretter de n'avoir su l'éliminer promptement.

-Déchets... Tous... Arrancars, shinigamis... humains... Vous ne valez rien... Notre espèce ? Disparaître ? Parce que vous imaginez que c'est... à votre portée... peut-être ? Ne me faites pas rire...

Un rire cynique. Puis le silence. Relever sa figure haineuse vers ses opposants. Lever une dernière fois sa main en leur direction. Tremble alors l'atmosphère.

-Je vous ordonne de... MOURIR !

Une emprise spirituelle portée à son paroxysme. Chacun de ses ennemis, l'arrancar comprise, perdait dès lors toute maîtrise sur son enveloppe charnelle. Au siège de leur conscience, non plus leur libre arbitre, mais Hyôma, qui ordonnait cet ordre simple de se suicider, sur le champ. Ainsi voyait-on s'étrangler eux-mêmes l'ensemble des protagonistes se tenant face à lui. Avaient-ils un quelconque espoir de s'en sortir ? Pas le moindre. Un ricanement rauque. Qu'ils prennent donc, pendant leur agonie, la mesure de leur réelle valeur.

Arrête ça, Hyōma.

Aurais-tu du mal à t'en défaire ?

Laisse-moi t'aider avec ça.

C'est ici que tout s'achève. Si nous allons jusqu'au bout, nous ne valons pas mieux qu'eux. Nous sommes au-dessus de tout ça. Meilleurs que ces êtres insignifiants. Mais même ainsi, je te connais assez pour savoir que tu ne m'écouteras pas. Alors je fais ce que je crois être le meilleur choix, avant qu'il ne soit trop tard. Avant que nous ne nous abaissions à devenir aussi méprisables qu'ils l'ont été envers nous. Il ne nous est resté que la fierté d'être ce que nous étions quand tout le reste nous avait été enlevé. Je ne tolérerai pas que nous la perdions pour de bon. Tout ceci était une énorme erreur, mais ne t'en fais pas : je m'en vais y mettre un terme. En attendant... Meurs pour moi, Hyōma.

Une voix là sans l'être. Statique. Tout son restant d'énergie attachée à l'emprise finale des esprits de ces intrus, il n'était de toute façon point capable de se mouvoir davantage. Un nouvel ennemi que cela lui aurait été fatal. Néanmoins, non un ennemi, une voix familière. Celle d'une alliée, et non des moindres.

-Hotarubi ?

Parler à en être tout juste audible. L'action même de s'exprimer demandait de lui un effort à peine surmontable. De s'être fait réduire à un tel état d'impuissance... par des créatures aussi ridicules... suffisait à éveiller en lui une honte impassible tandis que se tenait là sa semblable intacte de son combat. Du moins, physiquement ; son niveau d'épuisement surplombant d'un rien le sien. Restait qu'il offrait un spectacle d'autant plus désolant que le Maho empruntait le titre de premier lieutenant de sa majesté Koga. D'avoir un temps, sous la surprise d'une arrivée si inopinée, ralentit son influence sur la bonne application du suicide de ces nuisibles... Risible à pleurer... Que venait-elle faire là d'ailleurs ? L'arrêter ? Tiquer à cette pensée...

-Pourquoi viens tu interférer ? Je n'ai nul besoin de ton aide... Encore un peu... juste un peu... et notre monde sera fin débarrassé de ces vers...

Focalisé sur l'annihilation des dernières bribes de résistance de la part de ses victimes, Hyôma en oublie de relever toutes les contradictions de la venue d'Hotarubi sur son terrain de chasse, n'y voyant qu'une volonté de trouver prétexte à le décrédibiliser aux yeux de Koga. Le supplanter dans la hiérarchie ? De cette manière ? Une farce... Une farce qu'il avait visiblement mésestimé. Une pression en son dos. Une énième douleur le faisant grimacer. De se sentir poignardé... Tourner sa figure endolorie vers sa congénère, la trombine embourbée dans une mélasse d'incompréhension.

-Que...

Sentir remonter la lame jusqu'aux parois de son organe le plus vital... pour s'allonger en un katana désormais visible par delà son buste. Totalement impuissant... L'affliction alimente l'abattement. Sa vision se troublait-elle que se dissipait déjà ce qu'il avait pu nourrir d'emprise sur les esprits de ses ennemis. D'entendre déblatérer les explications poisseuses de la traîtresse achevait de le mettre dans une colère noire. Si l'envie ne lui manquait pas de proférer mille jurons, ses lèvres n'étaient déjà plus dans la capacité de s'animer.

Une rage muette, qui le resterait à jamais. Une rage qui perdait en sens à mesure que s'effritait sa conscience. De cette rage accouche un spleen. Ce spleen l'enrobe pour l'endormir. Ce monde ne l'avait que trop insupporté. Un ultime échec ? Ainsi, ils ne s'étaient vus capables de remodeler la réalité pour rendre à leur espèce leur fierté piétinée... Pour ce que ça importait, désormais... Las... Las de ce combat... Qu'il disparaisse... Un moindre mal... au regard de ce à quoi il échappait. Un dernier soupir. Un soupir de soulagement. Le visage placide, tandis que son cœur se faisait fendre en deux. Inerte, étendu sur le toit de leur palais, de leur fierté.

Citation :

Fin du combat. En espérant que ça vous ait plu !