Depuis la découverte du prisonnier Bakuyaku Hiryuu par tes soins, je fais régulièrement un tour dans le Repère des Asticots. Comme l’avait si bien dit Lalla Zohra « Les gens trouvent dans le passé des leçons pour se préparer au mieux à l’avenir. ».
J’ai toujours l’espoir que ceux que l’on garde dans l’ombre du Seireitei, au moins l’un d’entre eux, reste loin du seuil de la folie pour revenir dans la Lumière. Tu étais plus pessimiste. Les rebuts sont rapidement oubliés à peine rejetés formant le miasme de l’inconscient de la Soul Society.
Je veille.
Que tu aies raison ou tort.*****
- Le rageux ?Idjouher savait que cela n’avait aucun rapport avec son rang, juste avec son air sérieux et son calme légendaire, elle arrivait à rendre dubitatif ses collègues. Etait-ce une faute ou pas de donner des surnoms aux prisonniers ?
- Vous savez à quel point cela est dur de garder son individualité dans un endroit pareil, messieurs ?Les deux geôliers se rendirent bien compte de leur méprise, baissèrent lentement la tête en guise d’excuses, reconnaissant le manque de tact et de sérieux dans leur responsabilité. Autant dire qu’ils ne voulaient pas non plus éprouver la question rhétorique du troisième siège Tamanart ni s’enfoncer davantage dans leur tort. La question était close. Ouvrons le rapport hebdomadaire tout en stockant Saif-al-Jawza dans la cache sécurisée à l’entrée du Repère des Asticots.
- Donc revenons sur le prisonnier Kikeru Reisen. Rien à signaler ?
- Il est calme, Tama-san. Sans revenir sur…enfin…bref, c’est tout bonnement étrange, non ?
- Je sais quel genre d’homme il était. Tout sauf idiot. La preuve dans la raison de son incarcération.Marche par marche, Idjouher consulta le registre, les rapports. A part quelques prisonniers maîtrisés suite à quelques crises de violence, il n’y avait aucun grand incident répertorié. C’était à son tour de se faire une idée des prisonniers. Une fois par semaine ne suffisait jamais et donc, la kabyle mettait un point d’honneur à faire quelques inspections surprises dans la semaine. Même pour les prisonniers, c’était productif. Il était si aisé pour eux d’oublier un visage familier et de le prendre pour un étranger au sein de leur territoire. Des animaux qui avaient abdiqué en faveur de la léthargie. La moindre des choses étaient d’être là régulièrement. Ce qui l’étonnait était le fait que tout cet univers faisait partie de sa vie comme une ombre persistante qu’elle refusait de partager au reste du monde. Elle ne se sentait pas coupable, le secret était le pain quotidien de la Division 2. Elle n’arrivait plus à trouver cet endroit laid, froid comme autrefois. Cette prison était un réconfort en quelque sorte, se sentir comme une partie d’un tout, définitivement une ombre parmi les ombres.
Et si facilement…
Ses pas la conduisirent aux sous-sols, les quartiers plus sécurisés et les confinements individuels s’y trouvaient. Depuis sa connaissance avec Hiryuu, Idjouher y allait plus souvent pour apprécier le fait que les éléments décrétés dangereux pouvaient être la source d’un renouveau inattendu. Après tout, elle savait bien que c’était dans l’adversité que le plus gros potentiel se révélait. Encore fallait-il avoir l’œil pour le reconnaitre et les moyens d’entretenir cette flamme de vie et de force. A jamais, Hiryuu avait gravé ce fol espoir dans son cœur. Il ne pouvait s’agir d’un miracle unique en son genre. Il fallait que ce miracle puisse se reproduire. A l’image de la vie sur Terre qui nourrissait leur monde spirituel.
Et pour cela, la kabyle refusait tout surnom désobligeant à l’encontre des prisonniers. Même dans les méandres de la perdition, chacun avait droit au respect sinon au calme nécessaire pour qu’un esprit endurant garde pied dans ces couloirs infinis.
Kireru Reisen.
Oui, il était surnommé le Rageux. Elle n’avait jamais aimé ce surnom. Si surfait, trop générique, comment un mot ne faisait qu’attiser les plus mauvais côtés d’une personne. C’était comme si elle considérait le Capitaine Kiryû comme un colosse juste du point de vue physique du terme. Non. Il possédait une grandeur qui faisait de lui un bon Kenpachi.
Kireru ne s’était pas pris au Capitaine-Commandant, il était resté calme selon les dires, mesuré. Comme s’il voulait miser sur un ton parfaitement juste pour être compris. Si ces témoignages étaient vrais, cela était triste. Et pas que pour son cas, pour tous les Shinigami. Perdre un homme ainsi était une défaite pour tout le monde.
Lentement, Idjouher commença sa ronde sans se présenter ni s’approchant. A chaque prisonnier, elle restait dans l’ombre, l’observait, soucieuse de leur santé puis fit de même pour le suivant.
Vint le tour de feu Capitaine Kireru.
Pendant plusieurs minutes, elle se mit à l’observer dans l’ombre, détaillant comme elle le pouvait l’élément qui lui avait permis de remettre de l’ordre au sein des geôliers plus tôt. Celui qui avait décidé de tout dévoiler quitte à subir la mort en dernier recours. Sa chevelure avait poussé depuis la dernière fois, un peu plus en bataille chaque jour… Il fallut qu’il revête ce tissu blanc pour qu’elle le remarque alors qu’il ne s’était pas privé d’artifices en plus du shihakusho et du haori autrefois.
« La lumière ne brille que plus intensément dans l’ombre. »Qismat et ses vérités implacables qui suintaient même et jusqu’aux murs grossiers de ces corridors. Le temps finira-t-il d’avoir raison sur la lumière ?
Si fait, approchez pour éprouver, Sai, mima-t-elle à la perfection sa trancheuse d’âme cruellement absente.
Idjouher s’approcha si bien qu’elle pouvait presque coller son front contre les barreaux. Il n’était pas sage de tenter le danger. Et pourtant…
- Excuse m...Il parlait. Bien. C’était bon signe.
Elle relâcha ses mains jointes derrière son dos, une posture moins formelle pour l’inciter à continuer. Il ne pouvait s’arrêter en si bon chemin.
- Excusez-moi ! Avez-vous quelques instants à m'accorder ?Du besoin, de l’urgence et de la mesure. Elle serait un monstre de ne pas lui accorder un peu de son temps. Et à le voir réguler sa respiration, il était réellement en train de rassembler ses forces au moins pour communiquer d’un ton calme. Elle était consciente à quel point c’était difficile pour lui et peu importait sa réputation, sa façon de penser d’antan, ce lieu transformait les gens petit à petit ou d’un coup. Une mer capricieuse qui érodait le temps, l’espoir et l’individu.
Kireru Reisen avait réussi à préserver deux de ces trésors.
- Je vous en prie, monsieur Kireru… invita la Shinigami d’une voix traînante et profonde.
Poliment, Idjouher marqua une pause pour s’asseoir en position seiza, les mains bien à plat sur ses cuisses.
- …j’ai tout mon temps. N’hésitez donc pas à prendre le vôtre, je suis toute ouïe.Nulle ironie, un vrai conseil. Si le temps arrivait à devenir un allié ici-bas, il fallait en saisir l’occasion.
Les yeux dans l’ambre liquide des prunelles de Reisen, Idjouher patienta et pria silencieusement.