Après avoir rendu visite aux jumelles, Aguante avait pris le large, loin des ruines de Las Noches. Il faut dire que les blondes Emperatrices lui avaient donné matière à penser : en substance, il faisait partie de l'Espada. Quinta. Avant tout ça, il avait affronté l'ancien Quinta, le rouquin qui avait fait un scandale lors de l'appel de May et Emily. Il l'avait aisément vaincu, du moins il prenait ça comme une victoire même s'ils n'étaient pas allés jusqu'au bout, et il avait été dégoûté par sa mentalité. Tant mieux donc qu'il prenne sa place, ça revêtait une certaine logique, même si le Charisma recherchait plus le frisson que le grade. Mais sa place lui convenait, surtout vu l'esprit de l'Espada formée par les blondes dirigeantes : il y avait quatre personnes potentiellement intéressantes à défier...

Mais on allait peut-être aussi venir à lui pour prendre sa place. Décidément, cette posture lui plaisait vraiment sur le papier. Ne restait plus aux jumelles qu'à tenir leurs promesses. Mais pour l'heure, il voulait s'isoler un peu, se ressourcer : il n'avait pas encore fini de ressasser la bataille contre ce Raïtoku à la Soul Society. Aurait-il pu gagner sans l'intervention de la femme, c'est à dire si Aessa avait fait correctement son travail ? Aessa qui était aussi intervenue dans ce duel, mais plus en sa faveur. Putain, à y repenser, ça le gonflait, et il donna un coup de pied, projetant une gerbe de sable devant lui. Le contexte était fantastique, et il fallait que des crétines aient tout gâché... Bah.

Peut-être que les Shinigami viendraient les voir, ou qu'ils referaient une descente à la Soul Society. Et là, il mettrait les choses au clair avec ce mec. Il s'assurerait qu'on ne puisse pas le déranger - peut-être en butant Aessa et l'autre cruche en prévision, si elles étaient dans les parages - et il verrait qui était le plus fort. Et même s'il était défait, ça lui laisserait tout de même un goût moins amer dans la bouche. Enfin, avant de s'occuper des revanches, ils avaient un autre problème : Sima, ce gros mollusque, là. Depuis qu'il avait été repoussé par les Dieux de la Mort, Aguante n'avait aucune idée - et s'en cognait, il faut le dire - d'où il pouvait être.

Peut-être qu'il allait resurgir du jour au lendemain et s'en prendre à un Las Noches bien affaibli, bien que la réorganisation chapeautée par les jumelles ait consolidé les chances de survie des Arrachés. Faudrait alors lui botter le cul. Mais comment botter le cul d'un truc de plusieurs centaines de mètres de haut, qui avait becté le Rey sans sourciller ? Même si c'était un fou, Pastor, le Charisma le situait au-dessus de lui. Sur ce coup-là, il pouvait rien faire seul, même si rien ne le frustrait plus. C'était aussi pour ça qu'il avait suivi les jumelles. Mais qu'importe. Il verrait bien. Et...

Il interrompit le fil de ses pensées, surpris par une drôle de silhouette non loin. Elle n'avait rien d'humaine, donc ça n'était sûrement pas un Arrancar. Ça ressemblait à un gros... cafard. C'était le mot. Avec une trogne particulièrement peu engageante. Et plutôt agaçante, même si le Quinta n'aurait pas su dire pourquoi. Intrigué tout comme irrité, le jeune homme modifia son itinéraire, et s'approcha du bestiau. Comme il n'avait pas de pesquisa développé, il n'avait aucune idée de son niveau. Mais là encore, il ne voulait pas forcément se battre, puisqu'il n'était pas tout à fait remis du conflit à la Soul Society. Il harangua l'insecte :

- Hé, mon gars ! T'es quoi exactement ? J't'ai jamais vu dans le coin. Et pour être franc, j'aime pas trop ta gueule.

Comme à son habitude, Aguante jouait cartes sur table. La subtilité, ça avait jamais été son domaine.

Une fois n'est pas coutume, l'insecte n'était pas en train de s'adonner à une quelconque chasse à l'homme ou autre massacre d'Hollow. Pas de chasse, traque ou autre. Il était là, debout au milieu de cette grotte perdue au milieu du Yermo, les yeux fermés. Il dormait. Oui, certains Hollows peuvent dormir, et sans que cela soit un besoin vital, ils en sont capables. Et ce Vasto Lorde, haut de son triple mètre, debout, yeux clos, semblant aussi immuable que la roche qui l'entoure, était de ceux-là. Et plus que capable de dormir, il était capable de rêver. Comme de cauchemarder.

Prit de spasmes et autres convulsions, le géant semblait se débattre, fuir quelque chose, tout en restant immobile. Dans son esprit, divers flashbacks, plusieurs images qui se bousculent et s'entrechoquent, sans jamais s’imbriquer. Divers souvenirs d'une vie désormais révolue, d'une vie vécue à travers d'autres yeux, dans une autre peau. Une vie qui répugnait l'insecte. Un profond sentiment de dégoût qui accompagne systématiquement ces visions qui parfois venaient l'envahir. Un malaise, et une impression que sa cervelle va exploser, pour se répandre aux quatre coins de la pièce. Parmi ces bribes de souvenirs, des mains tendues, des visages familiers sans l'être, le souvenir d'une balle qui était venue percer sa tête. Sa tête ? Rien n'était moins sûr. Ces visions, floues, dérangeantes et mal ordonnées, étaient caractérisées par leur manque de précision. Qui est qui, qui est quoi, dans la peau de qui était-il plongé, était-ce lui au moins ? était-ce vraiment un cauchemar ? Étions-nous au coeur des souvenirs du monstre, ou bien était-ce là les inventions de son esprit malade, qui n'avait rien trouvé de mieux que de le mettre dans une situation aussi inconfortable ? Nul ne le sait, il est le premier à ne pouvoir répondre à ces questions.

Tout chamboulé par ses songes, le géant sort de sa léthargie, un goût amer en bouche, une sensation de malaise. Le voilà qui s'échappe de sa grotte, pour lentement marcher dans le sable, en train d'analyser ces images qui malgré son réveil, n'ont jamais réellement quittés son esprit.

Toute son attention portée sur ses pensées, le Vasto Lorde ne regarde même pas devant lui. Pas comme s'il risquait de se prendre un mur, faut dire. Pas comme s'il risquait quoique ce soit, pourrait-il penser dans un accès d'arrogance. Puis, plus globalement, pas comme s'il accordait la moindre importance à ce qui pourrait se profiler à l'horizon. Un horizon désertique, monochrome, parfois perturbé par quelques silhouettes plus ou moins difformes. Des habitants du Yermo, de petits arbres de Quartz, des mirages, et Dieu ne sait quoi d'autre. En tout cas, tant que le sable autour de lui ne sera pas assombri par la silhouette de Sima penchée sur lui, prêt à le moissonner, peu de choses sauraient le sortir de cet état.

Peu de choses, dont cette voix.

On vient lui parler. Chose assez rare pour être soulignée. Et pour continuer dans le rarissime, l'interlocuteur s'avérait être de ceux qui ne mâchent pas leurs mots, même en présence d'un seigneur du Yermo. Tant une bonne qu'une mauvaise chose, tant un fait qui pourrait jouer en sa défaveur quand l'insecte décidera de s'en prendre à lui qu'une raison qui pourrait empêcher cette agression. Mais plus que de l'audace, Kafar voyait ici de l'arrogance, et le Yermo ne sait que trop bien par quels moyens le colosse punit l'arrogance. Peut-être allait-il changer de méthode, ici. Son vis-à-vis était un Arrancar, d’apparence jeune, certainement de Las Noches. En face d'un vulgaire Hollow indépendant plus confiant que la moyenne, la réaction du chasseur se serait résumée à un cero bien placé. Ici, il était préférable de se montrer plus fin, ou en tout cas plus conciliant. Non pas par peur d'un éventuel conflit mais par intérêt pour les éventuels informations qu'il serait possible de récolter en échangeant quelques simples mots avec cet inconnu.

Peut-être est-ce parce que "le coin" est relativement vaste... Pour répondre à ta question, je ne suis qu'un Humble Hollow solitaire, chasseur à ses heures perdues, qui tente de s'amuser comme il peut dans ce désert sans fin.

Et pour répondre à ta remarque, sache que rendre ton visage au moins aussi difforme que le mien ne devrait représenter qu'un défi mineur pour moi.

Sans non plus se montrer hostile, il laissait dans cette formule clairement transparaître son humeur : Dans notre intêrét à tous les deux, évite de jouer au plus malin avec moi.

Serais-tu par hasard un habitant de Las Noches, Arrancar ?

Habitant, voire gardien. L'insecte n'avait pas encore tenté de sonder le reiatsu de son vis-à-vis. Il préférait laisser une part de surprise, dirons-nous.

La vermine avait du répondant, pour quelqu'un qui se prétendait être un humble Hollow. On ne la faisait pas à Aguante : malgré son aspect primitif, ce cafard géant était plus intelligent que son apparence ne le laissait présager. Quand à savoir si ses capacités de combat étaient à la hauteur de cette intelligence... La façon dont il s'était adressé au Quinta pouvait le laisser supposer. Ça, ou alors il était simplement une bille en détection et avait une grande gueule. Le Charisma aurait peut-être la réponse à cette question dans un moment : pour l'heure, rien ne justifiait qu'il s'en prenne à ce Hollow. Un prêté pour un rendu, après tout, il n'avait pas été des plus polis. Mais bon, c'était dans ses habitudes.

Et il fallait plus pour le vexer qu'une insulte, surtout quand elle était aussi bien tournée que celle que venait de proférer le hollow blatte en face de lui. Il avait aussi lancé une bribe de conversation, comme un pêcheur lancerait un hameçon : encore une raison de plus pour que l'ancien Numeròs ne s'en prenne pas à lui. Gardant toujours les mains dans les poches de son inénarrable pantalon clair, Aguante hocha la tête pour répondre à cet insectoïde inconnu. Plus qu'un habitant de Las Noches, il était depuis peu l'un des représentants de l'Espada, aurait-il pu ajouter. Mais il était mitigé à ce sujet : avait-il vraiment le temps et l'envie de raconter sa vie à un cafard ? Il pesa le pour et le contre, puis décida de le faire. Il avait envie de parler de cette nomination toute récente, et une blatte ferait parfaitement l'affaire. Il précisa donc :

- Je suis Aguante, Quinta Espada. Et toi, t'es qui ? Vu comme tu parles, tu n'es pas qu'un "humble" Hollow... T'es moins con que la moyenne, c'est évident.

Le Quinta connaissait le nom de certaines des créatures légendaires qui arpentaient le Hueco Mundo, et il n'avait pas souvenir qu'un cafard fasse partie de celles-ci. La réaction du blattoptère à son propos serait d'ailleurs intéressante : peut-être qu'il avait joué du ton hautain en sous-estimant le Charisma à cause de son apparence, et que maintenant qu'il avait donné son grade, le nuisible le prierait de le pardonner. Le cas échéant, ce serait incroyablement ennuyeux, et le Quinta ne ferait sans doute pas de vieux os avec cet insecte : bien qu'il soit encore en train de se remettre des blessures subies à la Soul Society, il avait toujours mieux à faire que papoter avec une créature misérable.

Enfin, ça ne lui était d'aucune utilité de tirer des plans sur la comète : comme toujours, il aviserait. Toujours immobile dans sa posture fétiche, il observait de ses yeux dorés son vis-à-vis, guettant la moindre de ses réactions pour adapter les siennes.