Quelques heures auparavant, les Emperatrices avaient annoncé la fin de la réunion, fortes de plusieurs soutiens, notamment de celui de Caeli Nephilim, qui avait finalement resurgi à Las Noches. Cet être étrange qui avait procuré à Aguante un combat intéressant était donc tout proche. Ça leur laisserait l'occasion d'organiser le second volet, un jour. Car pour l'heure, le Charisma avait d'autres priorités : il désirait rencontrer ses nouvelles souveraines, pour savoir exactement à quoi s'en tenir. Est-ce qu'elles lui laisseraient sa nature de Numeròs, ou avaient-elles d'autres projets pour lui ? La dernière fois, il était plus passé pour un rigolo qu'autre chose, et il en avait encore la rage en y repensant. Mais là, il avait un autre état d'esprit.

Finis ses rêves de combat : il n'était clairement pas assez fort pour réclamer rien qu'un entraînement avec les reines du Hueco Mundo. Il n'avait même pas été fichu de vaincre un Vice-Capitaine ! Même si la femme avait faussé le duel, l'Arraché doutait d'avoir pu gagner même sans ça. Et il lui faudrait du temps pour digérer cette défaite. Si les blessures de son corps étaient presque toutes parties, celles de son ego mettraient un certain temps à guérir. Et il avait beau se rassurer en se disant qu'il avait progressé, ne restait qu'une chose in fine : le goût amer de la défaite.

Mais il aurait tout le temps d'y penser plus tard : déjà il arrivait à l'entrée des appartements de ses souveraines. Il piétina un instant, réfléchissant à ce qu'il allait dire, mais ne s'y attarda pas trop : qu'est-ce qu'il s'en fichait, en fait. Il ne venait pas pour causer, mais pour agir. Quelque place qu'il mérite, c'est par les actes et pas par le blabla qu'il s'en tirerait. Il n'était pas un scientifique ou un intellectuel, ni même un diplomate : lui, tout ce qu'il voulait, c'est se battre. Et tant mieux si c'était pour un idéal qui l'intéressait plus qu'un gigantesque dieu tentaculaire.

Il inspira donc, puis pénétra dans l'antre des Primeras. Il fit mine de s'agenouiller, observant une ébauche de protocole plus par respect pour la puissance de ses interlocutrices que pour leur leur position, puis s'annonça alors, même si elles le connaissaient déjà, à moins qu'elles n'aient la mémoire courte :

- Mes respects, Emperatrices. Aguante, Numeròs 20 sous le règne de Santo Pastor. Je n'irais pas par quatre chemins : je suis venu vous demander à quoi je devrais m'en tenir pour votre règne. Concernant mes attributions, ma position, tout ça.

Il s'était redressé et avait adopté sa posture habituelle, mains enfoncées dans ses poches et air blasé. Toutefois, l'étincelle dans ses yeux ne trompait personne : il guettait avec attention les paroles et les actes des deux jeunes femmes en face de lui.

- Em, t'as commandé quelque chose ?

- Dis, t'aurais pas un truc bizarre là ?

- Comme une espèce de ligne blanche, non ? Rah, maintenant que je l'ai vu, je ne pourrai plus jamais revenir en arrière, c'est fini, c'est gravé dans mon cerveau, marqué au fer rouge dans mes yeux… Il va falloir que tu te laisses pousser la barbe pour me cacher tout ça, hein ?

- Que vises-tu, Aguante ? Je suppose que contrairement à ce que ma sœur te répondrait sans doute, ce n'est pas la tête du service postal que tu viens nous réclamer. Car tu viens bien pour réclamer quelque chose, n'est-ce pas ?

Comme à chaque fois qu'il voyait les jumelles, la dichotomie de leur comportement le choqua : entre les gamineries de May et le froid sérieux d'Emily, il y avait un monde... Ou même plusieurs. Cependant, ce que transmit May au "Facteur" se révéla vrai : il avait déjà remarqué cette ligne, parfois, en se regardant dans le miroir, sans trop y faire attention. Mais maintenant que la Primera, enfin, l'Emperatrice, lui en avait parlé, il ne pourrait plus la rater. Il secoua la tête pour reprendre un peu son sérieux : il ne devait pas entrer dans le jeu de la jumelle exubérante. Ça l'encouragerait à continuer, et ce genre de minauderies, ça agaçait le Numeròs.

Heureusement, Em lui offrit un échappatoire bienvenu en recentrant la conversation sur un sujet plus sérieux. Elle non plus ne fit pas dans la manigance, et alla directement au cœur de leur entrevue. Ce qui n'était pas pour déplaire à l'Arraché. Même s'il n'avait pas vraiment de réponse à fournir, du moins, pas sans y réfléchir un peu. Plus qu'une place, il voulait simplement la promesse qu'il servirait. Qu'il ne serait pas laissé de côté comme un minable, ce qui s'était avéré son quotidien sous Grimmjow ou même Pastor. Être un Espada ne changerait pas sa vie. Mais si c'était une étape nécessaire pour devenir plus fort et pouvoir affronter des adversaires plus puissants, il s'y plierait.

Après, il fallait seulement que les jumelles acceptent. La dernière fois, elles n'avaient eu de cesse de remettre en question sa force, le considérant comme un moins-que-rien. Il avait peut-être été un peu idiot, ce jour-là, en insistant pour les défier alors qu'elles ne le désiraient pas et qu'il n'était pas en mesure de leur offrir un divertissement satisfaisant, il le reconnaissait. Mais depuis, pas de raisons que les blondes aient changé d'opinion sur lui. Il n'avait pas particulièrement brillé lors de l'assaut sur la Soul Society, malheureusement. Et pas seulement parce que son duel avait été perturbé.

Apparemment, les demoiselles face à lui avaient triomphé d'un Capitaine. C'était là la différence entre les sœurs et lui : il n'avait même pas pu vaincre un type dont il ignorait le grade, mais qui n'était certainement pas Capitaine. Ressasser tout ça ne l'avancerait pas : il fallait fournir une réponse aux Emperatrices, et sans trop les faire attendre. Ou il finirait vraiment à la tête du service postal. Et puis, une idée lui vint : il avait vaincu Vacio. Celui-ci s'était barré, idiotement. Donc sa place était libre. CQFD. Fixant donc les jumelles de ses yeux dorés, en espérant que sa ligne ne les troublerait pas trop, il prit la parole d'une voix forte et d'un ton sérieux, bien différent de sa lassitude habituelle :

- J'estime mériter une place au sein de l'Espada, quelle qu'elle soit. Pour vous aider à situer, j'ai vaincu assez aisément Vacio, y'a pas longtemps. Et comme sa place est libre, je me disais que, peut-être, je pourrais l'avoir. Si vous m'en jugez digne, hein.

Peut-être visait-il un peu haut, mais il avait appris à toujours demander plus que ce qu'il désirait. Comme ça, si c'était accepté, il était gagnant, et même si c'était un peu diminué, il était quand même satisfait. Maintenant, ne restait plus qu'à savoir ce qu'en pensaient les nouvelles éminences grises de Las Noches...

- Et pour la barbe ? T'es pas chaud ?

- Et moi j'estime mériter un bon massage des pieds, ce n'est pas pour autant que je serai exaucée. Et puis franchement, Vaciò...

- C'est vrai que… un jour je me suis battue contre lui pour rigoler… eh ben on n'a pas rigolé longtemps hein !

- J'ai peut-être quelque chose à vous proposer, à tous les deux. Puisque j'ai empêché ma chère sœur de se divertir comme elle l'aurait voulu contre Vaciò, elle pourrait se battre contre toi aujourd'hui. Si tu résistes assez pour qu'elle s'amuse sans avoir à te tuer, alors nous pourrions te donner ce que tu désires. Un bon moyen pour toi de prouver ta force, n'est-il pas ?
- Oh oui, ça va être marrant ! Je voulais justement montrer deux ou trois petites choses à Imôtochan, ce sera l'occasion rêvée.

May y tenait, à cette barbe. Aguante n'avait pas une pilosité phénoménale, et de toute façon, une barbe ça grattait plus qu'autre chose. Et... Mais pourquoi est-ce qu'il réfléchissait à une connerie pareille ? Cette jumelle avait le don d'infantiliser tous ceux qui se trouvaient autour d'elle. En revanche, la suite des propos du duo royal faisait plus de sens : c'est vrai que Vaciò n'avait pas été un adversaire de valeur, loin de là. C'est même parce qu'il avait une mentalité de faible qu'Aguante avait décidé de le démolir. Il n'avait même jamais douté de sa victoire, d'ailleurs. Et l'offre d'Emily confirma ce que pensait le Charisma : le règne des Emperatrices s'annonçait beaucoup plus passionnant que celui de cet incapable de Pastor.

S'il réussissait à amuser la plus enjouée des deux sœurs sans qu'elle doive se retenir, alors il aurait ce qu'il recherchait. D'une pierre deux coups : non seulement il affrontait une des jumelles, mais en plus il gagnait la possibilité d'enfin accéder à un rang qui lui offrirait encore plus d'affrontements intéressants. Alors certes, se posait la question du niveau de son adversaire : en toute logique, sa puissance serait divisée de moitié, à moins que les deux êtres n'aient une réserve d'énergie commune. Ce qui restait probable, puisque d'après les on-dits, la Resurecciòn des déesses de l'épée ne formait qu'une seule entité. Le Numeròs n'avait pas les capacités pour mesurer leur niveau d'énergie.

Et de toute façon, il s'en fichait : au diable les chiffres, il n'allait pas refuser une occasion pareille. Il n'était pas une larve comme celui dont il convoitait le poste : il était de temps de mettre fin à l'imposture de certains et de redorer le blason de l'Espada, en plus du sien. Ses yeux dorés flamboyant soudain, et effaçant toute trace de fatigue ou de lassitude de ses traits, il annonça d'un ton serein :

- Ça me va, Majesté. Je n'ai pas de lettres pour May, mais j'pense que je pourrais la divertir un moment. Il en faudra plus pour m'avoir que ce qu'il avait fallu pour cet incapable de Vaciò.

Alors bien sûr, pour le moment, il se contenait. Il n'allait évidemment pas se battre dans les quartiers des jumelles, qui restait l'un des endroits les moins abîmés de Las Noches. Il précisa qu'il laissait le choix de l'arène à May. Comme ça, on ne pourrait pas l'accuser d'avoir chercher à s'avantager, pensa-t-il pour lui. Peut-être bien qu'il perdrait. Mais ce serait avec honneur, et il ne tomberait pas sans avoir fait souffrir la gracile Empératrice. Peut-être même qu'il pourrait la pousser à utiliser sa Resurecciòn, avec un peu de chance. Bras croisés, il faisait le pied de grue devant les trois sœurs, attendant les instructions.