Le soleil, zénith et incandescent, illuminait les toitures de Karakura, tandis qu’il plongeait la Ville dans une douceur estivale entêtante. C’était une de ces journées ou il paraissait impensable de rester cloitré chez soi, ou le chant des oiseaux vous murmurait d’enjamber le seuil de votre porte pour profiter de ce soleil revigorant. Ce que Guriko ne se fit pas prier pour faire. Malgré son irrémédiable penchant pour la baston et les activités frauduleuses, auxquelles il se prêtait volontiers pour gagner sa croûte, il n’en restait pas moins un éternel atermoyeur, qui, plus que tout, aimait à ne rien faire en compagnie de ses collègues ou anciens compagnons – certains ayant fait le choix de se ranger après le lycée.

C’est pourquoi, en cette journée d’été, vous pouviez le trouver allongé dans une vaste prairie herbeuse en retrait de la ville et de ses nuisances sonores, la clope au bec, à refaire le monde avec quelques-uns de ses comparses. Chemise à fleur ouverte, lunettes de soleil apposées sur la pointe du nez, il se fondait idéalement dans ce décor bucolique, les quelques bières à sa disposition - préservées de la touffeur environnante par une glacière - venant parfaire cet après-midi ensoleillé.

- Balance donc une aut’ bière Bobby, j’ai l’gosier aussi sec qu’la fente d’une momie, cracha-t-il nonchalamment alors qu’il soufflait un voile de fumée sensiblement similaire au nuage qu’il détaillait d’un œil insistant depuis quelques minutes déjà.

Puis, attrapant la bière virevoltante que le dit Bobby lui lança avec une confiance aveugle, Guriko, toujours affalé sur le sol, le regard perdu dans l’immensité du ciel céruléen, se lança dans un de ces monologues décousus et dénués d’intérêt dont il avait le secret. Des tirades dont ses compères faisaient litière la plupart du temps, mais qui n’étaient pas sans apporter une touche d’originalité à leurs conversations.

- Savez les gars… J’me d’mande bien en quoi y sont fait ces nuages.. P’tét bien qu’au final, c’Dieu qui perd ses poils de bras ou ses poils d’cheveux. On dit bien que quand y pleut, c’Dieu qui fait la vidange nan ? Moi j’pense qu’c’est des conneries c’t’histoire d’évaporation d’l’eau. Ouais, j’en mettrais ma main au feu, tiens. Sans déconner, vous imaginez d’l’eau prendre c’te forme cotonneuse ? Mon cul ouais. Pis après c’vrai, qui nous dit qu’les bouquins de Science ont pas été écrits par des ignares ? Ouais parce qu’aujourd’hui, n’import’qui peut écrire un bouquin, genre le mec là, Albert Fonduslip, quel bel escroc…

Ses amis avaient perdu le fil depuis longtemps, mais ils le laissèrent débiter son flot d’absurdités quelques minutes de plus, à la fois désintéressés et amusés par la situation. Finalement, ce ne fût pas l’intervention d’un d’entre eux qui coupa court au soliloque de l’enfumé, mais bien l’apparition d’une écrasante force spirituelle aux alentours, qui, malgré ses capacités de détection foireuses, l’avait alerté dans l’instant. C’est dire si cette dernière était d’une toute autre étoffe que celles des Hollows de bas-étage auxquels ils se frottait habituellement. Il se leva alors dans un long soupir, qui attestait de son manque cruel d’entrain quant à l’idée d’aller inspecter cette mystérieuse aura spirituelle, avant de s'adresser à la troupe de roulures.

- J’dois y aller les mecs, j’avais oublié qu'j’avais un truc sur l’feu. On s’voit c’soir.

Mains dans les poches, le pas traînant et désinvolte, Guriko parti enquêter, non sans une pressante envie de clore rapidement cette affaire pour s’en retourner à ses activités végétatives.

Suivant son instinct, bien aidé par les infimes parcelles de Reaitsu que ce dernier détectait, Guriko avançait, une certaine forme d’excitation fleurissant en son for intérieur. Après-tout, peut-être allait-il enfin avoir l’occasion de mesurer sa force à un adversaire d’envergure, qui le changerait de cette routine de chasse aux Hollows dans laquelle il ne se complaisait plus pour un sou. Las, il avait à cœur de vivre de nouvelles expériences, de battre le fer avec tout ce qui pouvait se détourner d’un masque muet monté sur quatre pattes, pourquoi pas d’éprouver la défaite s’il le fallait. Importe peu le flacon, tant qu’il puisse avoir l’ivresse. Mais au bout du sentier que ses pas avalaient d’une cadence croissante, à l’image de son agitation, il ne trouva rien d’autre qu’une jeune femme brune voilée par un long Haiori, panier en main, et qui semblait s’adonner à la cueillette de… champignons.

Récolter des champignons. Une activité que Guriko ne concevait même pas dans ses rêves les plus fous. Fixant au loin la belle d’un œil affligé, il laissa ses épaules tomber, son torse dégonfler, ses muscles se déraidir. Frustré, c’était bien là le mot qui seyait le plus à son état d’esprit. Lui qui espérait mettre la main sur un Arrancar – sur lesquels le 3ème siège Tôjô l’avait briefé il y a de cela quelques années, alors que son pouvoir était encore naissant, et sa maîtrise de l’énergie spirituelle fébrile-, ou toute autre forme de vie combative animée par un désir semblable au sien ; il découvrait une demoiselle au teint clair, les cheveux lisses et l’air innocente. Si ce que recherchait secrètement Guriko devait être un Lion sauvage, alors il avait déniché là une frêle Brebis, et en lieu et place d’une arme quelconque, il n’avait à se méfier que d’un simple panier... Cruelle désillusion.

- Vous êtes qui vous ?

Sa déception n’eut pas le temps de transparaitre sur son visage que la jouvencelle l’interrogea sur son identité. Pris de court, Guriko se mit cependant à nuancer et relativiser cette rencontre dont il attendait des aboutissants tout autres. S’il n’aurait pas à loisir de dégainer ses poings américains, il avait tout de même la chance de faire face à une jeune femme qui, loin d’être désagréable à regarder, entamait même la conversation. C’est que ça ne lui arrivait pas tous les jours, de pouvoir faire connaissance avec une aussi charmante créature. Réflexion faite, un large sourire lui fendit le visage, à la fois moqueur et enjoué, avant qu’il ne réponde à cette question.

- Moi ?, dit-il tout en se pointant du doigt, son sourire s’élargissant encore un peu plus. Moi c’Guriko, mais mes potes m’appellent Guri.

Il laissa alors volontairement s’écouler quelques secondes de silence, avant de justifier cet air gouailleur qu’il arborait depuis sa prise de parole.

- Mais dis-moi...Ça t’dérange pas qu’j’te tutoie hein ?, question rhétorique qui ne laissait clairement pas le choix à son interlocutrice, Qu’est-ce tu fous en Pyjama ? J’vois bien qu’tu cueilles des champiflards hein, d’ailleurs j’vois pas trop c’qui t’pousse à faire ça, chuchota-t-il dans ses moustaches, mais pourquoi en Robe de chamb’ quoi ?

Soudain, Guriko s’interrompit. Alors qu’il allait continuer son brin de causette, s’approchant pas à pas de la jeune femme, ses yeux baladeurs se posèrent sur ce qui ressemblait, du moins de loin, au manche d’un Katana. La seule explication plausible qui lui vint à l’esprit fût qu’il faisait face à un Shinigami. Aussi, par prudence certainement, et par curiosité de voir ce qu’il adviendrait des plaisanteries déplacées qu’il avait inconsciemment glissé, il se garda d’interroger l’émissaire de la Soul Society sur sa supposée condition de Shinigami. Et après tout, peut-être serait-elle la première à mettre sur le tapis la faculté de Guriko à la percevoir.

Guriko faisait rarement dans la dentelle – pour ne pas dire jamais -, il l’avait prouvé une fois de plus. Les manières de la midinette, son langage compassé, tranchaient radicalement avec son patois familier et son aisance un peu déplacée, ce qui n’était pas sans souligner l’originalité de cette entrevue. Le ton obséquieux qu’elle avait pris, et cette volonté de le vouvoyer l’avaient fait doucement rire, sans toutefois qu’il ne laisse son visage en témoigner. Et s’il s’amusait de cette politesse empruntée qui transparaissait dans chacun des gestes de son interlocutrice, son visage changea du tout au tout lorsqu’elle lui avoua sa condition de Capitaine au sein du Gotei 13. Il n’était pas sans savoir que les Capitaines représentaient la fine fleur du Seireitei, qu’ils contrôlaient des armées entières de Shinigamis, et que leur puissance n’avait d’égal que celle des meilleurs espadas. C’est du moins les informations qu’Himesaki Tôjô avait eu la générosité de lui donner il y a de cela quelques années, alors qu’il était encore empêtré dans ses conflits de pouvoir intra-lycées.

Sa mâchoire s'était littéralement décroché. Il n’arrivait tout bonnement pas à imaginer cette demi-portion au regard ingénu lui flanquer une raclée dont sa fierté aurait bien des peines à se relever. De même, il réalisa que cette Tsunemi Ai avait dû considérablement museler sa pression spirituelle pour qu’il ne puisse en ressentir qu’un si mince filin. Une prouesse qu’il ne s’expliquait pas, et qu’il admirait même, éprouvant maintes difficultés à contrôler correctement sa propre énergie. Sa curiosité et son intérêt pour la demoiselle s’étaient décuplés après qu’elle ait achevée de se présenter à lui. Cette rencontre n’avait plus rien d’anodine, du moins aux yeux de Guriko. C’était la première fois qu’il rencontrait un Capitaine, et son excitation grandissante était à la mesure de l’événement. Dans chacune de ses fibres palpitait cette irrépressible envie de mesurer sa force à cette Tsunemi, même s’il savait cette possibilité relever du fantasme.

Guriko resta pétrifié quelques secondes durant. Le choc avait été tel qu’il l’avait changé en statue de sel dans l’instant. Le bourdonnement d’une mouche non loin de son oreille droite le sortit de sa torpeur, et il put finalement reprendre la conversation ou il l’avait laissé.

- Cap’tain hein ?, fit-il tout en se caressant le bouc, Ca-pi-tai-ne… M’en veux pas, mais j’ai un peu d’mal à t’croire… Une Capt’osh du Gotei 13 qui vient cueillir des champis près de Karakura et qui va… piq’niquer (ça existe encore ça ?), ça m’semble un poil être une grosse blague !

Car s'il avait toutes les raisons du monde à se réjouir de rencontrer un Capitaine, il est vrai qu’après tout, rien ne l’obligeait à la croire. Si tant est qu’elle soit bien celle qu’elle prétendait, Guriko avait besoin de plus que simples mots pour accorder voie à ses allégations. Il entendait bien se souvenir du jour ou il aurait enfin la chance de faire face à une entité spirituelle parmi les plus rares et les plus redoutables des trois mondes, c'est pourquoi il faisait preuve d'une méfiance indéboulonnable vis-à-vis de Tsunemi.

- T’as une preuve de c’que t’avances ma petite ? Pass’que c’est pas ton p’tit katana qui va me convaincre ouais !

Il ne se laisserait pas blouser aussi facilement, aussi avenante soit-elle. Son instinct, qu’il pensait fermement infaillible, lui susurrait que cette Tsunemi Ai était tout sauf un Capitaine, à tout le moins un cinquième ou sixième siège.

Son instinct… Il avait desservi les intérêts de Guriko plus d’une fois par le passé, s’étant montré aussi juste qu’un tireur à l’arc aveugle atteint de syndrome spastique, c’est dire à quel point il fallait éviter de s'y fier…

Aussi fluette et pomponnée soit-elle, Guriko n’avait pas l’intention de la prendre avec des pincettes. Son excentricité et son franc-parler légendaire avaient une fois de plus frappés, et, sûr de ses suspicions, il n’avait pas ressenti l’ombre d’une hésitation avant d’élever ses doutes et de mettre son interlocutrice dans une position qu’il savait inconvenante – qu’il pensait du moins… Pas peu fier de son discours ampoulé et incisif, il attendait désormais, impatiemment, une réaction de la part de la Shinigami. Son sourire sarcastique et provocateur semblait ne plus vouloir quitter ses lèvres, alors qu’il constatait, non sans une certaine satisfaction, un froncement de sourcils s’esquisser sur le visage gracile de la jeune femme. La confiance que portait Guriko en son jugement atteignit alors son apogée, cette moue, à ses yeux, attestant d’une corde sensible qu’il était parvenu à faire vibrer.

- Bwahahaha j’ai vu juste hein ? Ouais je m’en dou…

Une fraction de secondes seulement s’était écoulée, c’était comme si une simple brise avait soufflé sur sa nuque. Et pourtant, il était dépossédé de ses lunettes. Lui qui n’était pas sans vanter sa célérité aux quatre coins de la ville, peut-être venait-il de trouver son maître en la matière, en la personne de cette Tsunemi Ai. Sa silhouette filiforme s’était dérobée aux yeux de l’enfumé sans qu’il ne puisse réagir, sa monture dérobée dans le même temps par ces doigts aussi habiles que fuselés. Coiffé au poteau, Guriko fût forcé de constater qu’une fois de plus, son instinct avait été de bien mauvais conseil. Et certainement cette Shinigami avait-elle dit la vérité, eu égard à cette vitesse inhumaine que même lui, serait incapable d’égaler. La déception procurée par cette regrettable erreur de jugement fût rapidement estompée par l’excitation de partager un moment en compagnie d’un Capitaine du Gotei 13. Et cette habitude d’ôter ses chemises lorsque son taux d’adrénaline s’élève – ne serait-ce que d’un pourcent – pour laisser son ardente passion s’épancher aux yeux de tous, le rattrapa bien vite elle aussi.

- MWOOOOOOOOOOOH !, beugla-t-il tout en déchiquetant sa chemise avec ses mains, Enchanté M’dame Tsunemi Ai ! Et désolé d’avoir douté d’vous, allez-y, prenez donc ma ceinture, s’époumona-t-il d’un ton à la fois révérencieux et plein d’entrain, ôtant sa ceinture pour la remettre dans les mains de la Capitaine, Fouettez moi pour cette injure ! MAIS FOUETTEZ DONC !

C’est le corps débordant d’un entrelacs de sentiments, entre joie, colère pour sa bêtise et émerveillement, qu’il s’abandonnait tout entier à la volonté de la Shinigami. Puis, alors qu’il courbait le dos, prêt à recevoir son châtiment sans broncher, il entendit résonner un léger gargouillis, de ceux qui vous étreignent l’estomac lorsqu’il crie famine. Voilà pourquoi elle cueillait des champignons. Voilà pourquoi elle s’en allait pique-niquer. Elle avait tout simplement faim. Une opportunité qu’il se devait de saisir s’il voulait en apprendre plus sur elle et sur son monde.

- Quand vous aurez fini, on a qu’à pik’niquer ensemble ? J’suis un humain à pouvoirs, j’pense avoir d’quoi tailler l’bout d’gras avec vous M’dame !

Tsunemi Ai n’était pas douce qu’en apparence. Elle se refusa à corriger Guriko, malgré le manque de respect qu’il lui avait témoigné un peu plus tôt, et, après mûre réflexion, peut-être était-ce préférable, tant pour son épiderme que pour son amour-propre – inexistant lors des crises passionnelles et compulsives dont il était fréquemment victime. La Capitaine était à rebours de tous les stéréotypes que s’était imaginé Guriko sur ces hauts-gradés du Seireitei. Il les pensait d’une noblesse empruntée, d’une présomption aérienne, d’un rigorisme implacable. Elle était d’une entière simplicité et d’une aménité surprenante, et battait en brèche toutes les idées préconçues qu’avait vaguement pensé l’enfumé au sujet de la crème des Shinigamis. Si bien qu’elle accepta presque instinctivement de partager le couvert à ses côtés, ne s’inquiétant visiblement pas outre-mesure du comportement farfelu de son invité.

Après qu’elle ait accepté la requête du Furyo, et qu’elle lui ait remis le panier dans les mains sans pour autant lui demander son avis – aussi entreprenante qu’affable -, ils se mirent en quête de nouveaux champignons qui viendraient garnir l’omelette qu’elle projetait de concocter, pour elle et pour Guriko. Il était en passe de savourer une omelette aux cèpes avec un Capitaine du Seireitei. Un capitaine. Une omelette. Et lui. Cette situation lui paraissait si improbable qu’à plusieurs reprises il coupa court à leur petite escapade, se frottant les yeux avant de porter un regard suspicieux sur Ai, vérifiant que cette promenade était belle et bien réelle, non pas issue d’un de ces songes plus vrais que nature qui vous tirent désagréablement du lit. Et à mesure que le panier se remplissait en bolets, les mots de la Shinigami devenaient plus audibles, ses cheveux plus chatoyants, son parfum plus entêtant. Elle était là, de chair et d’os, cela ne faisait plus aucun doute.

Une fois le panier débordant de champignons, Ai décida d’établir son campement au beau milieu d’une clairière sauvage, elle-même au centre de la forêt. Et alors qu’elle s’activait aux fourneaux, dévouée toute entière à la préparation de l’omelette qui remplirait leur estomac criant, Guriko s’était allongé sur le plaid, le regard à nouveau tourné vers les nuages laiteux poussés par le vent, ses lunettes de soleil le protégeant des éclats aveuglants du soleil printanier.

- J’sais pas ce que vous en pensez vous M’dame Tsunemi, mais les nuages, c’quand même drôlement foutus. J’veux dire, croyez vraiment que ce soit fait d’eau ces machins là ? Nan mais ils se paient vraiment not’ tête. Comment de l’eau pourrait d’venir du coton ? Qui nous dit que c’pas qu’un tissu de bobards ça hein ? Moi j’dis que c’est qu’des conneries ouais. P’tét bien que c’est Dieu qui perd ses poils d’bras ? Ou qui se rase la barbe ? Ouais ça parait quand même plus plausib’mon cul c’est du poulet si les nuages c’est de l’eau.Ouais parce qu’aujourd’hui, n’import’qui peutécrire un bouquin, genre le mec là, Albert Fonduslip, quel bel escroc…

- Alors, vous disiez avoir "de quoi tailler le bout de gras", il me semble. J'attends toujours.

Guriko radotait, s'enfonçant, une fois n'est pas coutume, dans des raisonnements dont il était le seul à pouvoir suivre le fil conducteur. Il avait c’est vrai, cette habitude lorsqu’il décompressait et laissait libre cours à ses pensées, friand de débats dont il était généralement le seul acteur. Ses amis n’en entendaient goutte, et ignoraient la plupart du temps ces divagations qu'on aurait tout aussi bien pu observer chez un vieux sénile n'ayant plus que son chien à qui se confier. Tsunemi Ai ne faisait pas exception. Guriko, tout en s’emparant de l’assiette que lui tendait la Capitaine, avait à cœur de ne pas gâcher cette première entrevue avec un des treize fleurons de la Soul Society. C’est pourquoi il lui fallait choisir ses mots avec précaution, et éviter de se détourner des sujets qu’il jugeait susceptibles d’intéresser son interlocutrice.

- Hmmpf.. Mouaimwf… baragouina-t-il tout en se délectant du plat préparé par la Shinigami, Mwavant toumpf, chtien à mwou chdire qwe l’omelechtte est pchutain d’bwonne.

Il mâchouilla puis avala alors les quelques bouts qui lui restaient entre les dents, avant de reprendre :

- Bah ouais j’ai d’quoi vous faire la bavette ! Ça vous intéresse pas d’savoir quel est mon pouvoir ? J’vous croyais curieux moi, comme nous z’aut’ humains. Il ôta alors ses lunettes, puis frotta ses verres contre sa poitrine pour les nettoyer – sa chemise étant réduite en copeaux de tissus quelque part dans la forêt -, avant de les remettre sur le bout de son nez. Ah bah merde, elles sont encore plus crades qu’avant. Bwoarf, tant pis. J’disais donc, moi j’ai des questions M’dame Tsunemi. J’ai rencontré un d’vos semblab’ y’a de ça une vingtaine d’années. Quoi que c’était y’a 10 ans j’crois bien. Tout ça pour dire qui m’a laissé sur ma faim, ce Tôjô. Moi, savez, j’ai 2 buts dans la vie. Frapper, et cogner. Et là les Hollows, il arrive un moment ou je m’en tamponne le coquillard, sont trop faibles. Pourriez pas m’parler un peu de ces Alankèrs j’sais pu trop quoi ? Et sauriez pas ou j’peux en trouver ?

Guriko dévorait maintenant la Shinigami des yeux. Impatient d’entendre sa réponse. Peut-être pas totalement insensible à ses charmes, aussi.

- Vous pouvez faire crac-crac, vous z’aut’ Shinigamis ?

Les révélations de Ai, loin d’avoir étonné Guriko, avaient au contraire attisé sa curiosité, déjà piquée à vif par le brûlant sujet des Arrancars qu’il soupçonnait être responsables de la mort de son père. Ses expériences passées lui avaient forgé une incrédulité à toute épreuve, et il ne s’étonnait plus de rien. On aurait bien pu lui dire qu’une armée d’aliens tentaculaires assiégeait les États-Unis qu’il n’aurait pas haussé un sourcil – au mieux aurait-il pris un billet direction Washington pour aller se dégourdir les poings. Ce qui par contre, ne fût pas sans heurter l’attention de la raclure du Quartier Nord, ce fût ces doutes qu’émettait clairement la Shinigami quant à sa capacité à faire face aux Arrancars. Le talon de Ai venait d’effleurer la fierté du voyou – sans aller jusqu’à la piétiner, bénie soit-elle -, qui nourrissait une confiance aveugle et démesurée en sa force.

- Vot’ expérience hein ? Vous savez ou j’me la fous vot’ expérience, sauf vot’ respect, Madame Tsunemi ? Bah j’me la carre dans l’oignon ouais, parce qu’il est pas né celui qui me f’ra plier l’genou ! Et ce s’ra certainement pas un Alankèr !, s’évertua Guriko, le regard flamboyant, la voix retentissante d’assurance.

Là-dessus, on ne le referait pas. Il était sculpté d’un bois aussi inflexible qu’obtus, et son pouvoir était certainement la chose en laquelle il croyait le plus. Son dégoût viscéral pour la défaite, il le connaissait depuis le berceau. Et question combat, il n’avait jamais connu cette amère sensation de mordre la poussière, c’est pourquoi il lui était impossible d’imaginer une joute de laquelle il ne sortait pas vainqueur. Sa vingtaine d’année témoignait là d’un manque de maturité qui pourrait bien lui être fatal lors d’affrontements plus sérieux que ses parties de chasse dans les ruelles de Karakura ou ses règlements de compte entre gangs. La Shinigami avait visiblement pris ombrage de la question un peu indiscrète que lui avait posé – pourtant innocemment – Guriko. Sa réponse, froide, et sa main posée sur le manche de son Katana avaient laissé s’écouler suffisamment d’informations sur son état d’esprit pour que l’enfumé se ravise à la questionner d’avantage sur ce sujet.

- Bwahaha, faut pas vous met’ martel en tête M’dame Tsunemi ! C’était de la simple curiosité ! Pis j’sais très bien que j’ai aucune chance avec une Cap’taine du Gotei 13, voyons !, badina Guriko, qui s’amusait très franchement de la gêne qui s’était emparé de son interlocutrice. Y’a pas à dire, ils venaient de deux mondes différents ces deux-là.

Guriko laissa quelques secondes de silence s’installer, au cours desquelles les deux protagonistes pouvaient jouir des chants mélodieux des oiseaux se mêlant au souffle discret de cette brise printanière. Ce mutisme était bien volontaire. C’est que, malgré son excentricité et sa crudité de langage, le Furyo ne savait pas trop comment formuler sa prochaine question, au risque de ruiner ses chances. Mais, plus que tout, il lui fallait savoir quelles étaient les probabilités pour que sa demande soit acceptée, et la mettre à jour constituait une première étape indispensable pour voir se réaliser cet objectif sur lequel il avait commencé à cogiter lors de la cueillette.

- Dites… M’dame Tsunemi… pensez que… peut-être… j’pourrais vous filer un coup d’main dans vos missions à la Soul Society ? Pourriez p’tét en toucher un mot à vot’ Capitaine Commandant nan ? Genre, organiser une réunion ou j’sais pas trop… Je suis sûr que j’pourrais vous être utile, pis j’ai de la ressource, j’suis balèze, j’ai envie de dynamiter un peu mon quotidien savez ! Regardez, j’ai les mains qui tremblent rien qu’à m’imaginer affronter des ennemis plus puissants ! Et puis si vous doutez d’ma force, j’peux vous faire une démonstration, là, tout d’suite !

Il avait prononcé ces mots avec une sincérité profonde. Et il espérait voir s’ouvrir à lui de nouveaux horizons, pourquoi pas fouler les terres sacrées du Seireitei, même ? Qu’importe les propositions du Gotei, il était prêt à toutes les étudier, tant qu’elles lui offraient de plus gros gibiers à se mettre sous la dent.

Spoiler:

Décidément, l’atmosphère avait changé du tout au tout. La Shinigami ne transpirait plus cette aménité chaleureuse à laquelle Guriko s’était bien volontiers accommodé. Bien loin de celle qui, un peu plus tôt, lui avait concocté cette omelette avec amour et s’était prêtée au jeu des confessions, elle paraissait désormais distante, frigide, chaque mots claqués par sa langue teintés de cette étonnante froideur. Alors ça y est ? Une fois de plus, il avait tout fait foirer ? Il est vrai que Guriko avait tendance à tuer dans l’œuf ses tentatives d’approche avec les femmes. Il n’était pas vraiment doué pour manipuler les mots, pas plus qu’il ne se sentait l’âme d’un séducteur. L’approche directe lui convenait bien mieux, et il excellait tout particulièrement dans ce domaine. Cependant, ce type de méthodes n’avait que très peu d’effets sur la gente féminine, et plus d’une fois, il eut l’amère occasion de le constater.

L’attitude de Ai en disait long sur l’incapacité de Guriko à converser avec le sexe opposé. Et pourtant, jamais l’idée de mettre la Capitaine dans son lit n’avait germé dans son esprit – quoi qu’il n’aurait pas été contre. Il s’était contenté, par simple curiosité, de l’interroger sur la copulation des Dieux de la mort. Un sujet plus qu’intéressant, n’est-il pas ? De même, sa requête n’avait semble-t-il, pas rencontré la réponse escomptée. De but en blanc, Ai ceintura son sabre à sa taille, enfila son Haiori, et replia tout le toutim dont elle s’était équipée pour pique-niquer. Au final, leur discussion aura été de courte durée. Il était maintenant certain que Guriko avait offensé son interlocutrice - à l’insu de son plein gré soi dit en passant - mais la vitesse à laquelle Ai lui faussa compagnie ne lui laissa pas le temps de rattraper cette erreur de parcours bien involontaire. Comme quoi, de simples mots pouvaient engendrer des dégâts disproportionnés.

Pétrifié par la réaction soudaine et inattendue de la Capitaine, l’enfumé la regarda s’évaporer sans dire mot – du moins, sans avoir le loisir d’en prononcer. Elle était aussi véloce qu’imprévisible, cette Tsunemi Ai. Au moins avait-il eu le plaisir de rencontrer un haut gradé du Seireitei en chair et en os, maigre consolation qu’il s’autorisait, faute de mieux. Il soupira, longuement, l’air indifférent.

- Aaaaaah… J'comprends pas, faudrait p'tét que j'me rase la barbe ?

Après tout, pensait-il, il n’y avait pas mort d’hommes. La conversation n’avait pas viré au bain de sang – pas plus qu’à la partie de jambes en l’air -, et il lui semblait ne pas avoir laissé une si mauvaise impression à cette dame. Son petit doigt – entendez son légendaire instinct – le lui disait. Peut-être était-il naïf de le croire, mais à quoi bon se lamenter ? Et puis, les râteaux – car oui, la situation s’en approchait -, ça le connaissait. Un de plus, un de moins… Ce dont il était sur, c’est qu’il se rappellerait de cet après-midi, et qu’il n’oublierait pas non plus le visage virginal de la Capitaine. Cette brusque échappée ? Il ne lui en tenait pas rigueur. Et au fond de lui, Guriko espérait que cette rencontre soit annonciatrice de nouvelles perspectives plus… distrayantes.

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