Il avait perçu l’aura de l’inconnu avant même que ce dernier ne pousse sa porte. Rien d’étonnant à cela lorsque l’on était toujours aux aguets. Question de survie et de logique car Borick le savait mieux que quiconque : au cœur de la Citadelle, on n’était jamais hors de danger. Les Espada n’étaient décidément pas les seuls à parcourir les couloirs de ce lieu étrange et le blondinet en avait eu de multiples preuves récemment. A croire que quelque chose se tramait dans les ombres sans qu’il ne puisse savoir quoi. Hautement improbable bien entendu puisque à sa connaissance, il était sans doute le seul à avoir le bras assez long pour se jouer de ceux qui composaient l’armée de la panthère.

Alors que la voix de l’étranger s’élevait, Borick quitta sa contemplation pour se tourner complètement vers son invité surprise. Sans doute que ce dernier ne s’était pas attendu à voir que cette pièce était habitée. En tout cas, l’Empereur était persuadé que cette rencontre n’était que le plus pur des hasards. D’un signe de la main, il invita l’Arrancar masqué à s’approcher, remettant en même temps certaines de ses mèches blondes en place. Une partie du visage angélique de Borick restait toutefois caché par sa chevelure. La partie où se trouvait son propre masque de bête, ce qui n’était évidemment pas anodin.

L’homme qu’il invitait ainsi ne lui disait rien, comme il l’avait pensé en ressentant sa présence. Il n’avait pas grand chose en commun avec les Arrancars libres qui parcouraient la Citadelle. Un peu plus classe, bien plus poli selon les premiers mots que l’autre avait prononcé. Préférant ne pas se perdre en suppositions, il lui adressa un petit sourire avant de prendre lui aussi la parole, quelque peu amusé.

- Je suis beaucoup de chose mais je crains de ne pas être ton Seigneur. Je suis Borick « El Emperador ».

Nouveau sourire dans sa direction. Borick avait beau se dire Empereur, il n’en restait pas moins un homme profondément attaché aux notions de respect et de politesse. Fou-Lu n’avait jamais apprécié ces notions, préférant faire usage de la condescendance et de la force pour imposer sa présence aux autres. Le blondinet préférait de loin ses propres méthodes, moins barbares et beaucoup plus civilisées à ses yeux. La force ne devait être utilisée qu’en dernier recours, face aux animaux incapables de réprimer leurs instincts les plus bas.

Effectuant quelques pas dans sa direction, il prit le temps de bien observer l’homme qui se dressait face à lui. Au vu du terme employé, il le supposait au service de quelqu’un, sans doute un Espada. Mais rien n’était moins sûr tant l’appellation était commune. En tout cas, il ne décelait en lui aucune trace de peur. Seulement de l’attente et sans doute aussi un peu de curiosité. Il n’avait sans doute jamais entendu parler de Borick et si tel était le cas, cela signifiait une chose : il était nouveau dans al Citadelle. Il allait de toute évidence en avoir le cœur net rapidement.

- Peut-être que si je savais ce que tu cherches, je serais en mesure de t’aider, non ?

Déjà ? Non, certainement pas. On ne refusait pas une invitation du Sexta. Ou alors on s'en mordait les doigts. Il n'y avait ici aucun jeu politique, aucune volonté d'asservir l'homme au masque. Une simple et honnête interrogation qui méritait réponse à ses yeux, voilà tout. Bien sûr, pour obtenir ce qu'il désirait, il pouvait tout autant le laisser filer et faire appel à Adjuchas. Son Fraccion ne tarderait alors pas à lui offrir l'identité réelle de cet homme sur un plateau. Mais céder à la facilité ne pouvait qu'émousser ses talents. C'est pourquoi il reprit avant de voir l'homme disparaître :

- Pourquoi partir si vite, Lubos Kiefer ? Reste donc un instant. Il est trop rare de voir un Arrancar posséder de si bonnes manières, j'aimerai en profiter encore un peu si l'occasion m'en est donné.

Il ne mentait absolument pas. S'il ne connaissait pas Lubos, il n'en demeurait pas moins ravi du premier échange plus ou moins imposé. Le destin l'avait mis sur sa route et l'Empereur n'était pas disposé à ignorer ce fait. On se moquerait de lui si l'on connaissait sa manie à tout rapporter au destin mais qui savait ? Personne. Pas même Dark qui était pourtant son frère, son double. Borick fit quelques pas dans la salle sans toutefois s'approcher plus de son invité. Briser certaines conventions ne saurait que l'effrayer et il ne le désirait pas. Maintenant qu'il connaissait son identité, il souhaitait savoir qui il était. N'était-ce pas l'une de ses missions premières, après tout ?

Ses déductions se confirmaient en tout cas. Cet homme n'était pas une des Lames de Grimmjow. Il doutait aussi qu'il ne soit qu'un simple vagabond, au même titre qu'Alecto ou Jack. Familier des lieux, pas réellement. Mais il n'avait pas l'attitude d'un étranger pour autant. Plaçant ses mains dans son dos, le blondinet réfléchissait. L'Arrancar pouvait encore décider de quitter les lieux et s'il s'y obstinait, il ne l'arrêterait pas. Aller droit au but lui permettrait au moins d'obtenir un résultat avant que sa proie ne lui file entre les doigts. Et pour cela, il allait devoir mener la discussion. Une fois n'est pas coutume, c'est lui qui jouerait les marionnettistes. Même si ici, le but n'était que de savoir qui il était.

- Tu ne me déranges en aucun cas. Je suppose que tu ne sais pas qui je suis, ce qui subodore que tu n'es pas ici depuis très longtemps. Je vais donc palier à cette ignorance... Sache que tu te retrouves devant la Sixième Lame de l'Espada. Et je m’interrogeais justement sur la place qui est la tienne au sein de Las Noches. Disons que j'aime savoir à qui je parle. Une curiosité maladive, je l'admets, qui me ronge et à laquelle je ne peux rien faire.

Il s'amusait de la situation. Ses yeux pétillaient tant sa curiosité était piquée à vif. Il n'y avait généralement rien qui lui échappait au sein de Las Noches et il voyait là une nouvelle pièce entrer en jeu. Comment ne pas être intéressé par cette nouveauté ? Il verrait plus tard dans quelle catégorie ranger Lubos. Pour le moment, ce n'était qu'une discussion de courtoisie.

Voilà qui expliquait bien des choses, en vérité. Lubos servait Tibors, la Quatrième Lame, l’un des seuls Arrancars au service du Roi capable de tenir une véritable discussion sans sortir son arme. Les manières de son Fraccion étaient donc à la hauteur du rang de son maître et cela plaisait au blondinet. Le titre de Fraccion en lui-même ne signifiait rien pour lui, sachant que ce n’était pas un signe de force. Après tout, lui-même avait été au service de l’ancien Primera Espada, y trouvant son compte sans pour autant être considéré comme un simple esclave. Tous ne pouvaient pas s’en vanter néanmoins. Mais Lubos était très certainement dans le même cas de figure que lui à l’époque.

- Ainsi donc tu es au service de Tibors. Quelle heureuse nouvelle. Il semble savoir s’entourer et j’apprécie de voir qu’il n’est pas qu’un beau parleur. Les apparences sont importantes pour les gens comme nous et tu représentes parfaitement ton maître. Tu n’as pas à pâlir de ton statut, Lubos.

Par « nous », il parlait évidemment de Tibors et de lui-même, deux exceptions parmi l’élite de Las Noches. Manipuler les mots était plus difficile que de se servir de son arme. Et Borick avait fait de cette particularité une force. Il préférait dominer les débâts plutôt que de prouver sa force en combat. On obtenait plus de résultats ainsi. Quant au statut de Lubos, Borick pensait chaque mot qu’il avait prononcé. Lui-même possédait une Fraccion, au même titre qu’une majorité d’Espada. Mais Adjuchas ne correspondait en rien à ce que l’on pouvait imaginer. Certains trouveraient grotesques qu’un Empereur ait à son service un Hollow et non un Arrancar. Mais le Sexta y trouvait son compte. Mieux, il était tombé sur la perle rare, celle capable de lui fournir des informations détaillées sur ces cibles. Quel que soit son titre au sein de la Citadelle, on n’échappait pas à la surveillance d’El Emperador.

- Je ne saurais te répondre, malheureusement. La dernière fois que j’ai eu le plaisir de discuter avec lui, il se trouvait dans l’une des salles vide de la Citadelle, à contempler l’architecture des lieux. Ce ne serait sans doute pas absurde de commencer tes recherches par là. Je pourrais très bien t’y faire conduire par la suite, si tu le désires. Il n’est pas impossible que cela te fasse gagner du temps, après tout.

Dépêcher un Arrancar pour l’y emmener ne serait pas difficile. L’Empereur savait se faire respecter sans user de la force et les pions qui servaient le Roi ne rechignaient guère à obéir à ses ordres. Un exemple que les autres devraient suivre si on lui demandait son avis. Puis, abaissant légèrement la voix comme s’il se confiait à cet homme, il reprit :

- Tu ne le sais sans doute pas mais j’ai moi-même été un Fraccion avant d’intégrer l’élite de Grimmjow. L’ancien Primera Espada avait l’honneur de me compter parmi ses alliés. Ainsi, je comprends parfaitement le rôle qui est le tien. Tibors semble être suffisamment respectueux pour te considérer comme autre chose qu’un simple serviteur. C’est une chance que beaucoup ne possèdent pas.

C’est là où l’on devinait clairement l’état d’esprit de Borick. Il venait tout simplement de dire, à mots couverts, que c’était Fou-Lu qui avait eu de la chance d’avoir eu un tel Fraccion. Et il le pensait sincèrement. Contrairement aux autres, il savait faire preuve de patience pour mener à bien ses projets. Et s’il était passé par ce stade là, c’était surtout parce qu’il avait apprécié l’anonymat que cela procurait.

- Tu ne connais donc pas les autres Lames de las Noches ? Il serait sans doute bon pour toi que tu puisses les rencontrer sous peu. Ou de demander à ton maître de te les décrire. Certains d’entre eux sont trop arrogants et risqueraient de ne pas apprécier que tu ne sois pas capable de les reconnaître. Il est bon de savoir à qui l’on a affaire afin d’éviter les problèmes, surtout lorsque l’on se trouve au service de la Panthère. Prends cela comme un simple conseil, il n’y a aucune obligation dans ce que je te dis. Disons seulement que je connais ces animaux, l’instinct est certainement la seule chose qu’ils écoutent.

Il haussait les épaules, comme pour signifier que ce n’était qu’un détail. Ce masque cachait une partie du visage de Lubos, le rendant difficile à lire. Impossible de voir s’il souriait, s’il grimaçait, ou tout autre signe d’un sentiment quelconque. Cela n’avait évidemment pas autant d’importance que cela. Aduchas était tout aussi difficile à lire que cet homme. Voir plus, son Fraccion étant encore sous sa condition de bête. Une condition que ne comprenait pas El Emperador mais qu’il acceptait pour le moment.

Un exploit selon Lubos, un problème selon Borick. En devenant Espada, il était passé de l’ombre à la lumière. Une situation qui ne l’aurait sans doute pas dérangée s’il n’avait pas un projet plus ambitieux encore. Intégrer l’élite donnait évidemment quelques avantages mais ceux-ci n’étaient pas suffisants pour combler l’Empereur. Seule la Terre l’intéressait. Et c’était seulement pour ça qu’il gravitait depuis des années dans le sillage des Espada. En devenir un n’était donc pas vraiment une aubaine, n’en déplaise à Dark. Car son frère de cœur avait été ravi d’apprendre cette promotion, ce dernier trouvant que l’Espada collait mieux au caractère de Borick que le simple statut de serviteur. Car pour l’actuel Primera, un Fraccion n’était rien d’autre qu’un suivant. Une erreur généralisée parmi l’élite. Une erreur que ne faisait pas El Emperador.

Lubos était le parfait contre exemple de ce cliché. Et en d’autres circonstances, on aurait très bien pu le confondre avec un des membres éminents de l’élite de Grimmjow. D’ailleurs, sans doute obtiendrait-il sa place lui aussi à terme. Car la mortalité était élevée lorsque l’on combattait pour la Panthère. Las Noches ne demandait que les meilleurs des meilleurs et seule la force déterminait qui méritait une place dans les hautes sphères. En tout cas, Tibors et Lubos s’étaient véritablement bien trouvés. Et en un sens, leur relation rappelait étrangement celle qu’il avait eue avec Fou-Lu. Quoi qu’une différence existentielle les séparait toutefois.

- Tu ne m’ennuies aucunement. Je te l’ai dit : pouvoir discuter sereinement est un luxe que peu s’octroie au sein de la Citadelle. Et je suis bien heureux de pouvoir m’adonner à ce plaisir lorsque la situation me le permet.

Evidemment, le Fraccion semblait tilter un peu sur le terme employé par l’Empereur précédemment. Ce qui n’avait rien d’anormal. Et même s’il ne pouvait voir son visage en totalité, Borick perçut la gêne de l’homme. Il est vrai qu’il pouvait se montrer parfois extrêmement insultant vis-à-vis des Hollows et des autres Arrancars. Mais il ne fallait toutefois pas se méprendre : ils n’étaient pas tous inclus dans le même panier.

- Il n’y a pas que leur condition, Lubos. A mes yeux, le comportement d’un être en dit long sur ce qu’il est réellement. Un Arrancar, qu’il soit Espada ou simple Numeros, a comme devoir de se comporter mieux qu’il ne le faisait lorsqu’il était simple Hollow. Ce n’est évidemment qu’un avis personnel. Malheureusement, la plupart se laisse dominer par leurs plus bas instincts, tuant et détruisant pour le simple plaisir. Ce comportement m’est insupportable et est indigne de la chance que nous avons. Et c’est cette mentalité qui fait d’eux de simples animaux.

Borick se considérait comme le plus humains des Arrancars. Il reniait ses origines de Hollow au point de ne jamais libérer sa ressureccion et de ne plus jamais reprendre sa forme de bête. Une promesse à laquelle il ne pouvait déroger. Car elle était le fondement même de son être. Et toute sa personnalité s’était construite sur cette parole donnée. Et c’était précisément cet état d’esprit qui faisait de lui un pestiféré parmi l’élite. Car personne ne partageait ce point de vue. Tout du moins pas à ce point.

- Un avis qui ne trouve généralement pas écho auprès de nos semblables. Il s’agit simplement d’une conviction personnelle. Une mentalité qui fait de moi une exception, je le conçois.