Chefs d'oeuvre et cathéters [Ai/Akihiko/Asuna]

Cette matinée était brumeuse, autant dehors que dedans, alors que les paupières d'une petite jeune femme aux yeux noircis de cernes s'entrouvraient, la première fois depuis une bonne vingtaine d'heures. Elle dormait beaucoup, mais reprenait des forces, et on lui témoignait d’égards et de marques de respects absentes dans les interactions avec les autres patients. Et pour cause: La capitaine de la douzième division, estropiée, occupait depuis une bonne semaine ce lit dans une chambre double de la quatrième division. Et sa voisine de chambre n'était pas du genre bavarde, c'était plutôt le type grincheux. Ai se tourna, émergeant, découvrant une fois de plus le sempiternel profil grave et la tignasse blonde associée d'Asuna. Et, sans plus attendre, sa main glissa jusqu'en bas de son petit lit pour aller se saisir de son Sanshin.

Elle accorda d'abord l'instrument, jouant des notes étouffées, puis, une fois satisfaite, commença une mélodie lente et mélancolique, avant de la faire évoluer, plus tendue, inspirée par son état d'esprit ces derniers temps. Elle avait insisté auprès du personnel pour pouvoir emmener son instrument de musique malgré le fait qu'elle se trouvait dans un hôpital, par défaut un lieu de repos. C'était en quelque sorte son premier caprice de capitaine, elle qui était d'habitude si complaisante. Elle ne s'était jamais séparée d'un instrument à cordes quelconque au cours du dernier siècle, alors elle n'allait pas commencer à présent. Et elle ne jouait pas les accentuations, afin de ne pas nuire à la tranquillité des lieux. Elle avait simplement besoin de faire courir ses doigts sur les cordes pour exister. Jetant un regard à sa voisine de chambre, guettant une réaction, elle ne vit rien.

Les cheveux détachés dans un kimono de patiente blanc comme neige, Ai ressemblait plus que jamais à la servante mélomane qu'elle avait été un jour. Ces souvenirs étaient bien loin, pourtant, au regard des fleurs qui parsemaient ça et là la pièce. Sa compagne d'un jour, pourtant, semblait être une solitaire. Elle aussi, mais la fonction avait fait qu'un véritable défilé de scientifiques en blouse blanche avait investi les lieux depuis qu'elle avait été rapatriée du Hueco Mundo. Elle avait trouvé ça fatigant, au bas mot, puisque ces visites avaient lieu à toute heure de la journée sauf lorsqu'elle dormait du sommeil du juste, ou faisait semblant afin d'avoir la paix. Elle avait donc eu l'assurance que ses subordonnés l'appréciaient, et ça lui faisait plaisir, mais elle avait surtout besoin de repos.

- Hmmm ? Quoi ?

Justement une de ces visites semblait se profiler à l'horizon, et elle tourna la tête vers la porte, cessant de jouer et posant l'instrument en travers de ses jambes. Elle eut d'ailleurs un rictus de douleur. C'était sa mauvaise jambe. Elle était de bonne humeur, cependant, et son sourire ne fit que s'élargir lorsqu'elle vit qui venait de passer la porte. Elle se demandait quand son vieil ami allait enfin lui rendre visite. Cependant elle fit ce qu'elle faisait toujours lorsqu'elle le crosait pour la première fois dans une journée: elle s'assura de la couleur de ses iris.

Suite à « l’agression » d’Himesaki sur sa personne, on transféra Asuna dans une autre chambre, plus sûre, lui dit-on. Et pour cause, la jeune femme fut mise à compagnie avec une autre Capitaine, elle-même blessée, qu’elle reconnut comme étant Tsunemi Ai, la gradée égarée dans les quartiers de la Quatrième, quelques mois plus tôt. Il fut certain que cette fois-ci, Tsunemi trouva son chemin avec bien plus de facilité.
Asuna comprit le stratagème déployé par les médecins. Le Capitaine Tsunemi, malgré son état, devait être vue comme une barrière suffisante entre la nouvelle Troisième siège, et ce fou furieux d’Himesaki. Si Tsunemi n’était guère fraîche dans son état de santé, sa seule présence éloignerait probablement toute manifestation de l’homme.

Cela sembla marcher, par ailleurs. Depuis trois jours, Asuna se trouvait ici, et elle n’avait pas vu poindre ne serait-ce que le nez d’Himesaki. Elle aurait dû sortir bien plus tôt, mais au regard des récents événements, Asuna ne fut pas mécontente de pouvoir rester tranquille encore un peu. Dehors serait dangereux, elle n’en doutait pas.
Quant à sa colocation avec Tsunemi, elle n’eut pas à s’en plaindre. Pas véritablement. Sa voisine du chambre fut généralement silencieuse, car dormant beaucoup, et les rares fois où elle s’éveillait, elle se contentait de gratter distraitement un instrument de musique. Les seuls moments pénibles étaient ceux où les membres de sa division venaient s’apitoyer à son chevet, forçant Asuna à devoir endurer ce pénible exercice de suppliques et de niaiseries.

Afin de ne pas avoir à se lancer dans des échanges verbaux plus ou moins creux, Asuna fit régulièrement mine de dormir. Elle n’éprouvait aucun besoin de discuter avec qui que ce soit, ni sur quoi que ce soit. Mais quand la gradée dormait, et qu’Asuna se trouvait enfin seule, elle pouvait renouer avec ses uniques intérêts.
Le rien. Les heures passées avec elle-même comme compagnie, la jeune femme se consacrait au vide de l’esprit, à la mollesse du corps. Elle fixait murs et plafond sans éprouver le moindre ennui, se levait parfois pour errer, quasi mort vivante, autour de son lit avant de s’allonger. Elle suivait les énergies spirituelles au loin, profitant de cette curieuse omnipotence qui lui permettait d’être auprès d’eux sans l’être véritablement. Parfois, elle chuchotait des mots obscurs au creux de sa lame, qui lui répondait par des craquements.
La chambre alors se nimbait d’une sensation oppressante, sinistre, dont Asuna savourait la délicatesse.

Vint toutefois le jour où la mascarade s’acheva. Il était temps pour elle, lui avait-on dit le matin même, d’embrasser ses nouvelles responsabilités et d’aller de l’avant. Elle n’avait pas contesté. À l’aube de sa sortie de l’hôpital, Asuna se tint encore allongée dans son lit, les yeux ouverts, sans éclat. Elle entendit sur sa droite Tsunemi s’éveiller et jouer quelques notes. Asuna n’y porta pas la moindre attention. Sa Dame à ses oreilles lui susurrait des vérités secrètes qui captaient toute l’attention de la jeune femme.
Pourtant, une discordance vint briser l’harmonie. La Capitaine marmonna quelque chose et Asuna perçut l’arrivée d’une énergie qu’elle reconnut sans mal. Une personne qui en d’autres occasions, elle aurait souhaité ne plus jamais recroiser. Mais elle était Troisième siège à présent. Son secret n’avait tellement plus d’importance maintenant qu’il avait été en partie éventé. L’expression neutre, Asuna tourna la tête vers le nouvel arrivant, sans mot dire.

Kirito marchait le long du couloir. Le bruit de ses pas se répercutaient en écho autour de lui ce qui augmentait sa sensation de malaise. Il n’aimait pas les hôpitaux. Pas pour des raisons du genre peur du sang ou des piqures non ils ne les aimaient pas tout simplement parce qu’ils lui rappelaient de désagréables souvenirs. A l’époque où ses deux identités s’entremêlaient sans logique il avait plus d’une fois terminé ces journées dans un hôpital où on ne cessait alors pas de lui rappeler son instabilité mentale. De longues heures à attendre qu’on fasse quelque chose pour son « problème » qui se soldaient irrémédiablement par un échec. Au bout de quelques jours, semaines voire même parfois mois ou années on finissait alors par le laisser repartir ou alors il s’échappait. Sa vie à l’époque n’avait aucun sens mais rester enfermer dans un hôpital était l’une des pires manières pour passer le temps…

Pourtant il n’était pas venu rendre visite à son amie pour une raison tout autre que cette angoisse vis à vis du monde hospitalier. En effet, s’il n’était pas venu plus tôt c’était tout simplement parce qu’il n’avait pas eu le temps ! L’assaut sur le Hueco Mundo avait vraisemblablement fait de nombreux blessés et parmi eux deux de ses supérieurs. Par conséquent, lui simple quatrième siège s’était retrouvé quasiment à la tête de la douzième division en l’absence de son capitaine et de son troisième siège. Même si Akon le vice-capitaine était toujours là il ne s’était pas avéré d’une grande utilité pour une raison que Akihiko ignorait. Il s’était alors retrouvé noyé sous les responsabilités et la paperasse qui allait avec. Cela faisait plusieurs jours qu’il dormait à peine et qu’il faisait de nombreux efforts pour maintenir la douzième division à flot tant bien que mal. Il avait d’ailleurs eu quelques petits accrocs avec des chercheurs qui avaient tentés d’espionner les recherches de Senji, mais ils en avaient fait leur frais en rencontrant la personnalité la moins conciliante de notre jeune héros. Cependant, aujourd’hui il avait eu une ouverture, un peu de temps libre qu’il comptait bien mettre à profit pour rendre visite à son amie. Il savait son état exact, il avait lu des rapports sur l’assaut mais il avait également demandé à ceux de sa division qui étaient déjà passé voir la capitaine des détails sur son état.

Kirito avança encore un peu puis se posta face à une porte. Il toqua et attendit que la voix de Ai lui annonce qu’il pouvait entrer. Il posa alors sa main sur la poignée qu’il abaissa puis il entra. Ses deux yeux gris se posèrent alors sur le visage souriant de son amie. Il savait qu’elle avait pris l’habitude de vérifier ses pupilles quand ils se rencontraient aussi cela était devenu comme une sorte de jeu entre eux, un simple échange de regard qui en disait bien plus long que des paroles. Elle semblait aller bien comme on le lui avait indiqué et on pouvait difficilement savoir que l’une de ses jambes était si salement amochée. Il fut également amusé de remarquer la présence de l’instrument fétiche de la jeune femme sur son lit. Kirito avança tranquillement et referma la porte derrière lui il afficha un sourire en réponse à celui de son amie.

Bonjour, Ai. Comment vas-tu ? Je suis désolé de ne pas avoir réussi à venir plus tôt. Le poste de capitaine ne doit pas être facile à porter tous les jours.

Puis les yeux de Kirito se dirigèrent ensuite vers la deuxième personne présente. Il savait que la jeune femme avait du repérer depuis longtemps son arrivée car il la connaissait. Il avait été quelque peu inquiet lorsqu’on lui avait annoncé qui était venu partager la chambre de sa capitaine. Plongeant ses deux yeux gris dans le regard toujours aussi vide de la jeune shinigami Akihiko ajouta.

Bonjour également Kuragari-san. J’espère que vous vous portez bien aussi car je suppose que le poste de troisième siège ne sera pas non plus de tout repos.

Kirito n’avait pas prononcé ces mots avec méchanceté ou même moquerie mais avec sincérité et compassion. Même si l’autre n’avait pas sut le nom de la jeune femme lors de leur rencontre pour le moins mouvementé dans le monde des vivants lui avait fait des recherches qui n’avaient abouties que récemment. Il avait finalement trouvé le nom de cette jeune femme après avoir longuement retourné bien des dossiers mais c’était aussi dû au fait que ledit dossier indiquait qu’elle passait du poste de vingtième siège à troisième siège. Akihiko avait clairement été surpris de savoir qu’elle occupait un poste si bas au vu de son niveau et même le poste de troisième siège semblait trop bas pour sa véritable force.

Chassant ces pensées de son esprit Kirito attrapa une chaise un peu plus loin et s’installa entre les deux lits. Il se méfiait d’Asuna cependant il ne lui en voulait pas personnellement par conséquent il n’avait aucune raison de l’ignorer même si quelque part il se doutait qu’elle aurait sans doute préférer l’être.

Gris. C'était donc une journée reposante, ou plutôt une entrevue reposante, qui s’annonçait, puisque son subordonné n'était pas d'humeur à la reluquer ou à lui faire des avances. Ce qui dans son état aurait équivalu à se faire jeter dehors sans autre forme de procès. Changeant son rictus de douleur en sourire franc et sincère, elle accueillit son troisième siège comme il se devait, c'est à dire d'une petite voix encore saturée de morphine, ou autres médications. Elle était néanmoins assez réveillée et assez proche de sa date de sortie pour constater une légère tension chez sa voisine de chambre, qui ne devait pas dormir tant que ça, finalement. Elle articula donc:

- Ces jours-ci, ce sont plutôt les fleurs qui sont difficiles à faire tenir dans la pièce. J'ai connu pire, comme responsabilités.

Elle eut un petit rire, tournant à cet instant les yeux vers Asuna, alors qu'Akihiko allait s'installer pile entre elles deux. Il l'avait saluée également. Cette petite pièce de théâtre qui se jouait à présent sous ses yeux allait avoir le mérite d’être divertissante, à défaut de la guérir de sa patte folle. Mais elle détourna aussitôt le regard, lui donnant ce caractère vitreux qui trompait si aisément ses sous-fifres lorsqu'ils se mettaient en tête de lui demander son avis sur leurs recherches personnelles, maintenant qu'elle semblait avoir le temps. A vrai dire leurs babillages la faisaient rire intérieurement, puisque leurs recherches lui rappelaient le traité sur la pression spirituelle des fougères qu'elle avait lu lors de son premier jour en Haori. A quelques rares exceptions c'était absolument sans intérêt pour le seireitei. Et puis, jouer celle qui avait des absences l'amusait.

Elle savait pourtant qu'Akihiko ne serait pas dupe, il ne la connaissait que trop bien, et c'était pile l'expression qu'elle prenait lorsqu'il exprimait ses protestation au moment de lui refiler un rapport quand ils étaient encore tous deux officiers de siège au sein de la division du muguet de mai. Elle se demandait cependant ce qui pouvait faire qu'Asuna se soit brièvement tendue au moment de l'entrée triomphale du petit shinigami dans la pièce, étant donné que celui-ci était la gentillesse incarnée. Sauf si elle avait croisé l'autre, bien sur. C'était une possibilité.

- Alors, racontes-moi tout, comment ça se passe à la division ? Est-ce qu'on a avancé sur le KG ? Je n'ai pas eu envie de demander aux autres. Et Akon ?

Un flot de questions qui avaient surgi de nulle part, puisqu'elle s'amusait à faire la morte la seconde d'avant, sanshin sur les genoux, telle une gravure de mode. Cheveux en bataille et regard intense, la capitaine avait à présent l'air d'une adolescente rebelle en proie à des illuminations. Ce qui était en partie vrai, du moins pour les illuminations. On ne devenait pas scientifique en chef sans ça. Elle avait envie de savoir. Si les premiers jours elle avait surtout eu envie d'avoir la paix, puisque sa blessure était encore trop douloureuse et la honte de sa défaite trop présente, elle était à présent impatiente de reprendre en main sa division, de superviser ses troupes et de travailler à de nouveaux projets. Et surtout, elle avait hate de redorer son blason auprès des capitaines les plus anciens, comme Tenzen ou Shinjiro, qui, elle le savait, devaient avoir une piètre opinion de sa force, à présent. Se tournant brusquement vers Asuna, elle lui lanca.

- Asuna-chan, j'appelle du thé, vous en voulez ?

Car elle oui. Du thé à la morphine, de préférence, mais on ne pouvait pas tout avoir.

Elle l’avait reconnu avant même que son visage se présenta à la porte. Kirito Akihiko, le compagnon d’une nuit sur Terre, qui l’avait accompagnée dans un de ses faits d’armes les plus éblouissants, mais aussi les plus secrets. Elle avait été étonnée de ne pas le revoir avant, pensant que ce coté obsessionnel qu’elle avait vu chez lui le pousserait à la rechercher. Pourtant quand il pénétra dans la chambre, l’homme parut bien plus serein, moins prompt à la moquerie. Il ne lui sauta pas dessus ni ne lui adressa de grimace amusée, se contentant d’une salutation polie à laquelle Asuna répondit par un hochement de la tête. Elle se détourna de lui ensuite et fixa la fenêtre qui n’offrait comme paysage que de tristes toits et des nuages gris.
L’activité fut toutefois de piètre intérêt, poussant la Troisième Siège à écouter d’une oreille l’échange entre Tsunemi et son subordonné. Elle n’aspirait qu’à retrouver le silence paisible de la pièce, mais les voix chuintantes de ses deux voisins froissaient cette modeste ambition. Asuna s’enfonça plus profondément dans ses draps pour se laisser aller à une molle langueur ; princesse couronnée de paresse régnant sur son royaume d’apathie.

La Capitaine semblait souffrir de son éloignement de sa division, pour preuve son empressement à en obtenir des nouvelles. Asuna ne comprit pas tellement ce qu’était le KG, ou qui était Akon. Elle assimila ces quelques noms machinalement, sans creuser davantage sur leur signification. Elle quitta des yeux la déprimante vue offerte par la fenêtre. Tsunemi l’ayant appelée pour lui demander du thé. La Troisième Siège répondit d’abord par un regard éteint puis une négation de la tête, si peu vive qu’elle en fut presque imperceptible. Asuna porta plutôt son attention sur Kirito s’étant installé entre les deux lits, à présent assis sur une chaise qu’il avait déplacé jusque là. Elle ne sut trop comment interpréter son attitude. De la politesse, probablement. Ou bien comptait-il faire bouclier si jamais Asuna devenait un danger pour sa capitaine. Un très fin sourire frissonna sur les lèvres de la jeune femme, qui se souvint la nuit que tous deux avaient partagé éphémèrement. Son amusement disparut l’instant d’après, envolé tel un songe, ne laissant qu’un flou souvenir de son existence.

« Quel être a bien pu vous mettre dans cet état, Capitaine ?, lança subitement Asuna, prise d’une impulsion de loquacité comme il lui prenait parfois. »

Les pupilles vitreuses de la Troisième Siège se posèrent alors sur sa voisine de chambrée.

Akihiko sourit en réponse à la mine ravie de son amie. Elle semblait véritablement heureuse de le voir ce qui lui faisait également regretter un peu de ne pas avoir réussi à lui rendre visite plus tôt. Puis soudain elle eût l'une de ses nombreuses absences typiques prouvant qu'elle était une fois de plus partie dans ses pensées... Il était habitué à ce comportement, depuis le temps qu'il la connaissait elle n'avait pas vraiment changé et ce genre de réaction l'amusait. Il patienta donc quelques secondes en silence sachant qu'elle finirait par reprendre la parole.

Ce temps lui permit d'ailleurs de tenir en respect son autre personnalité qui se battait farouchement pour prendre le dessus. La belle inconnue - comme il aimait appeler Asuna même maintenant qu'il savait son nom – était là sous ses yeux et il voulait marquer le coup. Cependant Kirito luttait ferme et ne lâchait pas de terrain. Le plus impressionnant était sans doute le fait que cette lutte interne soit parfaitement invisible pour les personnes alentours car notre jeune héros gardait son sourire et aucuns signes n'indiquaient la violence de son conflit mental. Il fut tout de même soulagé lorsque Ai le questionna sur la division et commanda ensuite du thé demandant son avis à Asuna également. Kirito vit que la troisième siège réagissait à peine secouant négativement la tête puis il répondit à Ai.

Le projet KG est sur de très bon rail, je me suis personnellement chargé de veiller à l'exploitation de toutes les données récoltées à Karakura et désormais nous entamons une nouvelle boucle itérative en réalisant un nouveau prototype. Les données recueillies avec Homura nous ont notamment permis de trouver où se situait les soucis de canalisation du reiatsu et le KG est en train d'être modifié en conséquence. Senji et toi avez vraiment fait du beau boulot avec ce projet, il semble toucher au but. Quant à Akon...

Akihiko aurait préférer éviter le sujet devant sa capitaine. Si elle ne lui avait pas posé la question il n'aurait rien dit car il n'était pas du genre à jouer les lèches bottes et dénoncer des collègues mais il n'était pas non plus du genre menteur par conséquent il n'avait plus le choix.

Akon est décevant... Je sais que je ne devrais pas parler ainsi de mon supérieur mais depuis qu'il a sut que tu étais à l’hôpital avec Senji j'ai l'impression qu'il te tient pour responsable et qu'il a décidé de marquer son désaccord en me réaffectant une partie de son travail. J'ai l'impression que comme il ne peux pas t'en vouloir ouvertement car tu es son capitaine, il se venge sur moi...

C'était une manière subtile de dire qu'en réalité le vice-capitaine n'en foutait pas une et qu'il avait totalement laissé le commandement de la division entre les mains du quatrième siège...

Mais bon je m'en sors donc pas de soucis, même si je suis tout de même impatient que tu reviennes.

Finit-il par annoncer avec un sourire entendu. Puis soudain il sentit des yeux braqués sur lui. Il tourna alors sa tête en direction de Asuna qui semblait l'observer. Il perçut même comme un léger sourire chez la jeune femme qui réduisit alors à néant tout ses efforts. Tandis que la jeune femme questionnait soudainement Ai sur son combat au Hueco Mundo, Akihiko baissa légèrement la tête masquant ses yeux. Il savait déjà la réponse que donnerait son amie mais à l'heure actuelle ce n'était plus son problème. Notre jeune héros se leva de sa chaise et se dirigea près d'Asuna. Il s'assit alors sur le rebord du lit de la troisième siège et lui posa une main sur le front comme pour juger de sa température.

Tu sembles plutôt en forme toi aussi.

La voix qui sortit de sa bouche n'était plus la même, elle affichait un air taquin, presque amusé. Kirito releva alors légèrement la tête laissant ces deux yeux azurs se planter dans ceux d'Asuna. L'autre idiot avait crut pouvoir le tenir en respect mais il l'avait sous-estimé une fois encore. Il avait tant souhaité revoir cette belle inconnue qu'il n'aurait pour rien au monde rater le coche de ces retrouvailles. Malgré sa faiblesse apparente la jeune femme devait toujours être aussi puissante et se tenir si près de quelqu'un qui pouvait mettre fin à vos jours en quelques coups à peine avait quelque chose de grisant. Enfin... Depuis leur dernière rencontre il avait fait des progrès peut être ne pourrait-elle pas l'avoir aussi facilement qu'avant...

Voyons voyons, ce n'est pas très poli de demander à quelqu'un la façon dont il s'est fait rétamer. D'ailleurs...

Kirito tourna sa tête vers sa capitaine avant de poursuivre sa phrase.

Ne t'inquiète pas Ai je ne vais pas mettre le bazar, je sais tout de même respecter un hôpital. En tout cas Taishô chui aussi content que l'autre idiot de te revoir. Ça m'aurait vraiment fait chier que tu crèves au Hueco Mundo, j't'aime bien.

Akihiko était sincère, toujours bourru mais toujours fidèle à lui même. Il resta assit sur le bord du lit d'Asuna gardant son air amusé et focalisa alors à nouveau son attention sur elle. Il s'empara tranquillement de la main de la jeune femme comme l'aurait fait un proche qui vient voir une personne aimée à l'hôpital puis lui fit un clin d’œil que Ai ne pouvait pas voir.

T'as pas du avoir beaucoup de visite toi, hein ? Allé avoue t'es un petit peu contente de me voir quand même.

Se redressant un peu contre la farandole d'oreillers qu'on lui avait servis à son arrivée en guise de pot de bienvenue, la jeune femme répondit au regard tout bonnement éteint de sa voisine de chambre par un sourire tout en dents blanches. Une scientifique se devait de ne pas négliger sa santé bucco-dentaire, sans quoi l'exemple à donner ne serait pas acté. Elle prendrait du thé, et le partagerait avec Akihiko. Celui-ci était véritablement le rayon de soleil d'une autre de ces journées courtes, à récupérer et à dormir trop longtemps entre les draps blancs de son lit à roulettes. On s'occupait bien d'elle. Mais elle ne s'occupait pas de sa division, pendant ce temps-là. Et ça l'angoissait.

Elle était donc ravie d'apprendre que le projet KG était sur de bons rails et que les phases finales de tests approchaient à grands pas. Elle aurait tellement aimé en examiner les éprouvettes elle-même qu'elle s'en mordit légèrement la lèvre de frustration. Elle était encore plus pale qu'à son ordinaire, et pourtant elle avait repris des couleurs depuis sa défaite honteuse et violente au Hueco Mundo. Elle ne désirait qu'une chose: sortir de ce lit au plus vite. Elle avait d'ailleurs déjà résolu de passer outre les séances de rééducation dans les locaux de la quatrième, en favorisant l'auto-médication et, s'il le fallait, la marche à l'aide d'une canne pour quelques temps.

- Ravie de l'entendre, Akihiko-kun. J'aurais tellement aimé être là pour travailler sur le projet avec vous, cet état de faits m'angoisse, à vrai dire. Pas que je n'ai pas confiance en les personnes de notre division, non, mais j'aime être présente tout du moins. Quant à Akon... je vois très bien ce que tu veux dire !

Elle allait expliciter lorsqu'une phrase peut-être sortie de son contexte et lancée d'une voix nonchalante par sa voisine de chambre lui ôta toute envie d'épiloguer sur son vice-capitaine et ses lubies. Elle savait pertinemment au ton et au regard de son quatrième siège qu'Akon s'était probablement désintéressé du projet avec la mauvaise volonté qui était la sienne. Elle était très contente de la franchise avec laquelle il le lui avait dit, au moins.

- Laisse, Akihiko, il n'y a pas de souci... C'était un Espada, je crois. Et un autre, de puissance quasiment égale.

Elle qui excellait en détection de Reiatsu avait tout de suite compris qu'elle avait affaire à des monstres. D'ailleurs, toute à sa réflexion elle avait oublié de remarquer un détail de taille. La personnalité de son ami avait fait un bond dans le sens inverse, et rien que le regard goguenard qu'il dardait sur Asuna en ce moment pouvait le lui prouver. Elle leva les yeux et fit mine de suivre le mouvement des pales d'un ventilateur qui tournait au dessus de leurs têtes.

- Je m'inquiète pas... contente de te revoir aussi.

Puis elle se leva sur un coude, adjoignant son regard noir à celui du quatrième siège. Elle posa la question à Asuna, sachant qu'y répondre serait sans doute aussi embarrassant pour elle que sa question indélicate sur le Hueco Mundo l'avait été pour la capitaine.

- Vous vous connaissez, vous deux ?

Elle esquissa un demi-sourire engageant.

Le Quatrième Siège de la Douzième Division avait un grain, il était difficile d’en douter, à présent. Asuna avait déjà côtoyé des personnes caractérielles, aux humeurs changeantes, mais aucun d’entre eux ne put se targuer de posséder l’hystérie de personnalités du jeune homme. Il semblait même curieux qu’un individu à l’esprit si fractionné posséda un grade si élevé au sein du Goteï, au lieu d’être un simple patient dans l’aile psychiatrique de la Quatrième. Plus curieusement encore, sa folie, il l’affichait comme un étendard, visible par tous, chose qui ne paraissait gêner nullement sa supérieure. Un détail qui en disait long sur la nécessité de soldats de l’armée Shinigami.

Asuna ne se dégagea pas lorsque le garçon vint s’asseoir auprès d’elle dans une proximité déplaisante, pas plus qu’elle ne retira sa main qu’il saisit nonchalamment. Elle se tourna vers la Capitaine, ignorant l’effronté :

« Ils devaient être redoutables, lui répondit-elle simplement, sans chercher à en savoir plus. »

L’air neutre et inexpressif, Asuna ne dit plus mot, toujours à fixer Tsunemi. Mais hors de vue de celle-ci, dans un angle qu’elle ne pouvait voir, la lame de la Troisième siège perça le drap toute en discrétion et se posa contre le flanc de Kirito. L’acier ne perfora pas la chair de l’imprudent, mais fut simplement là en guise de piqûre de rappel de ne pas dépasser les limites de ce qui avait été implicitement convenu entre lui et Asuna. Le tuer aurait été finalement plus simple et aurait épargné à la jeune femme cette situation pour le moins déplaisante. Elle s’en souviendrait la prochaine fois : la pitié n’était qu’une acceptation de futures défaites.

« Nous avons chassé quelques Hollows ensemble, il y a peu. Rien de plus. »

La pointe de sa lame quitta la hanche du siège pour regagner son écrin de tissus. Hormis un léger trou dans l’étoffe, rien ne laissa supposer de sa présence quelques secondes plus tôt. Asuna porta son attention sur le garçon :

« Je suis fatiguée, maintenant. Laisse-moi, elle désigna sa main d’un petit geste du menton. »

La jeune femme se savait malchanceuse à attirer tous les tordus et les dépravés à elle, chaque fois qu’elle laissait transparaître un peu de sa lumière. Si eux étaient des papillons de noirceur, Asuna tenait le rôle de soleil étincelant. Rôle qu'elle acceptait encore difficilement.

Kirito sourit amusé par la question que Ai posa à Asuna. La question était prévisible mais Akihiko apprécia voir la jeune femme dans le lit à côté de lui se dépêtrer de la situation. Après tout elle s'était joué de lui la dernière fois sur Terre, ce n'était que le juste retour des choses sauf que lui actuellement ne jouait pas avec sa vie ! En parlant de vie... Notre jeune héros sentit la pointe d'une lame appuyer contre sont flanc. Il regarda Asuna avec un air faussement surpris et lui adressa un clin d'oeil en réponse à cet avertissement. Oui il est vrai que malgré ces progrès la shinigami devait être toujours plus puissante que lui mais il n'en avait pas peur. Il n'avait jamais eu peur de cette femme alors qu'il savait qu'une personne censée devait la craindre. Lorsqu'elle lui demanda enfin de la laisser tranquille il garda son sourire intact et se releva. Il constata en se remettant debout que la lame qu'il avait sentit presser sa chair n'était déjà plus visible et que Ai n'avait rien dû voir de tout ceci.

Oui tu as raison je vais devoir y aller et puis j'ai du boulot surtout !

Il ne se soumettait pas à la volonté de la jeune femme car elle n'avait pas d'emprise sur lui mais la situation actuelle n'était pas favorable pour qu'il puisse s'amuser un peu plus car Ai finirait par s'en rendre compte. Par conséquent, Akihiko se tourna vers sa capitaine et parla.

Chui désolé de pas être rester plus longtemps. Enfin l'autre naze est désolé plutôt. Mais bon rétablit toi bien histoire qu'on puisse se bastonner à nouveau. C'est chiant de devoir gérer la division en ton absence.

Puis Kirito se retourna alors vers Asuna un sourire étrange au coin des lèvres. Il s'avança vers le visage de la shinigami et de ses lèvres puis au dernier moment il dériva et posa un baiser sur son front. Il recula ensuite son visage qu'il plaça devant celui d'Asuna et ses yeux se fixèrent dans les siens. Deux yeux qui étaient devenus vairons, l'un était gris, le second était bleu azur. La voix qui sortit de la bouche de Kirito était étrangement sincère et toute trace de moquerie en avait disparue.

Rétablis toi bien, on se reverra.

Kirito afficha un sourire charmant puis se redressa et s'éloigna en sifflotant. Il appuya sur la poignée de la porte qu'il ouvrit. Juste avant de diparaître il salua d'un signe de tête les deux femmes une dernière fois. Et ces yeux étaient de nouveau bleus tous les deux...

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