Plus que lasse, elle était complètement exténuée par la situation. La disparition de certaines Lames représentait déjà un grave problème, mais si en plus on réussissait à remplacer les défunts par de nouvelles têtes en quelques jours seulement, il y avait de solides raisons à remettre en doute les critères de sélection de son bon Roi. Quoi qu’il en soit, cela n’affecterait en rien l’univers de la Quinta si celle-ci ne s’était pas donnée comme objectif de connaître les visages de tous ses comparses, du moins ceux qui méritaient sa présence. Il y avait bien quelques rumeurs sur son inaptitude à apprécier qui que ce soit, mais ces commérages n’étaient porteurs que de mensonges. Il suffisait de penser à l’ancien Chef de L’Exequias, qui malgré la stupidité avait fait preuve de solidarité et de générosité. De même pour l’ex Seconde Lame, porté absent depuis l’invasion des Shinigamis. Sa stupidité le rendait bien difficile à aimer, mais il avait su faire ses preuves, force est de l’avouer.

Ce n’avait pas été le parfait amour entre eux deux, mais impossible de nier la dette qu’elle lui devait maintenant qu’il l’avait littéralement sauvé, au prix peut-être de sa propre vie. Puisqu’il avait trépassé, il n’y avait nul autre choix d’honorer sa mémoire en s’assurant du mérite de son successeur. Ce dernier avait intérêt à posséder le même potentiel que Ace. Elle n’avait guère trop d’attentes dans l’instant à force de voir défiler une multitude de personnalités au sein de l’Espada. Bientôt, le Hueco Mundo sera vidé de tout son potentiel. À cet instant, il y aura meilleur intérêt à couper les sièges qu’à les remplir par de vulgaires pions, tels que les numéròs et les fraccìons. Si telle abomination devait arriver, elle ne se sentirait plus apte à occuper ses fonctions. Elle ne travaillait pas avec les insectes; s’ils parvenaient à prendre place dans l’Espada, cela voudrait simplement dire qu’il n’y avait plus rien d’exceptionnel à porter la marque.

Il n’y avait pas lieu dans l’instant de s’inquiéter, au contraire. Bien qu’elle commence à avoir de moins en moins foi en les nouveaux arrivants, elle continuait à nourrir une confiance aveugle envers le Rey. Il savait faire la sélection des plus forts, sinon elle n’aurait jamais décroché son poste. Ce n’était pas de sa faute si le désert se vidait peu à peu et que les meilleures armes n’étaient plus que poussières. Maintenant qu’elle connaissait la fragilité de l’Espada, elle n’avait plus qu’à parier sur le nombre de jours à vivre pour le nouvellement promu Segunda. À croire qu’obtenir ce titre voulait signifier être immunisé de tous risques. Il n’y avait pas plus grande erreur que de penser dans ce sens; faire partie de l’Élite n’était autre qu’un constant combat pour la survie. Il y avait intérêt à déployer une vigilance maximale pour ne pas sombrer. Plus que les missions dangereuses qu’on leur confiait, c’était les relations entretenues entre chaque acteur. Si Lili réussissait à vivre, elle le devait à son fort caractère. On ne la piétinait pas aussi facilement.

Par quelques informations offertes par les Arrancars du coin, elle réussit sans trop de mal à retracer le nouvel arrivant. Les portes de la salle dans lequel ce dernier se trouvait s’affichaient déjà au bout du corridor qu’elle venait d’emprunter, preuve que son orientation s’était grandement améliorée depuis son arrivée. Quand elle fut à proximité pour les pousser, le processus redondant de la rencontre entre deux grandes Lames s’enclencha. Le vague souvenir d’avoir exécuté ce mouvement dans le passé à moult répétitions n’eut effet que de frapper son esprit d’un zeste de nostalgie, immédiatement chassé lorsqu’elle découvrit l’être recherché parmi quelques machines. Son regard s’affairait déjà à imprimer dans sa mémoire les traits de l’inconnu sans juger nécessaire de partager de brèves salutations en guise de politesse. L’examen passait avant tout. Un soupir suffit pour transmettre sa lassitude à l’homme, et bien que l’idée de faire demi-tour lui chatouillait les jambes, c’est par respect pour Ace qu’elle procéda à quelques enjambées pour dévorer la distance qui la séparait de l’intrus.

— Han Lili, Cinquième Lame. Que tu sois la Deuxième n’a guère d’importance, je te donne un mois à vivre avant qu’il ne t’arrive malheur.

Directe dans son introduction, certes, mais il ne pouvait y avoir plus franches paroles. Elle avait peine à croire qu’il ne suivrait pas les traces de son prédécesseur. Après tout, tous finissaient par disparaître pour être remplacés. Qu’il interprète son dialogue en menaces ou en avertissements n’avait pas plus d’importance que s’il prêtait l’oreille ou non à ses recommandations. Elle n’avait que faire de ce qu’il souhaitait maintenant que le Roi lui avait fait cette faveur de l’accepter parmi ses troupes. S’il voulait mourir très bientôt, il n’avait qu’à faire fi de ses paroles. La Cinquième n’était là que pour s’assurer qu’il ferait honneur à ce siège, car Ace n’était peut-être en apparence qu’un idiot de première classe, mais il y avait fort à parier qu’il cachait son jeu. Il l’avait dissimulé si habilement que Lili n’en avait vu que du feu, c’était pour dire. Il méritait donc un héritier digne de lui succéder.

— C’est pas pour te décourager, mais comme je vois qu’on s’apprête à te marquer au fer, y’a moyen de faire demi-tour si tu juges ne pas avoir ce qu’il faut. C’est pas que je tiens à ta vie, on s’entend, mais si c’est pour mourir deux jours plus tard dans d’atroces circonstances, c’est une perte de temps lamentable que de faire ta connaissance.

Ses manières l’agaçaient un poil trop. Nul effort ne fut déployé par la Quinta pour le dissimuler, puisqu’à peine le rire engendré, une grimace teintée d’un zeste de dégoût flottait sans aucune subtilité sur son visage. En termes de ressemblance, elle le plaçait d’ores et déjà dans la même catégorie que Tibors et Borick, quoiqu’il fût peut-être trop tôt pour certifier une telle classification. Ou pas, à l’entendre parler de la sorte avec un vocabulaire complexé inutilement en vue d’ébahir les animaux qu’ils étaient tous. Ce n’était pas en faisant usage d’un tel registre de langue qu’ils échapperaient à leur nature de bête. Et s’ils croyaient dur comme fer avoir une longueur d’avance grâce à leur parler constipé, ils se fourvoyaient entièrement; leur incompréhensible dialecte n’allait pas les sauver, et encore moins cette agaçante prestance. Ce qu’elle pouvait lui accorder, au moins, c’était qu’il demeurait poli. Pour cette raison seulement, elle se força au silence et tendit l’oreille, deux décisions qui annonçaient un comportement fort différent.

Pour le refus, elle n’en attendait pas moins de sa part. Quel crétin ferait demi-tour sur les conseils d’une pure inconnue, sans compter que cette dernière s’affichait davantage en rivale qu’en alliée de confiance? Il y avait aussi la possibilité d’un stratagème ayant comme unique but de lui voler sa place par la menace et les mises en garde. Et bien que rien de ces plans motivaient l’attitude de la Cinquième, impossible de le convaincre en ce sens. S’il voulait poursuivre le tatouage, alors soit, l’important étant qu’elle l’avait prévenu que les nouveaux Espadas ces derniers temps ne faisaient jamais long feu. Ce dernier semblait avoir interprété cette introduction comme un geste de compassion malgré la précision à l’effet contraire. Il était complètement dans l’erreur; ce qui motivait cet échange ne concernait nul autre que sa propre personne. Elle en avait simplement marre de corriger son répertoire chaque jour à cause de disparitions séquentielles. Elle prit même soin de le corriger entre deux tirades :

Je te corrige déjà, c’est pas pour ton cul que je t’ai prévenu.

Quel charmant vocabulaire. Rien ne pouvait avoir le mérite d’être plus clair. Maintenant que les points avaient été mis sur les « i », il y avait lieu de s’attarder sur son allégeance au Roi qu’il partageait de vive voix. Était-ce là le gentil petit soldat qui répétait à qui voulait bien l’entendre quelques faux dévouements sans réellement mesurer l’ampleur de ses engagements, ou ces paroles étaient-elles réellement empreintes d’un sérieux à ne pas mésestimer? Car en termes de fidélité, il ne pouvait y avoir mieux placé que Lili qui avait au moins le mérite de mettre les intérêts de Grimmjow aux devants des siens, pour autant qu’elle y gagne un peu de son respect en retour. Au lieu de questionner sa loyauté, elle hocha simplement de la tête, confirmant par ce bref mouvement que c’en était le cas pour toutes les lames. Après, elle savait qu’une poignée de paroles ne suffisaient en rien à prouver quoi que ce soit.

Quoi?

Ce fut à son tour de rire à gorge déployée, et cela, sans qu’une main ne soit placée préalablement au-devant de sa bouche pour camoufler son magnifique dentier. Il avait définitivement du culot pour lui proposer un tel défi sans connaitre les risques que représentaient pareil siège au sein de l’Espada. Il ne savait pas quelles menaces planaient sur sa tête. Si réellement il avait de la veine pour s’en sortir indemne dans une trentaine de jours, alors elle se promit d’être la source de son malheur et il regrettera amèrement cette futile provocation. Et même, elle se balançait de son identité. Que sa prédiction devienne réalité ou non, elle n’avait que faire de son nom. Elle n’était pas venue ici pour avoir un ami, au contraire. Tandis que son amusement s’évanouissait au profit d’un air goguenard, le calme qui fit place vint mettre de l’avant le son des machines. Que c’était agaçant. Du moins, suffisamment pour qu’elle sectionne celle qui se trouvait à proximité d’un coup précis de katana, sans se soucier de sa fonction. Cela eut au moins pour effet d’amoindrir le vacarme.

Tu pourrais répéter? J’ai pas compris.

Le travail qu’exécutait le docteur fut suspendu pendant quelques instants, le temps que ce dernier jette un regard réprobateur à la Cinquième, sans pour autant délier sa langue. Insatisfait d’une telle brusquerie, sûrement, mais il connaissait sa place pour ne pas piper mot. Lili observait avec une attention particulière les mouvements de sa main qui se remettait à la tâche et dont la précision et la dextérité venaient peindre les contours du chiffre dans une perfection impeccable. Un bref instant, elle se revoyait à la place du Segunda, sa main tendue en direction d’un larbin, dans l’attente qu'on lui tatoue le cinq. Sans que ses yeux ne quittent le baptême de cette nouvelle Lame, elle prit la parole :

Dis-moi, qu’est-ce qui explique ta place parmi nous?

Son regard eut grande peine à se détacher du travail d’une minutie sans précédent, mais réussit quand même à suivre la direction pointée par l’index du Segunda pour épouser ce qui se trouvait sur la table. Lili eut du mal pendant un instant à identifier ce qui s’y trouvait. En fait non, il s’agissait simplement d’un bol de carmin vif, mais encore est-il que le contenu lui évoquait un repas des plus louches. Repas, car elle discernait malgré la distance une paille, accotée contre la paroi, qui vint lui certifier que le bouillon d’un marron douteux n’était pas là pour faire décoration, mais pour être bu jusqu’à la dernière goutte. Alors qu’elle se rapprochait de ladite table, elle ne put réprimer une grimace de dégoût lorsqu’elle devina, trempés dans le liquide comme un horrible assaisonnement, ce qui lui avait tout l’air de minuscules yeux. Sans plus s’attarder sur le contenu, elle s’en empara sans ménagement et le tendit en direction du Segunda, sans se soucier une seconde qu’elle en vidait une bonne partie sur le carrelage.

Dès qu’il s’en saisit, le réflexe de la Cinquième fut de frotter machinalement ses mains contre sa jupe, et cela même si ses doigts avaient été épargnés. Les goûts particuliers de la nouvelle recrue avaient raison de soulever le cœur à la demoiselle, qui n’était pas des plus assidus en termes de repas. En fait, depuis sa complète évolution, elle n’avait plus jamais mis sous la dent une quelconque créature, jugeant cette pratique barbare, en plus d’être dépourvue d’attrait. La Deuxième cachait trop bien son jeu, car Lili n’aurait jamais deviné seule que derrière sa bienséance se cachait un cannibale qui, malgré ses manières raffinées, se délecterait prochainement d’un mélange sanglant issu d’une pauvre bestiole. Une fois encore, les traits de la jeune blonde se déformèrent à cette seule pensée. Était-ce là qu’un apéritif dans l’attente de mettre le croc sur un repas plus complet? Elle préféra ne pas connaitre la réponse.

Trop absorbée dans sa réflexion – et curieusement dans l’attente du moment fatidique où le bouillant liquide allait tremper le gosier de son interlocuteur, elle ne souleva pas même le temps provocateur qu’il lui imposa, donnant ainsi sans réellement le vouloir l’impression qu’elle était empreinte d’une patience incassable. Néanmoins, lorsqu’il reprit la parole, elle décrocha son regard d’azur de l’objet de sa répugnance afin de mieux ouïr ce qu’il avait à dire. Le personnage se montrait sans vanité ni orgueil, sous-entendant qu’il ne savait pas trop pourquoi il avait été l’élu parmi tous ces nombreux microbes. S’il était agréable d’enfin faire la rencontre d’un être modeste, sans prétention – dont le caractère des deux acteurs se trouvait aux antipodes, Lili ne pouvait qu’espérer qu’il puisse survivre dans la jungle de Las Noches avec une pareille personnalité.

Mais c’était sauter aux conclusions trop vite que de prétendre à un bien bas potentiel. Le quidam cachait son jeu, comme l’ancien Espada l’avait fait, et comme tous, parmi l’Élite, s’évertuaient à le faire. Elle avait bien du mal de croire que le Roi ait choisi cet homme pour prendre possession du deuxième siège si ce dernier n’était pas à la hauteur. Las Noches fonctionnait en termes de puissance, et quoique Lili continue d’être sceptique quant à une possible survie sur du long terme, il était fort probable qu’il soit plus fort qu’elle. Le seul moyen de s’assurer du contraire serait de le provoquer en affront, mais l’importance de ce débat personnel était si maigre que ça ne valait pas les blessures qu’engendrait pareille initiative. Il n’avait pas l’attitude propre à l’Espada. Mais après tout, son prédécesseur non plus ne répondait pas à l’archétype des Lames, et cachait tout de même une puissance monstrueuse. Ce devait être de même pour la recrue. Personne atypique, mais d’un fort potentiel – si tant est qu’il en fasse la démonstration un jour. Elle n’était néanmoins nulle satisfaite de son raisonnement.

Simple. Je suis l’une des plus fortes! J’ai fait preuve de ma valeur auprès du Roi. Et je n’ai pas peur de faire montre de ma puissance.

Quand on lui renvoya la pareille, Lili n’eut pas même une once de modestie. Non. Elle avait travaillé beaucoup trop fort pour atteindre le même niveau que ses semblables. Le dur labeur de ces dernières décennies ne lui permettait pas d’être humble. Elle avait acquis de la puissance non pas pour la dissimuler aux yeux de tous, comme la Segunda semblait le faire – quoique le siège qu’il occupait ne faisait pas un doute sur sa force de frappe, mais pour cueillir le respect et gagner de la valeur aux yeux d’autrui. Et comme si la question avait ravivé en elle quelques réminiscences d’un passé malheureux, elle se souvint les souffrances d’antan, le dénigrement, la solitude. Son poing se serra de colère, malgré un visage calme. Son esprit fut visiblement perdu durant quelques instants dans ses songes, mais elle se reprit aussi vite qu’elle le put, et cela sur un ton tranchant :

Si je suis venue, c’est pour mieux en savoir à ton propos, pas pour piquer la jasette sur tout et n’importe quoi, et surtout pas pour dégobiller à l’unisson sur ces emmerdeurs de Shinigamis, compris? Et si t’es pas foutu de me dire quoi que ce soit à ton sujet, je vais t’aider un peu.

À peine annonça-t-elle la nouvelle saveur de cette discussion qu’elle avait de nouveau empoignée son épée pour l’extirper, cette fois-ci dans la sanglante intention de porter atteinte à un des trois acteurs présents dans la salle. Sans une once d’hésitation, elle frappa dans une rapidité fulgurante. Un silence vint. Une tête tomba. Laquelle? Il suffisait de voir le corps du docteur choir au sol à la suite du coup porté, tout en libérant une mare de sang. Un air goguenard apparut sur les traits de Lili, tandis qu’elle contemplait le tatouage incomplet sur le buste de son interlocuteur. Son initiative n’avait été faite que pour rappeler au Segunda dans quel univers il s’embarquait. Elle espérait dorénavant que le message soit clair. L’infirmière observait dorénavant le cadavre de son collège sans une seule réaction. Sera-t-elle la prochaine à passer sous la lame effilée de la Cinquième?

Et maintenant que tu peux parler librement et sans gêne, commence par me filer ton nom. Pas que ça à foutre que d’attendre un mois et un jour que tu crèves pour le connaitre. Si tu penses que je suis venue ici seulement pour jouer la sociable, tu te fous le pied dans l’œil mon grand. C’est pour Ace que je fais ça!

En avait-elle trop dit? Peut-être. Mais elle voulait parler sans détour, pour se faire entendre convenablement et ainsi recevoir une réponse claire. L’infirmière était toujours immobile, les yeux rivés sur la tête du défunt, que Lili prit soin de renvoyer de sa botte. Celle-ci roula lentement jusqu’aux pieds de l’insecte, abandonnant derrière un sillon de sang.