Il flottait sur la situation une ambiance étrange. Chacun ici semblait un peu perdu, légèrement hagard, ne sachant réellement que faire, ni où aller. Peut-être était-ce cette atmosphère pesant sur le quartier désolé, sans âme qui vive à l’horizon ? Peut-être était-ce ce danger diffus, semblant prêt à surgir de partout et nulle part à la fois ? Plus pragmatiquement, peut-être que ce sentiment de distance onirique était dû aux éclats de monolithe, un effet plus pernicieux, qui transformait la réalité en rêve flou.
Asuna secoua la tête, nauséeuse. Les choses qui grouillaient dans son esprit s’étaient tues, la première fois depuis longtemps. Impression étrange que de reconquérir le silence après tant d’années de fracas sanglants. La Dame elle-même semblait s’être endormie. La peur commença à naître dans le cœur de la jeune femme. Elle qui était Légion encore quelques minutes auparavant, se retrouvait à présent seule avec elle-même. Asuna n’aimait pas ce trouble, ni cette solitude écrasante.
Elle tituba, un peu hagarde, s’écartant du groupe, n’ayant de toute façon nulle place à remplir dans un interrogatoire. Elle remarqua comme au travers d’un filtre flouté le départ d’une des leurs mais cette constatation se perdit dans une discordance stridente. La jeune femme sursauta sous l’assaut sonore, et chercha presqu’en panique la source d’un tel bruit. Elle vit l’arme du Lieutenant Akucho et de sombres images dansèrent devant ses yeux ; elle voyait l’homme cloué à un mur de bois, les muscles à vif, et son instrument du diable lui traversant la gorge pour ressortir par le haut du crâne. Elle se l’imaginait suspendu par les pieds, subissant mille tourments pour payer de cette stridence abjecte, les tripes se dégorgeant sur son visage pareilles à de sanglants ornements, ses yeux creusés dans ses orbites, sa nuque pliée en un angle impossible, ses mains aux doigts brisés, les lèvres cousues en une grimace macabre alors même que la peau du visage lui battait les tempes.

Asuna secoua la tête, nauséeuse. Son arme s’enfonça dans le sol pour lui servir d’appui afin qu’elle ne tomba. Etait-ce l’absence de la Dame qui la troublait plus que de raison, ou une des conséquences des échardes rouges ayant pénétrées sa chair quelques secondes. Par réflexe, elle fit disparaître toute émanation spirituelle de son corps avant de se réfugier d’un Shunpô derrière l’un des bâtiments. Son trouble était bien trop grand pour qu’elle pût encore se sentir concernée par ce Kisuke ou ce maudit caillou. Elle s’affaissa soudainement contre un mur, saisie d’un brutal vertige, et vomit le peu de bile que contint son estomac vide. La jeune femme se redressa, tous ses sens en alerte. Elle perçut à quelques mètres de là l’énergie spirituelle de l’autre Siège qui s’était elle-aussi éloignée du cratère. Asuna perçut néanmoins dans le reiatsu de sa comparse quelque chose de singulier, au moins autant que la désertion par les Nuées de son propre esprit. L’âme de l’autre femme, pourtant Shinigami, se teinta au fil des secondes d’une présence Hollow grandissante. Asuna ignorait quelle en était l’origine du phénomène, mais s’il s’avérait que cela fût l’œuvre du Monolithe, ce dernier possédait des pouvoirs hors du commun. Et cela signifiait aussi que tous ceux à avoir été blessés couraient le risque de se transformer eux-mêmes.

Asuna se reprit, soudainement consciente de la gravité d’une telle chose. Elle n’allait certainement pas troquer la bienveillance de sa Dame pour se tourner en monstre bestial. Les idées à nouveau claires, elle se précipita dans la direction du reiatsu hybride, l’arme à la main. Elle parvint jusqu’à la jeune femme, et se figea à quelques pas du spectacle. La Siège se congestionnait sous des afflux d’énergie Hollow pendant que son visage se recouvrait peu à peu d’un nouveau faciès, blanc et hideux. Prudemment, Asuna fit quelques pas de coté afin de l’avoir bien face à elle, pour observer le phénomène, en comprendre les effets, et surtout y trouver une parade. Pour elle-même avant tout.

« Dites moi ce qui vous arrive, lança-t-elle sans hausser le ton, quand est-ce que cela a commencé ? Pourquoi ? Dites-moi. Dites-moi ! »

Ces derniers mots, Asuna les avait hurlés. Elle passa ses mains dans ses cheveux pour retrouver son flegme habituel, mais n’y parvint qu’à moitié. Ses doigts tremblaient sous l’effet de l’angoisse qui la gagnait. Sa seule faiblesse mise au grand jour pour la première fois. Celle de perdre son âme.

Comme je le pensais, Urahara n'avait pas de souvenir de ce qu'il s'était passé lors de son enlèvement ni après. Ma demande avait donc été presque inutile mais au moins maintenant nous en étions surs. Quant à ma demande à ma partenaire de bien vouloir retirer les entraves de notre ami, cela ne m'avait valu qu'un regard assassin que je ne compris pas du tout. Sans doute un problème d'ego surdéveloppé? Décidément, c'était une sacré épidémie au Seireitei si même les vice-capitaines commencent à avoir la grosse-tête. Surtout qu'en l'occurrence il ne s'agissait de rien de dramatique, une simple demande à un collègue. Enfin, je décidais de l'ignorer totalement et ne risquait plus de lui adresser la parole à l'avenir, sauf en cas d'ordre d'un supérieur mais surement plus de moi-même. Prendre des initiatives était visiblement pas bien vu au Seireitei, à chaque fois ça s'était soldé par ce genre de réaction et ça commençait à me fatiguer.

D'ailleurs, en parlant d'ordre, celui donné par Tsunemi-taishô ne m'enchanta pas du tout. Ramener Urahara au Seireitei me paraissait une bonne idée mais pourquoi avec elle? Surtout qu'Otsu commençait à perdre le contrôle de son Hollow, de ce que je pouvais ressentir, et un allié de plus pour contrôler une camarade qui pétait les plombs, cela était rarement du refus. Enfin bref, je venais de prendre la résolution à l'instant de ne plus prendre la moindre initiative, ce n'était pas pour désobéir maintenant. Tout en gardant un oeil sur le combat qui semblait se dérouler au loin, je m'accroupis de nouveau aux côtés d'Urahara. Il avait l'air extrêmement affaibli et je ne pensais pas qu'il serait capable de faire le trajet tout seul en nous suivant. Aussi, pris-je ses bras et les enroula autour de mon cou puis, le soulevai.


- Nous allons vous ramener au Seireitei, Urahara-san. Tenez vous aussi fermement que vous le pouvez s'il vous plait, il n'y en aura pas pour longtemps.


J'espérais qu'il accepterait d'obtempérer sans rechigner car je n'étais plus vraiment de bonne humeur. J'espérais également que la troisième siège Asuna et le capitaine Ai suffiraient à contenir Otsu et qu'ils ne la tueraient pas. Elle était encore une des rares personnes que j'appréciais et inversement. J'aurais donc souhaité participer afin de m'assurer qu'elle serait seulement neutralisée mais je devais suivre les ordres. Je remettais mon Zanpakutô sous sa forme scellée et l'attachai à ma taille. Je décidai de ne pas porter le moindre regard à ma collègue vice-capitaine et partit d'un Shunpô à grande vitesse en direction de la porte la plus proche. Normalement, Kyuusei-taishô devrait être là pour le prendre en charge, mais dans le doute, arrivant aux portes je le ferais appeler par un Shinigami en urgence et le préviendrai de la situation. Je n'avais été que légèrement touché par les échardes du monolithe mais celles-ci me ralentissaient, je sentais ma vitesse réduite à cause des vertiges. Ma vue se floutait aléatoirement et mes jambes faiblissaient à chaque saut de toit en toit. Toutefois, si rien ne nous ralentissait davantage, nous y serions d'ici une minute.

Elle attendait, impatiente. Elle attendait, apeurée. Asuna voulait que l’autre réponde, et vite ; que son angoisse cesse enfin, que sa crainte de se tourner en monstre disparaisse. La créature, anciennement femme, se redressa ; ses traits étaient masqués par un faciès blanchâtre, et bien qu’elle ne fut pourvue d’aucune expression, son regard tout comme l’énergie qu’elle dégageait suffirent à déterminer ses intentions. Quand la chose répondit qu’elle avait toujours été là, une vague de soulagement déferla dans l’esprit d’Asuna. Cette femme devait être simplement l’un de ces Shinigamis corrompus, dont elle avait entendu quelques fois parler. Les éclats du Monolithe avaient dû altérer son énergie spirituelle, et laisser les rennes libres au Hollow.
Un sourire se dessina sur les lèvres de la Troisième siège qui posa son regard sur son propre sabre. Il dormait, tout simplement.

Asuna releva la tête à l’instant où l’animal goguenard relâchait sa toute puissance ; son sabre se couvrit d’une brume verdoyante qui fusa à toute allure vers la jeune femme. Elle se baissa aussi rapidement que sa vitesse lui permit, et sentit les quelques cheveux pris dans le rayon se solidifier sur sa tête. Derrière elle, Asuna entendit un grand cri vers lequel elle ne se retourna pas, ne souhaitant nullement être distraite alors qu’un combat s’engageait. Elle aviserait de l’état de la victime qu’après.
Asuna perçut brutalement dans son dos la créature, apparue de nulle part, alors qu’une demi-seconde plus tôt, la bête se tenait face à la Troisième siège. Les yeux de celle-ci s’écarquillèrent sous la surprise ; même la Cinquième Lame ne possédait une telle vitesse d’exécution, et pourtant elle avait été un adversaire redoutable en la matière. Une impression étrange naquit dans son dos quand l’Hollow porta ses assauts, comme si le corps de la jeune femme se durcissait sous les coups. En un instant, Asuna réagit. Une pyramide inversée se matérialisa autour d’elle, sur laquelle vinrent porter les impacts qui recouvrirent le sort d’une croûte émeraude. La surface du Bakudô se fissura peu à peu sous la masse sans cesse grandissante de l’infection minérale, ce pourquoi une autre pyramide vint prendre la relève à l’instant où la première céda. La nouvelle construction fut plus petite que la précédente mais sa solidité parvint à mettre à bout la patience du monstre, qui finit par s’en détourner. Asuna tomba à genoux, essoufflée, et gênée par cette carapace de cristaux pesant sur ses épaules. Elle vit l’Hollow s’en prendre violemment à Tsunemi, ce qui lui laissa suffisamment de temps pour se remettre. Elle se releva, encore nauséeuse à la fois à cause des effets du Monolithe, et du court échange avec son ancienne alliée.

Il n’y avait plus rien à faire pour l’autre Troisième siège, Asuna le sut à un niveau instinctif. Elle ressentait à présent l’ensemble de son énergie spirituelle, et pouvait affirmer qu’il n’y avait plus une once de reiatsu de Shinigami dedans. C’est ce qui la poussa à agir. À la fois par prévention, et peut-être pour le sentiment inavouable d’une revanche. Elle dissimula ses émanations d’âme, se rendant parfaitement invisible à toute détection ; d’un Shunpô, elle se projeta maladroitement derrière la créature distraite par son conflit intérieur.
Le visage scellé en un masque de certitude, d’où aucun doute n’émanait, Asuna porta un coup d’estoc dans le flan de son ex-coéquipière. Au contact du sang noir qui fusa de la plaie, la jeune femme entendit dans son esprit les voix familières des Nuées. Le goût de la mort les réveilla parfaitement.

« Dépèce, Taigun no Sobame. »

Un autre sang vint s’ajouter au premier. Plus épais, plus nauséabond, il laissa bientôt fleurir des bras à même la plaie, qui entreprirent de l’ouvrir plus encore. La Dame revendiquait le corps de cette bête qui avait eu l’audace de s’attaquer à sa porteuse. Le Zanpakutô s’aventura presque de lui-même, guidé par sa seule volonté, dans la chair fragile de sa proie, moissonnant os et organes, pour ne laisser sur son passage que les essaims frémissants.
La bête gargouilla, murmurant quelques mots, probablement des regrets, mais qui furent rendus incompréhensibles par le sang dans sa gorge. Le masque se fissura, révélant le visage délicat qui s’y cachait en dessous, mais figé dès à présent dans une expression de complète stupéfaction. Son corps s’écroula en avant dans un ralenti, et dans sa chute l’accompagnèrent les éclats du masque, qui se mêlèrent à sa chevelure d’ébène. Enfin, elle s’écroula, sans un cri. Plus jamais.

Asuna s’écarta en tenant fermement son arme ruisselante. Elle n’eut pas besoin d’ausculter l’adversaire pour en déduire le trépas, son reiatsu à présent éteint en révéla suffisamment. Une autre dépouille inerte attira l’attention de la jeune femme ; plus loin, elle aperçut le corps de la Nécromancienne, étendue sur le dos, son visage empêtré dans le jade. La Lieutenante avait dû vouloir revenir, et c’était prise de plein fouet l’attaque d’émeraude ; la pierre s’introduisant dans ses orifices l’ayant condamnée à une mort par asphyxie.
Les cheveux défaits, l’œil éteint, Asuna fixa les deux corps sans force. Elle ne ressentait aucune empathie vis-à-vis d’eux, ni regret, ni remord, ni sensation d’échec. Elle était simplement surprise qu’une telle chose ait pu arriver aussi facilement. Les créatures à l’origine du Monolithe avaient-elles prévu une telle chose ? Ou un lot de coïncidences s’étaient jouées au fil du hasard pour aboutir à une telle conclusion ?
La Troisième Siège se tourna vers la Capitaine, la fixa, et dit d’un ton morne :

« Je crois que nous allons devoir attendre des renforts. Pour les cadavres. »

La Dame s’endormit, satisfaite du carnage.

Citation :

La mission est considérée comme terminée. Vous avez le droit de poster une dernière fois si vous le désirez, mais vous n'y êtes plus tenu. De même, ordre de post et délais ne rentent plus en compte.

Que le chef de mission n'oublie pas de remplir son rapport.