La moto filait à vive allure et ce depuis plus d'une heure et demi. Pas une fois elle ne s'était arrêtée, cherchant à rejoindre son point de rendez-vous au plus tôt. On lui avait demandé de s'y rendre sans perdre une minute et c'est précisément ce qu'elle faisait. Elle savait qu'elle devait y rencontrer un des membres du Conseil. Lequel ? Elle n'en savait rien. Ses employeurs s'étaient toujours montrés d'une discrétion absolue quant à leurs affaires. La seule chose qui comptait pour eux étant que le travail pour lequel elle était employée avance. Et il avançait. Ce rendez-vous faisait suite à sa rencontre avec l'Arrancar répondant au nom de Fou-Lu. Un homme dangereux qui avait sans le vouloir chamboulé les projets de l'organisation Mayer. Quitter le Japon pour rejoindre cet autre continent était donc devenu une priorité pour elle.

La pluie avait commencé à tomber alors qu'elle n'était plus très loin de l'endroit. Pas grave, elle ferait avec. Les gouttes d'eau ruisselaient sur son casque et sur son manteau de cuir, l'humidité permanente commençait d'ailleurs à la fatiguer. Mais utiliser le déplacement de son espèce n'était pas à faire sur de si longues distances. S'épuiser inutilement n'aurait aucun intérêt, surtout sans savoir ce que lui voulait son futur interlocuteur. D'autant qu'elle n'avait plus longtemps à attendre. La ville se dressait déjà face à elle. Quoi que le terme village correspondait bien mieux à ce qu'elle voyait. Ralentissant l'allure, elle s'engagea à l'entrée de la bourgade, se fiant aux indications de son GPS. Enfin, elle s'arrêta. Posant pied à terre après avoir mis la béquille, elle ôta son casque qu'elle glissa sous son bras et laissa ses cheveux tomber en cascade sur ses épaules. La pluie s'était transformée en bruine. Elle leva le visage vers les cieux, fermant les yeux, et prit une profonde inspiration. Qu'il était agréable de se poser quelques instants avant d'enchaîner sur cette réunion. Elle prit encore quelques secondes pour elle avant de reporter son attention vers le lieu où elle se trouvait.

Elle se trouvait devant une sorte d'usine. Des hommes et des femmes sortaient de là sans prêter attention à elle. Elle posa les yeux sur l'heure et comprit que les salariés quittaient l'entreprise pour regagner leur demeure. Elle n'était pas en avance. Un homme s'approchait d'elle alors qu'elle s'était levée pour se détendre les jambes. Costume cravate, portant autour du cou un badge avec le logo de l'entreprise et sa photo, il adressa un petit sourire à la jeune femme.

- Mademoselle Mayer ? Si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre, ils vous attendent.

Inutile de poser de question, elle connaissait les habitudes de la maison. En un sens, la présence réconfortante d'Elias lui manquait. Elle avait désactivée son oreillette, elle n'en avait pas besoin dans ce pays. Et elle emboita le pas à l'homme, non sans s'assurer que son arme de service était à disposition. Sait-on jamais... En revenant en Europe, Real reprenait les habitudes qui avaient toujours été sienne. Un excès de prudence, le regard alerte. De vieilles habitudes qu'elle avait presque oubliée lors de son séjour à Karakura.

Le bâtiment était plus grand qu'elle ne l'aurait cru de l'extérieur. L'homme s'arrêta devant un petit ascenseur de service, plaçant sa carte pour ouvrir les portes. A l'intérieur, seulement deux boutons : le rez-de-chaussée où elle se trouvait et le troisième étage, très certainement l'unique accès pour mener aux bureaux de la direction, si elle comprenait le principe. C'était certainement là-bas que son contact l'attendait.

- L'ascenseur va vous conduire directement à la salle de réunion. Une fois que les portes s'ouvriront, avancez-vous jusqu'au milieu de la pièce. Une chaise vous y attend. Pour ma part, je reste ici le temps que votre réunion se termine et je vous raccompagnerais jusqu'à votre véhicule.

Les portes se refermèrent sur lui et tandis qu'elle progressait vers les étages supérieurs, elle dégrafait les sangles de sa veste afin d'ouvrir son manteau. Là, elle porta la main à son pendentif afin de se rassurer. Le contact avec le bijou avait quelque chose de symbolique pour elle. Lui rappelant ce pourquoi elle agissait ainsi. Un geste qui eut pour effet d'effacer toute trace d'hésitation sur son visage. Les portes se rouvrirent enfin sur la salle en question. Celle-ci était plongée dans les ténèbres et seule une petite lampe posée près d'un siège éclairait l'endroit. Le reste de la salle était impossible à discerner. Sans doute une volonté de son contact. Malgré ce spectacle saisissant, c'est sereine qu'elle s'engageait au travers de la pièce, rejoignant l'emplacement qui serait le sien durant l'entretien.

Et tandis qu'elle se plaçait là, des projecteurs s'allumèrent tout autour d'elle, éclairant complétement les quelques mètres carrés sur lesquels elle se trouvait, l'aveuglant au passage. Ces personnes se donnaient un mal de chien pour masquer leurs identités et elle le comprenait. Mais n'était-ce pas trop ? Plissant les yeux, elle sentit la présence non pas d'une personne mais bien de plusieurs. Par réflexe, sa main se dirigea vers l'intérieur doublé de sa veste afin de se saisir de son Glock. Une voix stoppa son geste. Une voix mais aussi une force qui l'empêchait d'agir à sa guise, comme si ses membres ne répondaient plus à ses propres consignes. Elle comprit que quelqu'un usait d'un pouvoir contre elle et cessa d'essayer de se libérer. Il y a un temps pour l'action et un autre pour écouter. Visiblement, elle se trouvait dans la seconde situation.

- Il n'est pas nécessaire de sortir votre arme, Real Mayer. Et nous vous prions de nous excuser pour tout ce mystère. Il n'est pas dans nos habitudes de tous nous réunir au même endroit, vous comprendrez donc les mesures draconiennes que nous avons dû prendre, j'en suis sûr. Aujourd'hui, je serai la seule voix que vous entendrez. Je parlerais au nom du Conseil mais soyez assurée que chacun d'entre nous s'est déjà exprimé sur les sujets que nous allons aborder. Avant de débuter, avez-vous des questions ?

Des questions ? Non, elle n'en avait pas. Trop troublée par la nouvelle. Ainsi donc le Conseil se trouvait réunis en entier ici-même. Et cette force qui la maintenait sur place n'avait que pour but de préserver les intérêts de ces hommes et femmes qui œuvraient dans l'ombre. Son cœur s'était mis à battre la chamade avant qu'elle ne puisse reprendre le contrôle des battements, revenant à un pouls plus cohérent avec sa physiologie. A la lumière de ces informations, elle comprenait mieux pourquoi il y avait tant de mystères autour de leur rencontre. Le Conseil des Fullbringers. Rien que ça. Bien sûr, elle savait que ce nom n'était là que pour faire plus imposant, plus important. Il ne s'agissait pas d'un groupe représentatif de la communauté Fullbringers, seulement d'un groupe dissident recherchant les intérêts de l'espèce humaine et disposés à toutes les actions possibles pour faire avancer leur cause. Ils étaient puissants. Ils avaient l'argent. Mais préféraient l'ombre à la lumière afin de ne pas attirer l'attention des puissants de ce monde. Et des autres. Réaction logique.

- J'ai fait un long voyage pour arriver jusqu'ici. Allons droit au but si vous le voulez bien. C'est ce pourquoi vous m'avez fait venir, après tout.

L'homme se mit à rire. Un rire gras, dénué de chaleur. La réunion débutait véritablement. Et enfin elle allait savoir ce pourquoi elle était venue jusqu'ici.

La réunion dura un certain temps, le Conseil revenant chaque fois sur les points qu'ils estimaient peu clairs ou nécessitant un peu plus d'informations. Real jouait le jeu, sereine, décidée à fournir le plus de détails possibles afin qu'ils comprennent bien l'ampleur de la situation dans laquelle elle se trouvait. L'intérêt étrange qu'ils manifestèrent pour ces êtres appelés Mahô Tsukai ne la surprit guère. Personne ne savait ce qu'ils désiraient réellement mais ils étaient à la base du conflit qui secouait Karakura actuellement. Un quartier entier de la ville avait été rasé, détruisant au passage une organisation appelée Kanshu. Si Real n'avait pas vraiment connu ses membres, elle avait été informée par Elias de ce qu'ils représentaient. Une sorte de milice en charge de la sécurité de la ville. Ils avaient échoués lamentablement.

Le cas de Fou-Lu ne leur fit ni chaud ni froid, rangeant seulement l'Arrancar dans la catégorie des dangers comme nombre d'autres entités. Malgré les précisions de la jeune femme, le Conseil ne semblait pas prendre plus au sérieux que cela la menace de cet homme. Et s'ils ne s'en inquiétaient pas, elle ne pouvait les forcer à agir. Qu'importe, Koshiro serait lui-aussi prévenu et peut-être porterait-il plus de crédit à cette information qu'eux. Et en parlant de la brute, le Conseil en arriva rapidement sur le sujet. Ce qui ne l'étonnait pas. Elle avait accepté la proposition de l'humain sans même en référer à ses employeurs, trouvant qu'il serait utile de s'implanter dans pareille organisation. D'autant que Koshiro lui avait promis de l'aide pour sa propre quête d'élimination. L'Homme du Conseil s’attarda donc tout particulièrement sur ce sujet. Certainement le seul à ce jour sur lequel il pouvait encore agir.

- Je me dois d'admettre que nous n'avons pas apprécié votre initiative, Real. Avant de prendre la décision de rejoindre ce Koshiro, nous aurions apprécié de donner notre avis sur la question. Ce genre de décision ne doit pas être pris à la légère et vous le savez. Toutefois, ce qui est fait, est fait. Et nous ne voyons pas de raison de vous obliger à quitter les Sons of Inferno. Tant que vous ne déviez pas de votre propre route, nous vous laisserons agir à votre guise. Comme il était convenu initialement.

Elle comprenait la mise en garde masquée. Mais appréciait qu'ils n'oublient pas les termes du premier contrat qu'ils avaient signés ensemble. Elle était certes leur employée et se devait de respecter les parts de son marché, toutefois elle avait toujours insisté pour agir comme elle l'entendait. Tant qu'elle obtenait les résultats escomptés, ils n'avaient rien à dire sur ses choix. Mais alors qu'elle allait répondre, l'autre reprit :

- Nous émettons néanmoins une réserve. Nous exigeons d'avoir des rapports réguliers sur les actions de ce groupe. Et si nous jugeons les actions de l'organisation comme étant un obstacle à notre propre projet, alors nous nous verrons contraint de la détruire elle et son fondateur. Et afin de m'assurer de la fiabilité de vos données, nous donnons la mission à Elias de vous seconder pour l'opération. De manière permanente. Il sera votre gardien mais aussi notre espion. J'espère que nous nous sommes bien fait comprendre ?

Une condition, et pas des moindres. Jusque-là, Elias s'était toujours montré discret, n'interagissant pas directement avec ceux qu'elle côtoyait. Toujours à proximité, il jouait les rôles de relais et de gardes lorsque la situation l'exigeait. Mais généralement, il restait une ombre. Mais visiblement, ses tâches allaient radicalement changer. Elle ne le connaissait pas très bien encore mais devait admettre qu'elle n'appréciait pas cette ingérence. Elle n'avait cependant pas le choix... Car elle admettait avoir besoin de soutien dans la quête qui était la sienne. Mais savoir que ce dernier aurait aussi sa propre mission la dérangeait.

- C'est parfaitement clair, Monsieur.

Que rajouter d'autre alors qu'elle n'avait pas sa voix au vote ? Elle sentait que la réunion s'achevait, ce qui en soit était une très bonne chose. Harassée comme elle l'était, sa patience arrivait à son terme. Et ça se sentait dans la crispation de ses membres. D'ailleurs, elle ressentit l'aura qui la maintenait assise se relâcher.

- Nous allons vous libérer. Nous avons déjà pris les dispositions nécessaires au bon déroulement de votre retour à Karakura. Nous en avons déjà informé votre nouveau coéquipier. Elias repartira avec vous et vous attends. Une dernière chose encore. Nous désirons qu'un Shinigami nous soit amené vivant. Assez rapidement, si possible. Nous vous souhaitons bon retour, Mademoiselle Mayer. Et bonne chance.

La pression spirituelle se leva subitement, libérant la jeune femme. Les spots lumineux s'éteignirent et le silence prit place. Plus un bruit. Elle ne ressentait même plus leur présence, comme s'ils n'avaient jamais été présents. Encore un de leur tour, apparemment. Se levant, elle reprit le chemin qu'elle avait emprunté précédemment pour finalement redescendre. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et l'homme qui l'avait accompagné jusque-là la raccompagna comme convenu jusqu'à sa moto. Elle ne fut évidemment pas surprise de voir la silhouette d'Elias, déjà là, avec sa propre bécane. Bien qu'on ne lui laisse pas le choix, elle ne pouvait en vouloir à cet homme. Sa loyauté était sans pareille et elle ne pouvait pas le blâmer. Si sa fidélité à elle se plaçait en sa famille, les Mayer, celle d'Elias se dirigeait tout droit vers le Conseil. Rien de plus normal.

Alors qu'elle se postait devant lui, l'autre homme prit congé. Ce n'était pas plus mal, elle avait quelques petites choses à voir avec lui et moins il y aurait d'oreilles indiscrètes, mieux ça serait. Elle poussa un bref soupir, libérant ainsi la tension qui l'avait habité pendant ces quelques heures. Elias lui adressa un petit sourire. Et elle comprit que lui aussi était dans une situation délicate. Tout comme elle, il n'avait pas le choix. Tout comme elle, il allait devoir sortir des habitudes qui étaient les siennes. Ils allaient devoir cohabiter. Plus encore que par le passé. En espérant seulement que cela se passe aussi bien que leur relation d'origine.

- Je ne savais rien des intentions du Conseil jusqu'à ce qu'il me convoque également. Sans quoi, soyez assuré que je vous en aurai informé. Pour autant, sachez que je suis ravi de pouvoir vous être plus utile maintenant que j'en ai l'autorisation. Vous constaterez bien assez tôt que je ne suis pas qu'un simple collecteur d'informations.

Elle le croyait. Il était Quincy, un humain à pouvoir, et s'il avait la confiance de ses employeurs ce n'était certainement pas sans raison. Real lui rendit son sourire, se sachant en sécurité avec lui. Ses ordres à elle avaient quelques peu changés et elle aurait sans doute besoin d'aide pour respecter ces derniers. Elias ne serait pas de trop. Le seul point noir de l'histoire étant cette relation avec les Sons of Inferno. Si Elias rapportait quelque chose de compromettant pour ses employeurs, alors ils interviendraient. Elle avait vu la force de Koshiro et savait que ce dernier n'accepterait jamais qu'un autre lui dicte sa conduite. Il était évident qu'une altercation avec le Conseil se finirait mal. Très mal. S'il était encore trop tôt pour s'en inquiéter, elle ne pouvait nier s'en soucier quand même. Elle n'aurait d'autre choix que d'intégrer Elias à ce groupe. Remettant son casque sur la tête et refermant sa veste jusqu'en haut, elle ouvrit sa visière pour répondre distinctement à son nouvel associé.

- Nous en discuterons plus tard. Nous devons repartir immédiatement et je ne compte pas traîner en route. Tu as intérêt à suivre la cadence, Elias, car je ne ralentirais pas pour toi. Partons.

Effectivement, elle reprenait ses habitudes. Le Quincy lui adressa seulement un petit signe de tête en guise d'assentiment, préférant ne pas répondre à la provocation. Lui aussi calait déjà son casque sur le crâne avant d'enfourcher sa moto, libérant les gaz d'un simple tour de clé. Le vrombissement fit sourire la jeune femme tandis qu'elle rabaissait la visière. Elle qui avait toujours été habituée à travailler seule allait devoir gérer la proximité d'un allié. Et seul le temps lui dirait si l'association serait bonne. Mais à compter d’aujourd’hui, elle allait pouvoir s'appuyer sur Elias. Et mine de rien, ça avait quelque chose de rassurant.