Ce combat avait au moins eu le mérite de faire oublier au colosse la raison de sa colère initiale. Temporairement. Mais alors qu’il regagnait ses quartiers, cet étrange sourire aux lèvres, l’image de son Vice-Capitaine lui revint en tête. Ainsi que ces foutus rapports qui l’avaient portés jusqu’au bureau du Capitaine de la Dixième Division. C’était à son binôme de se charger de ce genre de chose, pas à lui ! Il allait devoir lui dire deux mots, ne serait-ce que pour savoir où ce dernier avait disparu pendant ses heures de boulot. Alors que les murs de la Onzième apparaissaient, Shinjirô cherchait déjà du regard au travers de la foule le visage caractéristique de Noboru. S’il y avait bien une personne qui ne passait pas inaperçu – en dehors de lui évidemment – c’était bien son Fukutaishô. Mais bien sûr, il ne le trouvait pas. Alpaguant un de ses hommes qui passait près de lui, le colosse lui demanda abruptement :

- T’as vu Noboru récemment ?

Le Shinigami semblait farfouiller dans sa mémoire mais finit par répondre à Shinjirô, visiblement soulagé de pouvoir renseigner l’Argenté. Il faut dire qu'on ne mécontentait pas le colosse impunément. Et tous le savait au sein de la Onzième.

- Il s’entraînait avec les jeunes recrues y’a pas deux heures. Il doit encore s’y trouver, Capitaine.

Ainsi c’est là qu’il se cachait, ce sale traître. Oh ça, il allait regretter, il se le promettait. C’est d’un pas décidé qu’il se précipitait vers la salle réservée aux entraînements avec les nouveaux-venus. Il ne lui fallut d’ailleurs qu’une poignée de minutes pour parvenir à place et enfin la voix de cet enfoiré lui parvint aux oreilles. Dégrafant Kaimetsu d’une main, Shinjirô découpa d’un geste sec la porte coulissante qui se trouvait devant lui, éparpillant ça et là les morceaux dans la pièce. Les Shinigamis cessèrent l’entraînement, les yeux gros comme des soucoupes. Plantant sa lame dans le sol, laissant alors cette dernière s’enfoncer de plusieurs centimètres, il croisa les bras sur son torse avant d’invectiver son lieutenant.

- Alors c’est ici que tu te cachais !!! T’as pas autre chose à foutre plutôt que de t’amuser avec ces gosses ? Comme remplir ces putains de dossiers par exemple ?

- Et donc le truc, c'est pas de faire le fanfaron pendant vingt ans. Et pas non plus de la jouer "grands discours devant le coucher de soleil, pendant la bataille". C'était le crédo par le passé, et on voit comment ça a fini, tout ce bordel. Nan, le truc, c'est d'aller taper tout de suite! On est pas là pour faire une annonce officielle, on est là pour se battre. Et la parlotte, ben c'est du temps en moins pour taper.

Planté au milieu des nouvelles recrues, le Kyuusei en était à parler technique, philosophie, tactique, le tout un peu en même temps. Quelle ne fut sa surprise lorsqu'il vit surgir de derrière la porte en papier un Shinjirô certes tout colère, mais en plus complètement débraillé! Il n'y avait pas de doute à avoir, le géant était furax, et ses vêtements roussis étaient sûrement la cause de son désarroi. Âme charitable par nature - non, c'est complètement faux, enfin, pas vraiment exact - le Vice Capitaine de la 11e Division vint à la rencontre de son supérieur afin de comprendre ce qui le turlupinait vraiment.

J'étais sensé savoir qu'il venait de se cogner avec l'ancêtre?

- Un problème avec un dossier? Y en a un qui t'as mordu? C'est pour ça que t'as tes vêtements tout déchirés? C'est pour ça que je m'occupe des dossiers d'habitude, hein, c'est pas à la portée de tout le monde...

Se grattant la tête pour montrer son incapacité à gérer ce problème à l'échelle d'une crise majeure, Noboru se souvint d'un sujet important qu'il devait traiter avec son mentor et ami. En fait, il avait ruminé ce truc toute la matinée, puis avait fini par l'oublier. Il fallait dire que l'absence prolongée de l'Argenté avait fini par le faire passer à autre chose, mais maintenant qu'il l'avait en face de lui, à lui hurler des propos incohérents sur des rapports, il avait eu comme un flash.

- Tiens, d'ailleurs, tant que tu en parles, y a un problème avec le délai de traitement auprès de l'Administration. Faudrait passer faire un tour du côté de la 10e Division pour tirer ça au clair. Tu t'en charges, ou...

Je pouvais VRAIMENT pas prévoir qu'il s'était déjà fait chier à y aller, non?

Pas à la portée de tout le monde ? Mais il se moquait de lui, là. Le rouge lui montait aux joues mais la fatigue et la lassitude emportaient sa colère aux oubliettes. Il est vrai qu’il ne s’était pas regardé dans un miroir avant de venir ici. Entre ses vêtements cramés, des morceaux de glace encore présents sur certains pans de son Haori et les écorchures multiples qu’il portait, il était évident que quelque chose s’était mal passé. Mais la dernière remarque de son lieutenant fit mouche, ravivant son envie de lui en coller une bonne dans la tronche. Le calme était total désormais dans la pièce, en dehors de Noboru et de son capitaine, l’attention des Shinigamis étant tournée vers les deux responsables de leur unité.

- Et tu crois que je reviens d’où là ? Justement de la Dixième Division, gros tocard. Tout ça parce que Mooosieur Noboru préfère se tourner les pouces plutôt que de faire son taff. J’ai une gueule à aller parler à un gosse pour de la paperasse ?

Question purement rhétorique. Afin d’appuyer ses propos, il avait martelé de l’index l’épaule de son ami. Non mais quelle idée aussi. Malgré tout, il allait devoir expliquer à Noboru ce qui s’était passé. Ainsi qu’au reste de sa division. De toute façon, cela ferait rapidement le tour du Seireitei et Shinjirô s’attendait à recevoir une convocation du Capitaine-Commandant sous peu. On ne dévastait pas un quartier sans subir les foudres du grand manitou, c’était évident. Et dire qu’au moment où les choses sérieuses allaient débuter, ce nabot avait fait son apparition, jetant un froid entre les différents protagonistes. Au sens propre comme au figuré. Mais il ne l’avait pas emporté au paradis… Maudit Tôshirô.

- Sauf que j’ai croisé la route de l’autre constipé de la Neuvième. D’ailleurs tu savais toi qu’il peut porter un putain de masque ?

Comment passer du coq à l’âne en l’espace de quelques secondes. En parlant du Capitaine de la Neuvième, le visage du Vizard de celui-ci lui était revenu instantanément en mémoire. Haussant les épaules pour signifier que ce n’était finalement rien, il reprit :

- Bref… On a échangé quelques mots lui et moi, comme tu peux le voir, et je crois qu’on a comme qui dirait rasé une partie des bureaux de l'administration. Accidentellement hein. Mais maintenant, Tôshirô tire la gueule et je crois qu’on va prendre une belle engueulade du Commandant. Et tout ça pourquoi ?

De nouveau, il martela l’épaule de Noboru afin que celui-ci ne perde pas une miette de ce qui allait se dire dans une poignée de secondes.

- Parce que t’as pas bougé ton gros cul là bas. Ah, elle est belle la Onzième Division, tiens. J’applaudis, les mecs. Vous êtes tous responsables !!!

Pourquoi reportait-il la faute sur ses hommes maintenant ? Car c’était plus facile ainsi… Solidarité oblige. Il avait détaillé les visages des présents, lisant clairement de l'incompréhension sur la plupart. Et de l'amusement aussi sur d'autres. Il est vrai qu’ils avaient une sacrée réputation et que ce n’était effectivement pas prêt de changer avec ces deux là à leur tête. Et en un sens, ca faisait d’eux des Shinigamis à part, en dehors du système. En quelque sorte bien sûr.

Il avait tenté l'ironie innocente, bien mal lui en prit.Le Kenpachi était furax, et la raison de sa colère ne tarda pas à se faire connaitre. Ainsi il avait eu maille à partir avec le Capitaine de la Neuvième Division, le très mystérieux et sans aucun doute très coincé du trou de balle Yakushiji Tenzen. Et les révélations du colosse à son encontre piquèrent au vif l'intérêt de son adjoint. Oui, en fin de compte, le Fukutaishô avait zappé l'essentiel du contenu de la soufflante du Capitaine, mis à part ces éléments là. Autour d'eux, les nouvelles recrues semblaient avoir rapetissé, cherchant un échappatoire à cette conversation qui puait le danger à plein nez, mais le principal intéressé, lui, se sentait tout à fait à l'aise. On ne vivait pas pendant deux cents ans avec la même personne sans décrypter ses réactions. Ce n'était pas le genre de colère dont il fallait se préoccuper, Shinjjirô étant de nature un peu grognon sur les bords.

- Un masque...donc il possède les mêmes facultés que moi...hmmm...c'est bon à savoir...

Tandis que l'autre continuait de beugler à la ronde, le Vif-Argent se frotta le menton, perdu dans ses réflexions. Il était pour l'instant impossible de dire si cette information était à classer dans les bonnes ou les mauvaises choses. Il devrait se faire une idée par lui même, sans doute. Mais le moment n'était plus à la réflexion.

On ne pouvait pas ignorer Shinjirô très longtemps. Il avait tendance à rappeler le monde à son bon souvenir à coup de poing dans la tronche. C'était pas que ça m'amusait pas, hein, j'étais toujours prêt pour un moment de franche camaraderie, mais la Montagne avait déjà, à ses dires, bousillé pas mal de trucs du côté de la Dixième, et s'était amusé à faire de même avec la porte de cette pièce. Autant dire que si je décidais de me foutre de lui plus longtemps, ça allait mal finir pour les murs de notre Division. Et comme on était en tort depuis le début de cette histoire, qui se retrouverait dernier sur la liste des shinigamaçons pour un petit coup de peinture? Bah nous. Un choix technique s'imposait...

- T'as raison, on est tous responsables. Les gars! Nouvelle directive, aujourd'hui on va travailler les mouvements de troupe. Alors bougez vot' derche et allez me chercher les formulaires nécessaires aux travaux d'aménagement et de rénovation. Si on pose la demande les premiers, y a moyen pour qu'on passe pour des seigneurs auprès du Capitaine Commandant, et ça, ça va la mettre grave aux autres empaffés de la Neuvième! Allez go go go! Le premier aura le droit de laisser ses corvées aux autres!

Et aux autres de saisir cette occasion au vol pour s'enfuir à toute jambe. Et pendant ce temps, tout sourire, le Kyuusei se tourna vers son mentor.

- Et ben, y a pas que les gamins un peu autistes qui ont le monopole de la tactique, hein?

...

Que dire face à tout ça ? Et bien rien. Strictement rien. Car une fois n'était pas coutume, il venait de s'en sortir avec une parade exceptionnelle. Et Shinjirô avait un nom pour décrire ce genre de prouesses, un nom qui collait évidemment au caractère de son lieutenant. Une "Kyuusei", de son véritable nom, voilà ce qu'il venait de faire. Une idée saugrenue mais qui avait le mérite de coller parfaitement à la situation présente et surtout, qui avait le mérite de calmer immédiatement son Capitaine. Prit complétement au dépourvu, Shinjirô poussa finalement un long soupir de consternation. Les autres Shinigamis de sa Division avaient sautés sur l'occasion pour quitter la pièce, de peur de subir les foudres de celui qui les dirigeait.
Ce qui était désormais inutile. Le calme était revenu soudainement et même le visage du colosse s'était quelque peu détendu. Il faut dire que la journée avait été plutôt riche et que Tenzen, sous ses airs de vieux cons, avait parfaitement su contenir la puissance du colosse. L'un des rares talents que Shinjirô respectait chez ceux qu'il affrontait. Se montrer digne de Kaimetsu était une chose suffisamment rare pour que cela l'intrigue. Nul doute que la prochaine fois - et il y en aurait une, ce n'était qu'une question de temps - il se servirait de son Zanpakutô pour écraser cette arrogance. Lorgnant un instant son Haori, il fit la grimace : ces maudits Kidô, quelle plaie quand même.

- Tu t'en sors bien. Encore.

Attrapant de nouveau Kaimetsu par l'une des trois poignées, il sortit la lame du sol pour la raccrocher à sa place, soit dans son dos. Une fois les sangles installées, il fit quelques pas vers le fond de la salle, non sans écraser au passage les débris de la porte qu'il avait fracassé. Une réparation de plus mais aujourd'hui, ce n'était pas la plus grave. Loin de là. Un instant, il ne put s'empêcher de penser à ce qui se serait passé si Toshirô n'était pas intervenu, canalisant la haine des deux autres Capitaines sur lui.

- Ton idée ne t'empêchera pas d'être de corvée de rapport, Noboru. Et t'as intérêt à t'en charger d'ici la fin de semaine. Je me fous que tu sois obligé de te foutre en Bankai pour aller plus vite... Tes six bras ne seront pas de trop vu le retard. Je viendrais à l'improviste pour te contrôler, alors ne fais pas le malin hein.

Shinjirô n'était pas dupe. Il savait que Noboru était respecté et apprécié par les gars de la Onzième, il savait aussi que ce dernier abusait de sa force et de son autorité pour se faire aider dans ce genre de missions. Il était facile de faire faire le sale boulot à un autre pendant que lui se la coulait douce. Lui signifier qu'il essaierait de le surprendre, c'était lui signifier qu'il n'était pas idiot et qu'il avait intérêt à s'en occuper. Et seul, de toute évidence.
Quant à l'idée du Bankai, c'était de toute façon une très mauvaise idée, même lui le savait. La règle du Seiretei était claire, même si Shinjirô la haïssait : pas de guerre, pas de Bankai. C'était comme qui dirait priver un enfant de sucrerie. Maudites lois à la con.

- Allez, moi j'vais dormir un peu. Ils m'ont trop saoulés ces deux là. Profite-en pour faire venir les mecs de la maintenance. Ça la fout mal de ne pas avoir de portes...

Et c'est sur ces belles paroles qu'il quittait la pièce. Il était inutile de trop en dire désormais.