- Euh, t'es sûr que c'est là, hein?
- T'inquiète pas ! J'ai été GPS, dans une autre vie. Un peu de confiance, tu veux bien?


Franchement, un tel manque de foi en lui blessait Skelter dans son amour-propre. Impossible de se planter !

Tout à l'heure, alors qu'il se baladait sur les toits pour faire du repérage, il avait déniché une gamine qui dégageait une énergie spirituelle franchement anormale pour une humaine de son âge. Il l'avait suivie un peu, tout en restant à hauteur suffisante: il tenait peut-être là sa première proie. De quoi le remettre en forme et lui procurer un casse-croûte plus appétissant que les machins biscornus qu'il chassait hors de la ville. Rien qu'en y pensant, il salivait déjà d'avance.

Seulement, voilà: à cet âge-là, les mioches, ça passe sa vie le nez en l'air au lieu de regarder où ça va. Du coup, elle était entrée en contact visuel direct avec Skelter, qui, campé six ou sept mètres plus haut, la fixait avec son air de morfale.

Elle s'était figée. Elle l'avait regardé. Il l'avait regardée. Elle avait fait un pas en arrière. Il avait fait "bouh" en tirant la langue. Elle s'était mise à brailler à pleins poumons, et avait tracé dans la direction opposée en tapant une pointe de vitesse digne d'un Usain Bolt sous amphète. Lui, il s'était mentalement insulté. Foutu réflexe ! C'était noté parmi les premières lignes de son code de conduite mental: "quand un gosse te regarde, adopte un air cruel". Voilà ce qu'il y gagnait: un goûter qui se faisait la malle. Et évidemment, inutile de la suivre, cette fois: elle irait se planquer dans un coin au lieu de lui montrer l'emplacement de sa baraque.

Cependant, le hasard avait bien fait les choses: une heure plus tard, il l'avait vue repasser avec sa mère dans un quartier différent. La maternelle, elle, ne dégageait pas un poil d'énergie: selon toute vraisemblance, elle serait infoutue de le voir. La môme l'avait à nouveau repéré, elle s'était mise à hurler; la mère, en revanche, n'avait effectivement rien vu et avait même fini par retourner une paire de claques à sa progéniture pour lui apprendre à se tenir tranquille. Skelter, lui, jubilait, perché sur son toit. Il marchait au même rythme qu'eux, adoptant devant le regard impuissant de sa future victime la démarche insouciante et exagérée d'un personnage de dessin animé. Une petite provoc, ça ne fait jamais de mal, si? Histoire de dire "salut, tu sais ce qui t'attend, hein?".

Du coup, l'Arrancar les avait vues entrer chez elles, et avait noté la position de la baraque pour revenir plus tard. Voilà ce qu'il foutait sur un toit, à quatre heures du matin: il préparait son entrée.

Prenant son élan, il se jeta du rebord, visant d'un Sonido bien précis l'une des fenêtres de la bâtisse qui lui faisait face. Entrant dedans sans ménagement, il défonça littéralement le verrou intérieur des battants, qui s'écartèrent sur son chemin et s'ouvrirent à fond dans un grand fracas. Entouré par les rideaux qui voletaient chaotiquement autour de lui, enveloppé dans la pénombre, sa silhouette clairement découpée devant le clair de lune et son visage vaguement éclairé par l'inquiétante lueur verdâtre émise par sa lanterne, il resta accroupi sur la rambarde et effectua un geste théâtral de la main gauche. Une entrée parfaite.


- Je suis la vengeance, entama-t-il d'une voix tonnante. Je suis la nuit ! Je suis...
- ... pas foutu de te repérer dans le noir ! C'est pas la bonne baraque, je t'avais dit !


Comment ça, pas la bonne baraque? Décontenancé, Skelter jeta un oeil aux environs. Effectivement, la chambre ne ressemblait pas des masses aux environnements roses et mignons à en vomir des papillons qu'on associe aux petites filles. Quant à l'occupant du lit, tiré de son sommeil par le fracas...


- Tiens, regarde, juste au cas où, j'te rappelle la définition d'une petite fille: c'est petit, déjà, et ensuite c'est une fille. Qu'ess tu vois, toi?
- Euh... Houlà, ouais, y a erreur de casting, je crois...


Son apparition étant irrémédiablement foirée, le reste du programme était complètement chamboulé. C'est toujours moins drôle avec les adultes, ce genre de trucs. Il faut étudier l'approche selon la victime - et pour le coup, le blondinet extirpé de ses rêves ne paraissait pas spécialement en proie à la terreur la plus intense. Bien au contraire.


- Bon, bah... désolé du dérangement?