Avant qu'il ne soit écarté quelques temps des affaires de la Soul Society, le Rukongai était un lieu où il n'y faisait clairement pas bon d'y vivre. Du moins, c'était vrai pour les districts les plus à l'écart, ceux dont le chiffre était le plus élevé. Les premiers étant généralement occupés par les familles de la basse noblesse et quelques-unes de la haute, quand ces dernières ne vivaient pas au sein du Seireitei. Quoi qu'il en soit, ce n'était pas vraiment un lieu fréquentable, pas tellement l'genre de coin qui viendrait à l'esprit d'un homme qui voudrait se détendre un peu. Et c'était avec un plaisir non dissimulé que le Vizard constatait qu'une bonne centaine d'années plus tard après sa disparition, le Rukongai n'avait pas changé d'un poil. Toujours aussi miteux. En tant que récent Vice-Capitaine de la Septième, c'était à présent son devoir de surveiller ces districts pourris. Comme au bon vieux temps hein.

Sauf qu'il n'était plus le même et qu'intérieurement, tout cela le faisait profondément chier. S'il ne laissait rien paraître et s'efforçait qu'on le pense dévoué à son rôle, c'était uniquement pour sa couverture. Il n'était jamais bon de trop attirer l'attention sur lui. Le tout rendait les journées tellement longues et ennuyeuses, qu'il en était réduit à chercher lequel des bars seraient le meilleur pour passer le temps. Jusqu'à présent, aucun de ceux visités ne présentaient un réel intérêt à ses yeux. Seulement celui à l'intérieur duquel il avait pénétré une dizaine de minutes auparavant, avait tout du candidat vainqueur. Le nom, rien que le nom le plaçait en bonne position. "Aux Phalanges Brisées", merveilleux. Vraiment merveilleux ! Le doux son d'une phalange qui casse était un délice, alors une multitude... tout cela éveillait quelques pulsions en lui. Son sadisme savourait l’appellation du bar, son hollow intérieur approuvait.

Que Tetsuo et Hakai soient tous deux d'accord, le dernier mettant habituellement un point d'honneur à contredire le premier, constituée la preuve que le propriétaire de ce lieu avait fait du bon travail. Assis sur un tabouret face au comptoir, un verre sous le nez, lunettes lui barrant les yeux, il profitait du moment. Jusqu'à ce qu'il soit tiré de son moment par une commande qui lui passa en travers de la gorge. Un gars qui venait tout juste de pénétrer dans le bar, prenant place juste à sa droite, commandait du thé. Du thé. Dans un bar. Pour un homme. Un Lieutenant en plus, comme lui. Avec une gueule d'ange, pas comme lui. Un blondinet du nom de Karot. Karot Ryuu. Il ne faut pas s'arrêter au nom étrange des gens, mais là il faut dire qu'il cumule. Il a déjà l'air de connaître qui il est. Cela lui évitera d'avoir à se présenter. L'Ashihei hocha la tête en réponse à la demande du buveur de thé, confirmant et son identité et le fait qu'il veuille bien un autre verre.

Faire connaissance avec le reste des gradés du Gotei 13, s'intégrer comme un honnête gars, c'était sa mission permanente. Il vida son verre d'une traite avant d'ouvrir finalement la bouche, un sourire qui se voulait honnête en apparence, travaillé depuis un moment pour qu'il le soit.

C'est bien moi oui, dans le mile ! Content d'te connaître, Karot. Alors comme ça t'es de la onzième ? Là j'avoue que tu me surprends, j'pensais pas qu'ils buvaient du thé là-bas !

Et il éclata de rire, donnant une tape amicale à l'épaule du dieu de la mort, espérant qu'il réagirait positivement à son humour. Les verres claquèrent sur le comptoir, le sien se logea immédiatement dans sa main, cette dernière fut tendue à gueule d'ange.

Merci pour le verre l'ami ! Et à ma promotion ! Santé !

Les godets s'entrechoquèrent, Tetsuo porta le sien à la bouche pour en descendre son contenu de quelques grosses gorgées. Toujours aussi délicieux. Pointant du pouce l'une des danseuses un peu plus loin, il lâcha toujours avec une pointe d'humour dans le ton de sa voix, à l'intention de son camarade.

Si c'est pas pour l'alcool que tu viens, alors c'est pour l'une de ces gonzesses, hein ?

Pour ne pas avoir le profil de la onzième, c'était le cas de le dire... A côté de l'actuel Kenpachi, le malheureux Fukutaisho était aussi épais qu'une brindille. Sérieusement, quelqu'un ne connaissant pas le Gotei 13 ne croirait pas un mot de ce qu'il raconte. Et certainement qu'il devait avoir l'habitude qu'on se moque de lui lorsqu'il annonçait son grade. Hakai, mon hollow intérieur, s'en donnait à cœur joie d'insulter l'homme qu'il décrivait comme la petite traînée de la juichibantai. Les insultes pleuvaient sur le pauvre blondinet qui fort heureusement pour lui, ne pouvait rien entendre de tout cela. Hakai n'y allait pas doucement. Le tout arracha un sourire moqueur à l'Ashihei, qui préféra plonger son nez dans son verre plutôt que de prêter attention au hollow. Il prit le soin de terminer le saké avant de répondre à Karot, qui se trimbalait un drôle de nom soit dit en passant.

Les femmes, l'alcool, l'ambiance, ce bar est une pure merveille l'ami. Le premier est merveilleux et je ne m'en lasse jamais de les contempler. Le second passe divinement bien dans le gosier et soulage après une éprouvante journée de surveillance. Quant au dernier, pour un homme qui se veut droit et qui se tue à la tâche, relâcher un peu la pression ne peut faire que le plus grand bien ! Enfin... tous ne seraient pas du même avis, le Yakushiji le premier, lui n'a pas dû se détendre comme le ferait tout homme normal depuis un millénaire !

Et il éclata d'un rire franc. Hakai avec lui. C'était ce qu'il aimait le plus faire en sa compagnie, se foutre de la gueule des shinigamis. Particulièrement les plus anciens. Ceux ne voulant pas laisser la main à la nouvelle génération, s'obstinant à rester en vie après plus de mille ans d'existence. Rire d'eux. De leur stupidité, leur incompétence. Leur prétendue droiture. Il faisait passer cela aux yeux des autres comme un peu d'humour sur un gradé qu'il admirait. Seulement, intérieurement, le Kyuubantai Taisho comme le reste des vieux capitaines représentaient ceux qu'il méprisait le plus. Naturellement, c'était toujours un plaisir de leur cracher dessus quand il en avait l'occasion, comme aujourd'hui. Tout en prenant évidemment la précaution de ne pas paraître trop sérieux, évitant ainsi d'éveiller les soupçons. Enfin, même si le Ryuu s’apercevait de quelque chose, au pire penserait-il qu'un différent existe entre Tenzen et lui.

Dépêche-toi de terminer ton thé va, le saké ne devrait pas attendre aussi longtemps, spécialement dans un bar, cela devrait être considéré comme un crime que de boire du thé dans un endroit pareil !

Nouvel éclat de rire. Le vizard fait signe au barman de resservir la même chose, tandis qu'il enchaîne pour son interlocuteur.

Alors raconte un peu Karot, ça se passe comment à la onzième ? Le Kenpachi t'en fais pas trop baver ? J'ai jamais eu l'occasion d'le rencontrer en personne, ce qui est dommage, il m'a l'air d'être quelqu'un de particulier lui aussi. Un peu comme toi. Ou comme moi. Pas trop lassant à la longue le quotidien chez les brutes ?

C'est qu'il s'intéresse à la vie d'un combattant de la juichibantai, lui...

Se détendre était un bien faible mot en ce qui concernait le Kyûbantai Taishô, cet homme devait avoir banni ce mot de son vocabulaire depuis des lustres déjà. Ou alors, le Yakushiji et le reste du monde n'avaient pas la même définition du terme. Bien qu'il pense beaucoup de mal de cet homme, notamment sur le temps d'occupation de son poste qu'il jugeait périmé depuis longtemps, il le respectait au fond. Tout en s'en méfiant comme de la peste. Lui qui avait trahi des siècles auparavant le Seireitei, tentant de renverser le Sotaishô de l'époque, pour finalement y revenir comme si de rien n'était, tout cela lui paraissait louche. Et en tant que traître dans la même position que Tenzen, il ne pouvait s'empêcher d'imaginer que le vieil homme autrefois son sensei cachait quelque chose. Un plan, un nouveau projet pour prendre le pouvoir, qu'il taisait pour l'heure afin de ne pas éveiller les soupçons. Son cas l'intriguait et il veillerait à se renseigner sur la personne afin de lever ses soupçons.

Et si finalement il se révélait être blanc comme neige, alors il serait définitivement à ranger dans la case des obstacles à sa mission. Hakai le rappela à l'ordre d'un grognement, avant de lui lancer sur un ton agaçait que l'autre blanche neige de la onzième lui parlait. Utilité supplémentaire à cohabiter avec un hollow, le fait qu'il
soit en mesure de vous tenir informer sur la situation présente en toute circonstance. Il n'est dès lors plus une obligation de vous concentrer sur les propos de votre interlocuteur quand une entité autre se charge de tout relever à votre place. Il ne manqua pas de m'informer que gueule d'ange, surnom lui étant attribué avec blanche neige, tenait admirablement bien l'alcool. Il ne serait donc pas de ceux qui en dévoileraient trop sous l'influence de la boisson. Tant pis, cette discussion ne mènerait donc pas bien loin. Par ailleurs, s'en aller immédiatement serait mal vu et la curiosité piquait au vif l'Ashihei. Karot, aussi habitué au saké soit-il, parviendrait-il à tenir son rythme ? Le défi était lancé.

Hakai misa contre le petit blondinet, brûlant d'envie de me voir le mettre sur les genoux, comme beaucoup de mes hommes avant lui. Si tôt la toute nouvelle bouteille claquant le comptoir, que la dextre du Nanabantai Fukutaisho s'en empara, en déversant son contenu dans son godet avant de la passer au Ryuu. Curieux d'imaginer si avant la fin de cette discussion, son sourire s'effacerait, que ses paupières s'alourdiraient et que la fatigue le gagnerait. S'il finissait le front collé au bois supportant nos verres, alors la victoire serait totale. Si en revanche tout cela arrivait à l'espion, alors son compère hollow n'avait pas fini de se foutre de sa gueule. D'après ce qu'il avait saisi du résumé d'Hakai, gueule d'ange avait su se faire respecter des singes de la onzième. Un exploit en soi, quand on connaît le profil de ces demeurés assoiffés de combats. Il lui retournait sa question. Comment s'en sortait-il à la Nanabantai ? Admirablement bien selon son impression, lui n'avait pas eu de problème d'autorité à son accession au poste de Vice-Capitaine.

Quand à ce qui concernait l'Himesaki, outre le fait qu'à son arrivée, il en avait entendu de belles à son sujet, différentes rumeurs inquiétantes, il ne semblait pas se douter de quoi que ce soit. Une infiltration parfaite le positionnant comme souhaité par son maître.

Eh bien... je dois t'avouer particulièrement m'y plaire ! Les gars sont expérimentés, bosseurs et rarement d'humeur massacrante. L'intégration s'est faite calmement, sans accroche. Himesaki-Taishô est un homme fort également, et droit, ce que j'apprécie tout particulièrement. Sachant cela, je ne pouvais pas espérer être à une autre place que celle-ci !

Il vida son verre, invitant par ce geste son interlocuteur à en faire autant. A moins qu'il veuille laisser boire un ami tout seul, ce qui serait impoli mais soit...

Malgré cela, je dois t'avouer ressentir beaucoup de pression sur mes épaules... Depuis l'apparition des Ombres, le travail est décuplé et mes responsabilités plus importantes encore. D'autant que la menace planant continuellement sur nos têtes déplaît fortement. Je ne te parle même pas du fait que personne n'ait été en mesure jusque-là de découvrir l'objectif de ce groupuscule monstrueux...

Une fois encore, le saké quitta son verre pour se mélanger au sang du Vizard.