Rigueur et discipline étaient deux des qualités indispensables que devaient posséder des soldats. Il avait fallu près de deux siècles à Shinjirô pour comprendre cette donnée pourtant élémentaire mais maintenant qu'il en était lui aussi pourvu, il comprenait les baffes qu'il avait pris de ses mentors par le passé. C'est pourquoi il aimait tant maintenant diriger les entraînements de ses gars. Outre le fait de voir qui en valait la peine, cela lui permettait surtout de ne pas rouiller. Lui qui s'entraînait quotidiennement et sans relâche, il appréciait de voir cette même détermination chez ces Shinigamis.

Alors qu'il beuglait ses consignes, comme à l'accoutumée, quelque chose attira son attention. Une sensation particulière. Levant les yeux, il balaya du regard l'espace autour de lui avant de pousser un petit soupir. Ignorant un instant cette étrange impression, il reporta rapidement son attention sur l'entraînement de ses hommes. Être Capitaine, c'était avoir pas mal de responsabilité. Et gérer les efforts de ses troupes était quelque chose qu'appréciait particulièrement le Kenpachi. La réputation de la Onzième était exécrable mais cela, il s'en fichait. Tant qu'ils savaient se battre et qu'ils étaient capable de revenir vivants de leurs missions, il n'en demandait pas plus. Depuis qu'il avait repris en main cette armée, il n'avait pas chômé concernant la formation de ces lascars. La meilleure partie consistait évidemment à leur enseigner les bases du combat au corps à corps, domaine trop souvent méprisé par les autres divisions mais qui constituait en vérité un atout formidable lors de véritables combats. Il le savait. Et dans ce domaine, excepté Noboru évidemment, le Kenpachi n'avait pas d'équivalent.

- T'as toujours pas capté le mouvement, tête de mule. Si tu restes immobile, t'es un homme mort. Allez bouge. Oui, voilà. Ta garde, monte ta garde !

Donnant ses consignes avec conviction, mains dans le dos, aucun détail n'échappait à son œil expert. Mais quelque chose le tracassait depuis quelques minutes. Cette étrange sensation qu'il avait perçue précédemment était toujours présente dans son esprit. Il n'avait pas vraiment le choix finalement, il allait devoir jeter un œil. Il savait déjà où aller, de toute évidence. Il appela l'un de ses gradés qui dirigeait un autre entraînement près de lui. Celui-ci accourut vers son Capitaine, se demandant ce qu'il pouvait lui vouloir.

- Prends le relais. Je vais faire un tour.

Ajustant Kaimetsu dans son dos - son Zanpakuto qui mesurait plus de deux mètres - il adressa un petit signe à Noboru qui se trouvait à l'opposé du terrain pour lui signifier de ne pas le suivre et d'un Shunpo, il disparut de l'espace de combat. Pour finalement arriver sur le toit d'un des bâtiments qui dominait le terrain d'entraînement, derrière une autre silhouette plutôt massive et portant le Haori caractéristique des capitaines. Un étrange sourire lui apparut sur le visage alors qu'il se rapprochait de lui. L'autre l'avait repéré sans le moindre doute. Le colosse arriva à sa hauteur mais prit le parti de rester debout. De cette position, la vue était remarquable. Kiryû savait déjà à qui il avait à faire... Le capitaine de la Septième Division, Himesaki Tōjō. Bien qu'ils ne se soient que peu entretenu ensemble l'un l'autre, ils se croisaient lors de ces fameuses réunions qui regroupaient les plus hauts gradés du Gotei 13. Cet homme avait déjà attiré l'attention du Kenpachi, pour une raison évidente : il était l'un des rares dans tout le Seireitei à posséder une carrure proche de la sienne. Plutôt grand, assez baraqué, il dominait sans conteste la plupart des autres Taishô. En dehors du Kenpachi, bien entendu.

- Y'a quand même plus confortable si tu veux assister aux entraînements de mes gars, mon pote.

Shinjirô n'était pas homme à prendre de gants lorsqu'il s'adressait aux autres, Capitaine y comprit. C'était d'ailleurs pour cette raison que l'ambiance entre lui et celui de la Neuvième Division était électrique. Il faut dire que cet ancêtre semblait mépriser quiconque croisait sa route alors que Shinjirô se moquait éperdument des étiquettes, ce qui lui avait déjà posé quelques petits problèmes lorsqu'il n'était alors que simple Shinigami de la Onzième Division. Bien que familier, cela ne dénotait absolument pas d'un quelconque manque de respect.

- J'peux faire quelque chose pour toi ?

- Pas faux.

Il avait raison lorsqu'il parlait des natifs du Rukongaï : ils se satisfaisaient de peu car ils n'étaient pas habitués à ce luxe particulier. Shinjirô comprenait cette mentalité, lui-même étant originaire des districts les plus malfamés du Rukongaï. Il se rappelait encore de son écœurement alors qu'il avait été accepté comme élève au sein de l'Académie. Cette richesse débordante, en parfaite opposition à la pauvreté étonnante des districts qui se trouvaient en dehors du Seireitei. Il chassa toutefois cette pensée de son crâne pour se concentrer de nouveau sur le Capitaine qui lui faisait face. Ce dernier venait de se lever, dévoilant sa taille imposante, à la hauteur du Kenpachi. Étonnante ressemblance à la vérité, du moins du point de vue physique. Suffisamment rare pour être relevé par le colosse.

Quant à la raison de sa présence ici, cela lui importait peu au final. Car dès les premiers échanges, Shinjirô avait décidé qu'il apprécierait ce type. Pas prise de tête, aussi direct qu'il l'était lui-même, c'était pour une fois un plaisir que d'échanger quelques mots avec un confrère. Chose qu'évitait pourtant le Kenpachi d'ordinaire. Bien sûr, et ça n'aidait pas les autres à venir à lui, il avait cette réputation de grosse brute. Une réputation parfois justifiée par ses propos et sa manière d'être mais restait exagéré. Les Shinigamis hauts gradés préféraient restés sur leurs impressions, quitte à se fourvoyer complétement. A l'instar de Tenzen.

- Disons que je prends à cœur la formation de mes hommes. Je pars du principe que s'ils meurent sur le champ de bataille, c'est que je n'aurai pas fait correctement mon taff. Pour le reste, je suis pas forcément un exemple...

Haussant les épaules, Shinjirô ne pouvait oublier la mésaventure qui s'était produite quelques jours auparavant et qui avait conduit à la destruction partielle des quartiers de la Dixième Division. C'est clair qu'il n'était pas réellement un exemple à suivre, n'en déplaise au Sotaishô. Et s'il est vrai qu'il tenait à participer aux entraînements de ses unités, il déchargeait généralement le reste de ses responsabilités sur son Vice-Capitaine, pour se tourner très égoïstement vers son propre entraînement. Ce qui avait tendance à agacer Noboru qui, d'habitude, ne se gênait jamais pour lui donner le fond de sa pensée. Il faut dire qu'on ne passait pas près de deux siècles avec la même personne sans développer de véritables liens d'amitiés. Et à ce sujet, son lieutenant était le seul à pouvoir s'adresser ainsi à Shinjirô.

La main tendue de Tōjō était un signe amical dont n'était pas habitué le Capitaine de la Division de combat. D'abord surpris, il balaya rapidement ce sentiment pour lui rendre la politesse, serrant sa main, lui adressant au passage un petit sourire. Il était aussi ravi, en quelque sorte, de pouvoir échanger plus longuement avec un gars comme lui. Même s'il restait assez bourru dans son comportement. D'une tape sur l'épaule, il lui répondit du tac au tac.

- C'est partagé, mon pote !

La situation pouvait paraître étrange à ceux qui regardaient cette scène... Il faut dire que deux géants, postés sur un toit, ça n'était pas très courant. Surtout lorsque ces deux géants portaient également le Haori des Capitaines du Goteï. Puisque Shinjirô ne connaissait pas vraiment ce type, autant en profiter pour apprendre à mieux le connaître.

- Je propose pas ça à tout le monde mais si un de ces quatre, t'as besoin de te défouler un peu, n'hésite pas à passer hein. Y'a peut-être pas que des gabarits comme les nôtres par ici mais mes gars sont suffisamment solides pour tenir le choc. Pas comme s'ils avaient le choix, tu me diras. Surtout que d'après certains de mes hommes, t'as fait tes classes ici ? C'marrant... Et peu courant. Ça devrait te rappeler de bons souvenirs en tout cas.

Lorsque Shinjirô s'était renseigné sur les Capitaines actuels, alors qu'il avait tout juste pris la tête de sa division, il avait appris que l'un des capitaines avait débuté à la Onzième. Il s'agissait de Tōjō, bien entendu. Lui-même ayant aussi fait ses classes ici il y a deux siècles, il trouvait une nouvelle fois le parallèle amusant.

Alors que Makizou et Tōjō se remémoraient de bons souvenirs en s'affrontant amicalement, Shinjirô observait les mouvements du Capitaine de la Septième Division. Dès le début des passes d'arme, il avait deviné qui des deux s'en sortirait vainqueur. Certes, on ne devenait pas Capitaine sans raison mais cela ne justifiait pas tout. Makizou était un vieux de la vieille, expérimenté au sabre et aux arts qui s'en rapportaient. Pourtant c'est presque avec facilité que Himesaki s'en sortit vainqueur. Presque. Cette dextérité, tout le monde ne pouvait pas s'en vanter. Et les gars de la Onzième ne s'y trompèrent pas en acclamant ainsi celui qui avait fait partis des leurs par le passé. Remerciant autant l'un que l'autre pour la jolie démonstration dont ils venaient de gratifier le public. Tōjō avait beau avoir quitté la division du Combats, il restait au fond de son cœur un véritable membre de cette fratrie. Que cela lui plaise ou non, on n'échappait pas à son destin. Et 'est amusé que le colosse avait suivi cette rixe du haut de son toit. Jusqu'à ce que son homologue lui envoie le sabre en bois, qu'il attrapa à la volée et d'une seule main.

Un immense sourire aux lèvres, il entendit les conditions de Tōjō et lui adressa un simple mouvement de tête en guise d'acceptation. Il faut dire qu'il ne prenait pas trop de risque : le combat au sabre était précisément sa spécialité. Pas de Kidô ? Pas de Shunpo ? En sommes, les conditions habituelles de ses propres entraînements. Toutefois, il allait devoir mettre de côté Kaimetsu. Il faut dire qu'un sabre de plus de deux mètres dans le dos, ça n'aidait pas à bouger facilement. De sa main de libre, il dégrafait les sangles rattachant son Zanpakutô à son dos et ramena l'arme devant lui. Attrapant la poignée du milieu, il leva son arme et envoya celle-ci comme un javelot aux pieds des Shinigamis qui s'étaient amassés pour observer la petite démonstration qui allait suivre. La lame s'enfonça dans le sol comme si ce n'était que de la terre, laissant enfin le Kenpachi libre de ses mouvements.

- J'sais pas si je dois appeler ça du courage ou de la folie. Mais j'aime ça. Prépare-toi, mon pote. Car tu vas comprendre pourquoi je porte ce titre.

D'un bond, il se jeta du toit pour atterrir quelques mètres plus bas, fissurant les dalles sur lesquelles il avait atterrit. Sabre en main, il effectuait déjà de petits moulinets de la main afin de s'échauffer un peu. Avant de littéralement se jeter en avant, poussant un cri d'allégresse. Shinjirô adorait les défis. Plus que tout, il aimait avoir face à lui des adversaires de valeur. Et qui d'autre qu'un Capitaine pour tenir plus longtemps que cinq minutes face à lui ? De toute évidence, l'autre l'attendait de pied ferme. Et cette petite joute allait être drôle. La méthode de Shinjirô était simple. Dans l'âme, il restait ce boxeur qui avait tant combattu dans le Rukongai. Ses premières attaques avaient toujours été là pour tester la défense ennemie et sa manière de bouger. De ces observations, il tirait alors la meilleure façon d'approcher pour finalement mettre K.O ceux qu'il cognait. En devenant Shinigami et en améliorant sa maîtrise du Zanjutsu, il avait gardé cette façon de procéder.

Sabre dans la main droite, il frappa à trois reprises vers son adversaire. Visant trois zones différentes. Tête, côte, genou. Selon la garde de son adversaire, il saurait où enchainer par la suite. Mais la position du colosse n'était pas anodine pour autant. Corps légèrement en biais, il offrait ainsi moins de surface à son vis-à-vis pour l'atteindre. Si sa musculature et sa taille étaient de précieux avantages dans un combat au sabre, il n'en restait pas moins facile à toucher à cause de cette dite taille. Cette position - toujours comparable à celle qu'il avait lorsqu'il boxait - lui donnait alors l'immense avantage de pouvoir se mouvoir aisément. Contre-attaquer devenait plus facile, bien que généralement, il n'en avait pas vraiment besoin. Et alors qu'il donnait son troisième coup, il fit pivoter légèrement son corps pour donner plus de vitesse à ce dernier mouvement. Le sabre en bois siffla dans l'air alors qu'il décidait au dernier moment de changer de point d'impact, visant la main qui portait le sabre plutôt que le bas du corps. Une feinte facile à percevoir pour un Capitaine, sans le moindre doute, mais qui aurait le mérite de montrer qu'il ne fonçait pas tête baissée.

- Montre-moi de quoi tu es capable !

- J'espère bien, Tōjō ! Allez, viens maintenant !

Il venait de rugir pour inciter son vis-à-vis à réagir. Le désarmer était une chose mais ce n'était pas suffisant pour contrer véritablement un Capitaine. Encore moins lorsque ce Capitaine avait un temps fait partie de l'illustre division du combat. Contrairement à ce que pouvait penser la masse, la Onzième n'était pas qu'un groupement de brutes assoiffées de sangs. La formation militaire et l'enseignement aux arts des différentes façons de combattre faisaient d'eux la meilleure unité militaire sur le terrain. Une fierté pour n'importe quel Kenpachi, notamment pour le Treizième qu'il était. Mais déjà le combat reprenait. Le coup dans le vide générait une lame de vent, fonçant sur la position du colosse qui ne parvenait pas à réprimer cet immense sourire. Duel intéressant au possible. Lui-même effectuait déjà la même manipulation, essayant littéralement de fendre l'air devant lui juste au moment où l'attaque du Himesaki.

Le résultat ne fut pas décevant. L'impact fut tel qu'un bruit sourd se fit entendre tandis qu'une quantité non négligeable de poussières et autres s'élevaient dans les airs, obstruant temporairement la vue du Kenpachi. Ce dernier n'avait visiblement pas pensé se faire surprendre ainsi. Mais ce n'était rien. Attentif à ce qui se passait autour, il attendait la réplique de son homologue qui n'hésiterait sans doute pas à profiter de l'occasion. Pourtant, quelque chose perturbait les sens du géant. La foule qui s'était amassée aux alentours beuglait à tue-tête, étouffant de fait le bruit des pas de Tōjō. Un bruissement d'air à proximité le fit se retourner immédiatement, toutefois, abaissant dans le même temps son arme comme par réflexe. Le choc fut immédiat et l'ombre passa à proximité. Le genou de Kiryû se pliait sous l'impact qu'il n'avait pu éviter, grimaçant. La frappe n'avait pas été anodine et il avait visé avec justesse. Mais ce n'était pas terminé.

Car déjà l'autre repartait à l'attaque, tandis que la visibilité commençait à revenir. Sauf que cette fois, Shinjirô parvint à lire le mouvement, bien qu'il puisse paraître difficile de parer le coup à l'aide de son propre sabre, tant la vitesse d'exécution était parfaite. Il optait donc pour une esquive en effectuant un simple pas de côté, à la manière des boxeurs qui agissaient ainsi avant de repartir de l'avant pour des enchaînements redoutables. Le sabre l'effleurait sans l'atteindre. Mais son adversaire était leste et déjà il se mettait hors de portée de la réplique de Shinjirô. Le prochain coup - car il était évident qu'il s'était calqué sur ses propres mouvements - serait déterminant. Pour l'un comme pour l'autre. Par réflexe, le Kenpachi raffermissait déjà la pression de sa main sur le manche en bois de son arme du moment, posant sa seconde main par-dessus la première pour accroître la puissance qu'il porterait lors du prochain coup.

La poussière disparut enfin. Et les deux hommes purent de nouveau se voir. La douleur qui lui engourdissait toute la jambe gauche était dérangeante mais n'empêcherait pas au colosse de réagir. S'élançant vers lui en utilisant les airs, Tōjō préparait une offensive d'envergure. Une erreur selon le Kenpachi, puisque dans les airs il était plus difficile de se mouvoir et d'anticiper les réactions d'un ennemi. S'écarter pour contre-attaquer était la solution idéale. Mais ce ne fut pas le choix de l'Argenté. Poussant puissamment sur ses jambes, il se ruait lui aussi vers son adversaire, et portait un coup au moment où l'autre effectuait lui aussi son attaque. Le choc entre les deux lames fut effroyable. Des vibrations parcoururent les bras de Shinjirô alors qu'il poussait plus en avant son mouvement. Un craquement se fit entendre alors que les deux hommes retombaient pieds au sol. Posant son regard sur son arme puis sur celle qui se trouvait dans la main de Tōjō, Shinjirô éclata de rire. Les deux sabres avaient littéralement explosés sous l'impulsion conjointe, volant donc en morceaux.

- Pas commun ! T'y as pas été de mains mortes l'ami.

Inutile d'en dire plus. Shinjirô appréciait ce genre d'échange et les deux hommes n'avaient pas démérité. Le silence s'était imposé de lui-même dans la foule. Estomaquée. Puis vint enfin la clameur des hommes, les applaudissements et les commentaires des uns et des autres. L'amusement et le spectacle avaient atteint des sommets.