Cette bataille venait de marquer un tournant dans leur existence et pourtant, c’est le pied leste et la démarche assurée que la meute s’invita de nouveau sous le ciel inchangé du Monde Creux. Betty fut la première à sillonner entre les dunes, à la recherche d’éléments hostiles susceptibles de camoufler leur présence en vue d’une embuscade. Car depuis sa défection au sein des armées du Roi Guignol la Principessa savait sa tête mise à prix, pour preuve la récente entrevue avec feu l’Ezeckiel. Nul doute alors que la nouvelle de sa malheureuse disparition ait quelque peu aggravé la situation, et pourquoi pas attisé la fougue de misérables chasseurs de primes. Pour autant Daestra ne vint fouler le sable la peur au ventre et les sens aux aguets. Ses filles ne manqueraient pas de l’avertir en cas de danger, quand bien même celles-ci s’affairaient pour l’heure à une toute autre tâche. Car après avoir eu la gentillesse d’achever un autre Lieutenant du Rey une fois le festin gratuit arrivé à son terme la renégate s’était offert le luxe de rapatrier le cadavre jusqu’aux portes de la grande Forteresse d’Ivoire. La besogne, indigne de son rang, la poussa donc à déléguer. Pour le plus grand bonheur de Stup notamment, qui pour une fois ne se voyait pas sermonnée par ses penchants lubriques sur un corps inerte de surcroît.

Ainsi se prolongea l’ivresse d’une victoire en demi-teinte, le débriefing d’une escarmouche improbable et surtout inespérée compte tenu de l’origine de sa venue sur Terre. Outre le fait de subir une énième fois la folie de son amant cela lui avait été grandement profitable puisqu’elle avait eu l’occasion de retrouver une vieille connaissance et cible du Rey : Fou-Lu, ainsi que deux autres ennemis potentiels dont un désormais sur les épaules de sa meute. Laquelle venait de parcourir, après une éternité, suffisamment de chemin pour enfin percevoir les premières formes de Las Noches. C’est alors que la matriarche daigna seulement se tourner vers ses disciples, afin de leur rappeler quelques règles fondamentales.

- Avant de passer au sprint, rappelez-vous que nous ne sommes pas les bienvenues par ici. Je ne veux voir aucune bravoure inconsciente, aucun accès de folie injustifiée. Il est simplement question de faire passer un message. La cavalerie sentira notre présence bien assez tôt, inutile de sonner le clairon.

Toutes approuvèrent silencieusement, et le convoi reprit son cheminement à une vitesse nettement plus soutenue. Malheureusement, et comme souvent lorsqu’elle échafaudait des plans avec minutie, l’engrenage de ses plans trouva un grain de sable. Et non des moindres, car il portait une marque odorante ô combien familière et néanmoins indésirable : celle d’Aleksi. Quant à savoir s’il était arrivé avant ou s’il les talonnait, Daestra ne tarderait pas à le savoir. Il ne faisait aucun doute quant aux raisons de sa présence ici.

Et cette présence, empreinte d’une lubricité sans bornes, ne brandissait aucun autre étendard que celui espéré : l’appel des hormones. A peine Stup eut-elle déposé son chargement à la manière d’un vulgaire sac de patates qu’une ombre lui bondit dessus et la cloua au sol dans un nuage de poussière et de sable. S’en suivit alors l’éternelle chevauchée, spectacle aussi amusant que méprisable se déroulant sous des yeux tantôt timides et interdits, tantôt envieux. Quant à la Principessa, on ne put guère deviner son ressenti tant ses orbites se creusaient sous le faible éclat de la lune immobile. Seul, l’écho de sa voix cristalline et froide se jucha au-dessus du tumulte animal. Un ton ferme et protocolaire malgré leur liaison supposée, presque sincère.

- J’aurais dû m’en douter… Et si le limier que tu es se tient face à moi, cela veut donc dire que les ennuis ne vont pas tarder eux aussi à se faire entendre…

Sa position de renégate n’aidait pas, il est vrai. Se risquer à une telle approche, se tenir à deux pas de la gigantesque arche fortifiée, siège des forces armées du Hueco Mundo mettait leur vie en péril. Pour autant son esprit ne laissa transparaître le plus petit fragment de peur. Tout au long de sa non existence Daestra l’hybride s’était frottée à la mort, jusqu’à en imprégner son cœur et en user à ses propres fins. Si elle ne s’était toutefois pas protégée ici de son habituel couvert, préférant annoncer sa venue à des kilomètres c’était, comme précisé plus tôt dans le but de transmettre un message. Lequel risquerait malheureusement de se voir déformé par l’infâme créature encore affairée au-devant, et qui en la voyant plongea aussitôt son visage de bel éphèbe albinos sous l’épais manteau granuleux. Ce qui ne manqua pas de l’amuser, vu sa nature.

- Tu me manqueras, idiot…

Il en aura fallu, du temps, avant que le morpion avide de luxure ne se transforme en compagnon de fortune et, des lustres plus tard, en amant officieux. Elle ne s’en était pourtant jamais cachée, mais s’amusait plutôt à jouer avec la folie de cet homme rongé par le besoin. Elle avait pu déceler en lui quelque chose d’impossible, d’improbable, et s’y était attachée après une longue phase de doute. Des sentiments, à l’égard d’un être aussi mauvais… Cela ne pouvait décemment être envisageable… Et pourtant. Au-delà de la simple attraction qui unit deux monstres de sexe opposé se cache en de rares occasions une lueur primitive, l’espoir d’une utopie crevant les ténèbres du vice. Les étoiles du Monde Creux.

Mais au lieu de célébrer cet instant, de profiter une dernière fois de sa présence et de laisser parler les vestiges d’une passion animée la silhouette diaphane de la Matriarche se dressa machinalement entre le cadavre qu’elle pointa alors du doigt, et l’autruche piteuse lui servant autrefois de repère émotionnel. Avant de s’adresser à lui d’un ton impérieux, presque menaçant.

- Tu n’es pas sans savoir que cette cité toute entière me désire, mais pas pour les mêmes raisons que toi, cela va sans dire. J’apporte donc aujourd’hui de quoi refroidir leurs ardeurs à tous. Cette chose, comme tu le sais probablement Aleksi, était un des plus proches partisans, un des plus puissants officiers de ce misérable Roi Guignol. Il est grand temps que Grimmjow comprenne. Pour ce faire, je vais avoir besoin… De toi. Une dernière fois.