Je fixai avec horreur et stupéfaction la feuille de papier posée devant moi, sur laquelle s’imbibaient de grosses flaques noirâtres, pareilles aux chiures d’un oiseau particulièrement malade. La surprise laissa rapidement place à la fureur, et le pinceau abracadabrantesque que je tenais se retrouva réduit en éclats de bois torturé sous la pression de mon poing courroucé. D’un geste hargneux, je lâchai les copeaux sur la table basse où jonchait ce qui aurait pu être un chef d’œuvre graphique, si et seulement si, ce bidule poilu ne s’était mis à suinter un trop plein d’encre au moment le plus inopportun.
L’archaïsme des Dieux de la mort me consternait véritablement. Plutôt que d’utiliser des stylos, ces ploucs se restreignaient à user de pinceaux. De pinceaux ! Avec son petit pot d’encre à coté, comme pouvaient le faire les sociétés humaines d’il y avait cinq siècles. Et cette histoire-là n’était qu’un détail parmi un tableau plus affolant. Chacun s’affabulait de kimonos ringards, les constructions étaient en bois, on buvait du thé matin et soir, on dormait sur le sol, et on mangeait encore avec des baquettes alors que la fourchette avait été inventée mille ans auparavant. Au vu d’un tel mode de vie, je ne trouvai pas tellement étonnant que ces macaques fussent aussi pétris de préjugés, et inertes, et incapables de dépasser leur mentalité se bornant à une féodalité arriérée. Blasé, je me relevai, les genoux engourdis, et marmonnai de vagues insultes vis-à-vis du débile qui avait jugé bon de privilégier la position accroupie pour écrire, au détriment d’un bon fauteuil. Les doigts plein d’encre, je me rendis auprès d’un seau d’eau dans lequel je me rinçai.
Un seau. Non mais vraiment…

J’engloutis à grandes enjambées la distance me séparant de la porte, je renfilais mes chaussures, puisque la coutume m’obligeait à les ôter en intérieur, et j’ouvris le battant avec fracas. Sur le seuil, deux Shinigamis m’accueillirent. Ceux-ci, un homme gringalet et une femme à l’allure triste, avaient pour but de satisfaire mes diverses demandes si elles n’étaient pas jugées trop excentriques, et surtout, devaient surveiller tous mes faits et gestes.

« Mes chers petits amis !, déclarai-je radieux, quelle surprise de vous voir ici ! Je suis bien aise de savoir que de si vaillantes sentinelles veillent sur mon sommeil et ma sécurité.

Ils me dévisagèrent, impassibles, à présent habitués à mes bousculades. Je regrettais ces premières fois où tous deux affichaient des mines éberluées et idiotes.

- Il est temps de sortir promener le Hollow, en cette heure. Je m’ennuie et je souhaite prendre un peu l’air. Allons-y, hardis compagnons, j’ai aperçu un petit coin de verdure la dernière fois qui m’a paru des plus plaisants.

Ainsi ma volonté fut faite, et c’est sur une herbe onctueuse que j’étendis un grand drap blanc où je pus m’allonger gracieusement. Je croisais les mains sous ma tête pour m’abandonner à l’horizon d’azur au-dessus de ma tête. Le ciel bleu possédait une pureté stupéfiante, et m’alanguir ainsi, au milieu des bruissements de feuilles et du souffle doux du vent, me faisait éprouver un curieux sentiment de mélancolie et d’envie. Si le Monde Creux n’avait pas été creux, ma race aurait évolué vers autre chose qu'une infinie sauvagerie, j’en étais certain. Je lançai un coup d’œil à mes accompagnateurs à quelques mètres de là ; toujours debout sur leurs deux pieds, la mine ennuyé qu’ils affichaient de temps à autre m’amusa beaucoup.

- Pour un peu, je vous prendrais pour des arbustes, mes bons amis. Allons, je n’en ai que pour quelques heures de paresse.

Je souris en les entendant pousser des soupirs plaintifs, et je repris ma contemplation de meilleur humeur qu'auparavant.

▬ Alors, tu te couches ?

▬ Non, mais je suis.

▬ Et toi Sada ? Ou devrais-je plutôt dire « Vice Capitaine Tokishi » ?

Redressant mon regard impassible sur la frimousse du bonhomme installé en face de moi, de l'autre côté de la table circulaire. Une mèche de cheveux s'était posé pile sur mon oeil droit mais cela ne m'empêchait pas de détailler les expressions qu'affichaient les autres joueurs. Certains tapotaient du doigt le bout de la table, tenant leurs cartes de l'autre main. D'autres restaient concentrés sur le nombre de pièces et de bourses placées entre nous tous, se frottant légèrement les doigts en pensant à la sensation de tenir tout cet argent entre les mains. Quant à moi, je fixais celui qui usait d'un ton ironique à mon encontre, me désignant par mon rang plutôt que par mon prénom. Il devait voir cela comme un jeu, un moyen de s'amuser durant ces parties de poker entre nous, après tout si on arrive à gagner de la confiance pendant le jeu on arrive à contrôler ses humeurs, ses réactions et donc on peut bluffer. Pour ma part j'évitais de sourire où de regarder trop longtemps mes adversaires, ne cherchant pas loin et faisant juste en sorte de gagner au final. C'est en saisissant pas mal de pièces sous mes doigts que je laissais la partie reprendre son cours.

▬ Je relance.

▬ Raaah bon sang je me couche !

▬ Pareil !

Il ne restait plus que moi et le bavard, ce dernier suivant ma mise. Enfin nous allions pouvoir dévoiler nos cartes et en finir. Plein de confiance, mon adversaire dévoilait ses cartes rapidement en lâchant un cri de victoire, montrant qu'il avait de son côté un brelan de dame et une paire de valet. Un sourire apparaissait sur mes lèvres alors que mon regard, impassible jusqu'alors, devienne aussi ironique que ne l'était la personne en face de moi, le sentiment de dominer m'envahissant alors que je révélais une par une mes paires. Brelan d'As et paire de roi, il était fini. Triomphant, je faisais main basse sur mon du et remplissait une à une les bourses collectées, avant de les mettre en poche. Pas de chance pour ces vieux bougres de la 3ème, c'est pas parce que je change de division que ma technique s'use, loin de là. Sifflotant en sortant des locaux de la division, j'arpentais les rues du Seireitei en quête d'activité. Récemment le capitaine de ma division fut l'un des principaux acteurs aillant accueillis les arrancars du Hueco Mundo à leur arrivée. De cette rencontre fut formée une alliance, à ce qu'on m'en dit. A cette nouvelle, je ne pouvais imaginer la mine que j'affichais, si j'avais reçu cette information comme une sombre nouvelle ou si j'étais simplement surpris de la tournure de la situation. Probablement des deux.

En attendant, un émissaire de Las Noches réside désormais dans notre camp, même s'il est sous surveillance, j'imagine que cela ne l'empêche pas de se balader, après tout c'est ce que j'aurais fait si moi on m'avait envoyé dans le camp ennemi. Est-ce de l'insouciance ou du courage ? Je suis connu pour les deux, donc on va dire un peu des deux. Arrivant dans un coin où l'herbe fraîche poussée, délaissant les murs si droits et carrés pour laisser un côté plus naturel à ces quartiers, je remarquais une personne à l'apparence humaine couchée sur un drap, accompagné de deux shinigamis. Son identité ne fut pas un mystère, rien qu'à sa tenue je pouvais facilement imaginer qu'il était la star des derniers jours. N'empêche, je ne pouvais pas m'empêcher d'apprécier sa tenue, un costume couleur d'ébène, ressemblant presque à de la haute-couture. Les habits de ce genre restaient un manque qui creusait de plus en plus dans mon cœur, j'aimerais tellement pouvoir en remettre un, un jour sûrement.

Mais oublions ces états d'âmes égoïstes et approchons de notre invité, allons à sa rencontre ! J'approchais d'un pas léger et tranquille, avant de me tenir sur le côté sans poser un pied sur son drap.

▬ Hé bien, je n’imaginai par les Hollows adhérer à une telle activité. Vous devez vraiment vous ennuyer dans le coin.

Normal en même temps, il n'était pas chez lui.

Citation :

Vraiment désolé pour la piètre qualité de ce post, je me rattraperai aux prochains, promis !

« Et de quelle activité parlez-vous, mon bon ?, dis-je à l’individu hors de mon champ de vision.

Je l’avais entendu venir, ses pas légers bruissant dans l’herbe, sans toutefois lever les yeux, un peu par paresse, un peu par dédain. Si je m’étais prêté au jeu de m’exposer ainsi, à flâner au milieu de la verdure, cela était pour me rendre visible auprès de la plèbe Shinigami, mais sans pour autant devoir endurer les babillages du trop curieux qui passait par là. Les yeux résolument tournés vers le ciel, je n’accordai pas un regard au clampin.

« Désignez-vous le fait de profiter des petits plaisirs ? Nous faisons ça très bien, ma foi. Courir dans les dunes, nous rouler dans le sable, forniquer joyeusement, puis nous manger, pour mieux tout recommencer ensuite.

Finalement, à rester là sans voir à qui je m’adressais, je me mis à trouver cette position gênante, en plus de me placer en inférieur. D’un bond leste, je me remis sur mes pieds, contrarié de n’avoir pu profiter plus longtemps d’un instant de tranquillité. Ceci étant dit, je n’étais nullement surpris d’être abordé, je possédais quelque chose de véritablement magnétique. J'aurais simplement souhaité qu'il fût un peu moins efficace en cet instant.
Mon interlocuteur était un garçonnet – le terme « homme » était peu approprié vu ses allures adolescentes – portant ce brassard le désignant comme gradé. S’il ne m’était pas permis de savoir à quel régiment il appartenait, je pus déduire malgré tout de son importance au sein de l’organisation des dieux de la mort, aussi relative fût-elle.
Si un fin sourire se dessinait sur mes lèvres, mes yeux eux ne riaient pas :

- Sont-ce de vos présupposés que vous souhaitez me faire part ? Vous trouverez un auditoire plus attentif du coté de ces deux buissons, là-bas, je désignai mes deux surveillants, je suis sûr qu’ils se feront un plaisir de vous conforter dans vos opinions.

Du bout des doigts, je chassai les quelques épis d’herbe s’étant accrochés à mon vêtement.

- Je ne m’ennuie pas, bien au contraire, je profite des quelques richesses que votre monde a à m’offrir. Je me suis lassé des cailloux et du sable du mien. Vos jardins sont réjouissants en ce sens.

Je le jaugeai de bas en haut sans dévoiler l’opinion que je construisais peu à peu sur lui.

- Je ne crois pas que vous m’ayez dit votre nom. Vous êtes… ? »

Ne posant pas mes pieds sur ce drap blanc, contrastant avec cet émissaire vêtu de noir, j'observais ce dernier en étant forcé de baisser mon regard pour l'avoir au centre de mon champ de vision. Les mots sortirent tous seuls de ma bouche, ne cherchant pas plus loin qu'à faire une simple remarque. Pour l'occasion, je n'avais aucun intérêt à envoyer le moindre pic susceptible de le provoquer, je ne savais même pas comment il pourrait réagir. Il est vrai que provoquer en attendant l'effet que cela pourrait avoir était plus qu'intéressant, c'est comme à l'approche d'un anniversaire. On prévient tous nos proches que notre fête aura lieu bientôt, puis on se retient de jubiler jusqu'au moment où l'on reçoit nos cadeaux. Pour ma part, les cadeaux pouvaient être associés à la réaction bien nerveuse et outrée de mes interlocuteurs. Bien que pour le coup, j'avais déjà été gâté de ce côté-là lors de cette partie de poker, donc il ne m'est pas vraiment nécessaire de m'amuser avec les nerfs d'un émissaire venant tout droit de la base ennemie. Ma présence semble être bien suffisante dans le cas présent, mon interlocuteur ne m'adressant même pas le moindre regard. J'écoutais avec attention ce petit cycle que s'imposait les hollows vivant au sein du Hueco Mundo, le monde des dunes blanches.

Pour le coup, croire de telles activités pour une espèce aussi belliqueuse que la sienne ne semble pas impensable, c'était même très plausible. Après tout, pourquoi pas ? S'ils ne faisaient que chasser pour trouver leur miette de pain, la vie des mauvais esprits serait franchement ennuyante. Ne répondant pas, je le voyais se relever en balayant les quelques tiges d'herbes vertes s'étant posé sur son costume, portées ensuite par le vent soufflant. Cette fois-ci, nous étions enfin face à face, nos regards se croisant tout comme nos sourires étaient presque similaires. Bien que je n'étais pas le genre à faire passer mon agressivité par le regard, je n'étais pas pour le moins amical, appliquant un regard perçant, presque tranchant. Je le sentais tout de même sur la défensive alors qu'il avançait de nouveaux propos à mon encontre, peut-être pensait-il que j'étais venu le rabaisser ou autre, ne serait-ce que pour afficher un égo démesuré. Derrière mon masque neutre, je cachais un certain amusement afin de ne pas le couper dans sa parole, par politesse peut-être, ou alors parce que j'attendais la fin de son discours pour voir de quel bord il se plaçait. Toutefois, j'eusse porter mes yeux en direction de ces pauvres gardes ayant pour mission d'accompagner cet émissaire arrancar, à l'apparence classe et au lexique riche. Autant rendre à César ce qui est à César.

C'est en recentrant mon attention sur l'homme en face de moi que je le voyais m'interroger, sur mon nom. Par mégarde j'haussais les sourcils de surprise avant de rire légèrement sous son nez, plaçant le revers de ma main sous le mien par réflexe. La seconde du rire passée, je retirais ma main avant de ranger mes avant-bras dans les manches de mon kimono, croisant ainsi les bras en reprenant un regard délicat et au visage neutre.

▬ Pardonnez mon impolitesse, c'est la première fois qu'un ennemi au masque brisé me demande mon nom. Je m'appelle Tokishi Sada, Vice-capitaine de la 7ème Division du Gotei 13.

En général je me présentais à d'autres shinigamis, en laissant de côté le détail affirmant mon appartenance au corps de l'armée.

▬ J'étais curieux de vous rencontrer, mon capitaine m'ayant fait part de son énervement à votre approche il y a de cela quelques jours.

Il est vrai que Heiji fut le pont entre les arrancars et le Gotei 13, ayant dû les accueillir chez nous afin de finalement conclure cette « alliance » entre la Soul Society et Las Noches. Je vois cela plutôt comme un pacte de non-agression mais c'est sûr que sur papier, le mot alliance fait beaucoup plus joli.

▬ Je suis content que nos jardins sachent combler votre vue, bien que je pense que vous serez tout autant gâté par la vue que vous offre les plaines du Rukongai, au-delà de ces murs.

Mon regard se perdait vers cet horizon que je désignais à l'émissaire au masque brisé, mon sourire s'élargissant légèrement alors que la nostalgie me revenait. Visage tourné vers l'au-delà du Seireitei, je tournai l'oeil vers mon interlocuteur.

▬ Ne me voyez pas comme une personne désireuse de vous défier, je laisse ce rôle à mes collègues les plus virulents. Faisons connaissance, vous ne m'avez toujours pas fait part de votre nom, Monsieur... ?

À peine quelques mots échangés, et je sus que cet adolescent me serait à jamais antipathique. Mon opinion forgée sur un individu ne changeait que peu car il m’était assez aisé de cerner la personnalité d’autrui, pour mieux saisir ses besoins, ses désirs, et les exploiter. Le garçon m’apparaissait fait de la plus pure mesquinerie. J’en tins pour preuves ses mimiques maniérées et féminines, son petit rire de mondain qui se croit doté d'esprit, cette suffisance de courtisan, et cet amusement perceptible partout dans sa physionomie. Une garce, ni plus, ni moins.
Cependant, il ne se dirait pas ici ou ailleurs qu’un homme tel que moi abandonnait sa civilité, dusse-t-il être en exécrable compagnie.

« Monseigneur Tibors Tiesce, Lame du Roi du Monde Creux, et actuel représentant de Las Noches, comme vous l’avez très justement déduit.

Je dévoilai mes dents carnassières en un sourire aimable bien que teinté d’une certaine ironie. Le garçon avait soulevé un autre point sur lequel je m’empressai de rebondir :

- Votre capitaine ? Est-ce l’enfant qui nous a accueillit à notre entrée ici ? Entre nous, je crains qu’il pèse à ce petit garçon de ne pas grandir assez vite. Vous lui ferez part de mes salutations les plus chaleureuses. Et si vous parliez de quelqu’un d’autre, cela tient aussi. Qu’importe, finalement. Venez, je veux me promener.

Je quittai l’immaculé du drap pour m’aventurer au milieu de la verdure. Je me mis en marche vers l’une des ruelles pavées, laissant derrière moi mon installation, que ne manqueraient pas de récupérer les deux buissons. Ce qu’ils firent avec tout l’empressement du monde avant de nous emboîter le pas, à distance respectable.

- Vos supérieurs ne m’autorisent pas à quitter votre base. Ils craignent probablement de me voir aller semer mort et destruction parmi vos champs et vos fermes. Comme si une telle chose m’intéressait.

J’étouffai un bâillement pour marquer tout l’intérêt porté à cette activité outrageusement salissante, follement vaine.

- Je n’ai, par bonheur, pas rencontré encore vos collègues les plus zélés. Et c’est tant mieux. J’ai en horreur les chiens enragés. Ceci dit, vous-même avez parlé « d’ennemi » en me qualifiant. Jusqu’à ce que les Maho-Tsukaï soient vaincus, ou que vous nous trahissiez, les Arrancars ne sont pas vos ennemis. Je ne peux pas en dire autant des Hollows primitifs, ils sont très enthousiastes à l’idée de grandir, et d’autant plus à nuire à ceux qui leur empêchent de s’accomplir.

Je coulai un regard entendu à ce Tokishi Sada.

- Dire qu’il pourrait y avoir depuis longtemps une entente entre nos deux peuples, si seulement le vôtre ne s’ingérait pas dans des affaires qui ne le concernent en rien. »

Tibors Tiesce... Ainsi se nommait la bête en face de moi. Oh, je n'avançais pas une image surfaite de mon interlocuteur, puisque je savais depuis le début que ce n'est pas son apparence humaine, certes bien classe avec cet accoutrement, qui allait me voiler mon opinion que je me forgerai petit à petit. Durant plus d'un siècle j'ai appris sur les Hollows et les Arrancars, des êtres qui ne désirent qu'une chose : grandir, se renforcer, évoluer. Ils sont tout ce qu'il y a de plus sauvage des trois mondes, l'incarnation de l'égoïsme pur. Ce n'est pas parce qu'ils sont un semblant d'organisation basée sur une monarchie absolue - même si cela s'approche plus du Royalisme à vrai dire - qu'ils quitteront si facilement de leur nature primitive et simpliste. On pourra toujours chercher à complexer sur les désirs d'un animal, la seule chose qu'il souhaitera réellement c'est de survivre, tout bêtement. De ce fait, j'évitais de me construire un avis différent de celui-là sur Tibors tant que ce dernier ne m'aura pas imposé un argument digne d'intérêt, de mon intérêt.

Oh, le voilà prononcer le mot « enfant » suite à mes dires vis-à-vis de mon capitaine. Il avait vite compris de qui je voulais parler, tant mieux au moins il n'y aura pas de quiproquo possible à ce sujet, même si l'Arrancar n'hésitait pas à émettre le doute, au cas où. En tout cas sa remarque sur le fait que Heiji manquait d'une croissance digne de ce nom me fit bien rire, intérieurement bien entendu. Je ne pouvais que penser au fait que l'émissaire masqué n'ait mal pris mon rire précipité d'il y a quelques minutes à peine. Bref, je le suivais au moment où il engageait une ballade au milieu des herbes fines et fraîches. Suivant d'un même pied d'égalité Tibors, je ne manquais pas de regarder à droite et à gauche afin de profiter de cette verdure si apaisante. On pouvait facilement dire que l'herbe me détendait, afin qu'on me prenne pour un drogué, mais bon je suis drogué à la nature depuis des dizaines d'années, j'ai bien le droit d'en profiter à chaque instant.... Même si mon oreille sifflait légèrement au son de la voix de mon camarade de marche, affirmant son point de vue sur les raisons de son isolement entre les murs du Seireitei. En tout cas, son bâillement fut l'argument montrant que l'idée de détruire nos champs le désintéressait complètement.

J'écoutais sans dire un seul mot, préférant ne pas commencer à poser un pied sur une mine susceptible de fermer définitivement la discussion entre lui et moi, puisque je suis là - et que lui aussi est là - autant en savoir le plus possible sur ce fameux Tibors. Son avis sur les nouveaux Hollows confirmait mon point de vue vis-à-vis de cette espèce égoïste au désir de grandir, bien qu'il précisait à son tour que les Arrancars n'étaient pas les ennemis du Gotei 13, ce que je doutais fortement... Supportant son regard tendu vers moi, je ne faisais que répondre par un regard aussi détendu que le sien, mon sourire amusé étant toujours sur le coin de mes lèvres.

▬ Y êtes-vous vraiment ? Je sais que vous n'êtes pas stupides, « Monseigneur ». Il est vrai que notre peuple a peur de ce qui peut les tuer, c'est-à-dire des Hollows, néanmoins la raison pour laquelle vous êtes cloîtrés ici, c'est pour que justement on ne vous retrouve pas mort de l'autre côté de ces murs.

Je décroisais mes bras à l'intérieur des manches de mon kimono afin de me caresser le menton, avançant un peu plus en avant, tournant volontairement le dos à Tibors en regardant en direction des murs encerclant le Seireitei.

▬ Vous n'êtes pas sans savoir qu'ici, toutes nos lames sont pointées vers vous. Je pense que vous vous doutez également que pour beaucoup, cette « alliance » peut être mal vue étant donné que nous collaborons avec des êtres pour qui nous passons la totalité de notre existence à tuer, afin de purifier vos âmes...

Je pris une petite pause avant de tourner la tête vers l'émissaire au trou béant.

▬ Je ne vais pas vous lister le pourquoi du comment les Shinigamis souhaitent votre mort, vous êtes suffisamment intelligents et développés pour le deviner... Mais serez-vous en mesure de nous comprendre ? Si les Arrancars ne sont pas nos ennemis, alors ils ne sont pas non plus nos alliés, puisque apparemment, nous les Shinigamis, avons la fâcheuse manie de nous « ingérer dans ce qui ne nous concernent en rien ».

Le bougre m’asséna ses quelques évidences toutes faites, fier de ses déductions, fier de son esprit d’analyse. Ses mots sonnaient creux : ils n’étaient pas issus d’une quelconque intelligence, de l’habitude certainement, du lavement de cerveau aussi. Je le regardai d’un air désolé, le laissant conclure sur sa brillante conclusion pétrie de préjugés.

« Oui, je sais tout ça. Qu’aucun de vous n’aurait de scrupule à me tuer dans mon sommeil – fort heureusement pour moi, je dors peu – et que cette alliance doit paraître aberrante pour les héros que vous êtes. Que c’est binaire… »

Je fis craquer mes doigts un à un, en désarticulant même certains, afin d’évacuer la tension qui lentement s’insinuait dans mon corps.

« Les mots que vous utilisez sont réellement révélateurs. Vous devriez apprendre à mieux déguiser votre pensée. Purifier nos âmes ? Hé, quoi, par quelle logique absurde serions-nous moins purs que vous l’êtes ? C’est ce qu’on vous apprend ? Que nous sommes des créatures souillées, maléfiques, qui ne prennent plaisir qu’à la violence ? Ah, je commence à comprendre par quelle astuce on vous permet de justifier vos massacres. Vous vous pensez des saints, ou peu s’en faut. »

Je ne me souciais pas d’être entendu par ceux que nous croisions. Tant mieux, même, s’ils écoutaient. Avec un peu de chance, ils y gagneraient un peu de plomb dans la cervelle.

« Nous avons nos brutalités et nos appétits, c’est un fait. Mais j’ai vu ce qu’il y avait hors d’ici, vos taudis, vos chaumières, où s’entassent les âmes. Si vous ne dévorez pas vos semblables, vous ne leur accordez pas un sort plus enviable. Vaut-il mieux une mise à mort violente mais brève, ou une éternité de pauvreté ? De grâce, ne me traitez d’animal. Vous autres savez faire preuve de bien plus de cruauté. »

▬ Vous m'envoyez désolé pour ces nuits sans repos Monseigneur Tibors.

J'avais répondu à la seconde où il précisait son manque de sommeil au sein de nos murs, tout en ajoutant qu'il comprenait ma vision sur l'image actuelle de ce pacte de non-agression. Sourire fin aux lèvres, je ne lâchais pas du regard la personne face à moi, qui commençait à dégager quelques signes de stress par le biais de ses doigts, que j'entendais légèrement craquer d'ici. Si j'étais un clown, le sourire de Fou que j'aurais pu aborder aurait été... Naturel. Mais j'évitais d'exhiber cette petite joie de voir notre très cher hôte adhérer de moins en moins à ma présence, aussi pénible soit-elle. Enfin, c'est ce que j'en déduisais, après ce que je pense ne regarde que moi. Je fis mine de rester indifférent à sa réaction, pour le moment, ne changeant pas mon expression souriante et attentionnée que j'appliquais à l'égard de ce Tibors. C'est alors qu'il reprit la parole suite à mes mots, faisant suite à ce dont je parlais précédemment, à propos des relations shinigamis/hollows. J'étais intrigué par ce qu'il avançait, à propos de mes sois-disant mots « révélateurs ». Pense-t-il sérieusement que j'étais aussi lisible qu'un livre ouvert, ou alors s'est-il heurté à une couverture trop épaisse qu'il aurait confondu avec une page qu'il espérait pouvoir utiliser contre moi ? Je réfléchissais encore à cela jusqu'à ce qu'il reprenait ce terme : purifier les âmes. Pour être franc, je ne pensais pas qu'il serait aussi remonté face à cela, je devais vraiment m'être posé sur une corde sensible, à son goût. J'ai probablement mal misé en usant de cette approche pour amener ce sujet, il est vrai que pas mal de personnes croient au fait que nous rendons service à un être supérieur en éliminant la « crasse » - ainsi sont nommés les hollows par ce genre de personne - de l'existence des trois mondes.

J'avoue ne pas croire à ce genre de délire, et cela m'attristait de voir l'intelligent arrancar face à moi si offusqué par mes mots. Cependant, je ne disais, préférant entendre ce qu'il avait à dire ce sujet, après tout ce sont des aveux gratuits, je n'allais pas le couper pour manquer quoique ce soit de sa vision sur le monde qui nous entoure tous. Caressant le bout de mon menton, mon sourire se faisant remplacer par un visage plus neutre, presque indifférent, bien que seul mon regard montrait l'intérêt que je portais à cette conversation, ou à ce débat, chacun sa façon de voir.

▬ Je ne pensais pas engager un tel conflit avec simplement trois mots. Voyez-vous, j'espérais aborder ce sujet en employant ces termes car j'étais sûr qu'ils vous feraient réagir. Entre nous deux, je n'ai que cure de la religion, de la pureté ou de l'impie. Donc à savoir si certains d'entre nous pensent ainsi pour prendre les armes, que cela les regardent. Après tout, il n'est pas anormal que dans une société - même composée d'arrancars - il y ait diverses raisons à chacun qui poussent au combat.

Cessant de toucher mon menton, je remettais mes mains à l'intérieur de mes manches, croissant ainsi les bras, le sourire me revenant rapidement sur le bout des lèvres, bien qu'intérieurement il ne m'ait jamais quitté, loin s'en faut.

▬ Vous dîtes avoir vu ce qu'il y avait en-dehors de ces murs, n'est-ce pas ? Même si vous pensez que leur sort peut être misérable, voir même pitoyable, je pense que vous vous trompez. Je ne vais pas commencer à expliquer ce que vous ne pourriez comprendre, comme par exemple : « j'ai vécu longtemps parmi eux, je sais comment cela se passe etc... ». Pourtant ce sont ces taudis, ces petites chahutes et ces familles que je protège de tout mon être des animaux tels que vous.

Je pris rapidement un sourire moqueur, accompagné d'un regard insistant, avant de reprendre :

▬ Donc, quand on me dit que bien que vous ayez vos appétits et vos brutalités, que vous préférez massacrer les vôtres etc, et que pourtant vous nous considérez comme plus cruels que vous, j'ai bien envie de vous dresser un miroir. Après tout, de nous deux, qui à les mains tâchées de sang pour simplement tuer, et lequel à les mains tâchées de sang pour protéger ? Est-ce que la faim justifie les moyens ?

Quelle question amusante, particulièrement lorsqu'elle est adressée à un hollow.