« Areku Yamaii. Troisième siège de la Troisième Division. »

Je m'inclinais en silence, plus roide qu'un rayon de lune. Comme à leur habitude, les voix venaient d'en-haut, portées par les nues enténébrées dans lesquelles se réfugiaient les membres de la Chambre des Quarante-Six. Quarante conseillers, six juges. Bien souvent on se limitait à la qualité de tribunal de cette assemblée, mais elle était bien plus que cela. Logée dans la Tour de la Sérénité, à l'abri en plein coeur du Seireitei, elle était avant tout la sagesse de la Soul Society. Je savais que nombre de dieux de la mort craignaient ou méprisaient cet organe essentiel du monde des âmes. C'était là une erreur que je ne commettais pas. Le Capitaine-Commandant était mon supérieur militaire, mais la Chambre des Quarante-Six demeurait mon autorité souveraine. Elle représente le pouvoir du roi : cela, trop parmi nous l'ont oublié.

« Je me présente à vous, prête au rapport, ainsi que l'exige la loi. »

« La loi exige que vous présentiez votre rapport à votre Capitaine de Division. »

« Mon Capitaine de Division n'est plus, de même que mon Lieutenant. »

Un silence glacé accueillit ma morne remarque. J'énonçais cela comme si la chose ne m'importait pas, ce qui était le cas. Cela faisait longtemps que je me passais de la bienséance et des codes de politesse.

« Présentez votre rapport. »

Un mince sourire sans joie ourla mes lèvres. Je m'apprêtais à leur léguer une histoire dont j'étais le seul témoin. Nul ne saurait attester de sa véracité. Ces quarante-six hommes allaient être les juges de l'authenticité de mes dires, et de celle-ci dépendait mon sort.

« Le Fukûtaishô Dalen, trente de nos sièges et moi-même avons affronté le Hollow référencé dans les archives sous le matricule 911. Il a fuit dans le Dangaï, et je l'y ai suivi. Mon Vice-Capitaine en a fait de même. L'ennemi a pu être vaincu, mais Dalen en est mort. »

Ma voix était aussi froide que les sanglots d'une étoile. Je venais de résumer le drame de mon existence et l'origine de ma mortification sans sourciller, dévisageant l'obscurité de la chambre. Les évènements que je relatais s'étaient produits il y avait des siècles. Des siècles au cours desquels j'avais disparue. Des siècles au cours desquels j'avais mené ma croisade contre les Hollows, seule, l'âme vide mais le coeur plein de haine.

« Nous nous doutions de cela. La seule surprise est votre survie. Comment se fait-il que vous n'ayez pas reparue plus tôt, troisième siège ? »

« D'autres priorités sont survenues. »

« Telles que ? »

« La traque des Hollows » répondis-je sur un ton laconique.

A la mort de celui que je soupçonnais avoir été un Vasto Lorde, j'étais restée prisonnière des ténèbres de l'inter-monde. A partir de là, je n'avais cessé d'affronter les résidents du Hueco Mundo ; mes incursions avaient été nombreuses et toujours brèves, dans le monde réel, au Yermo... Certains de ceux qui avaient utilisé un Garganta pour assouvir leur faim n'avaient jamais eu le loisir d'en ressortir. Je m'étais faite une gardienne silencieuse de la Soul Society, rongée par le remord, le chagrin et la rancune.
Il m'avait fallu un demi-millénaire pour que la lumière me retrouve.

« Avez-vous été mise au courant des évènements de cette décennie ? »

La question n'en était pas une.

« En effet. »

« Que pouvez-vous nous dire de votre... séjour... dans le Dangaï ? »

Celui qui avait parlé l'avait fait avec une étonnante hésitation. Je fermais les yeux. Même la nuit de la cécité était préférable à celle du passage entre les réalités. Lorsque j'y repensais...

Le noir, l'abominable solitude, le... le néant. Un néant immonde, négation de tout ce que la raison vous avait enseigné. Lorsque vous ne faites que traverser le Dangaï, vous ne vous posez pas ce genre d'interrogations ; mais lorsque vous y... résidez... tout est différent. Il n'existe pas, dans notre vision des choses, de néant. Il existe le noir, il existe le vide, mais pas de néant. Il y a toujours quelque chose au-delà. Ce que j'avais vécu m'avait prouvé que cette vérité-là était un mensonge.

Je redoutais d'apprendre un jour de quoi était fait le Dangaï.

« J'y ai eu le temps de me découvrir et de découvrir mon Zanpakutô. Là, au coeur du néant, j'ai longuement communié avec la Reine des Éclipses pour éviter la folie. En de nombreuses occasions elle a été le seul lien retenant mon devoir à ma conscience. Je n'aurai pas l'audace de vous mentir : le temps a érodé ma volonté, mais mon trancheur d'âme m'a toujours remise sur le droit chemin. Celui du zèle et de l'abnégation. »

« Votre abnégation n'est-elle pas le fruit de la vengeance ? Vous êtes bien plus ancienne qu'il n'y paraît, troisième siège, et nous le savons. Certains des vétérans de la Soul Society vous ont reconnue et connaissaient votre liaison avec le Fukûtaishô Dalen. »

Cette question dissimulait bien des pièges, je le sentais. J'ignorais si je devais me défendre, ou si une quelconque protestation serait mal perçue. Aussi me rabattis-je sur ce que je savais faire le mieux : rester honnête.

« Il y avait de la colère dans mon combat contre les Hollows, et le souvenir de la mort de Dalen l'a intensément nourrie. Toutefois, c'est avant tout pour les vivants que je suis prête à retourner à la bataille. Durant tout ce temps, j'ai soigneusement perfectionné mes techniques, affûté mes compétences. N'allez pas croire que je suis devenue suicidaire, car j'ai ma place au sein d'une Division. Les valeurs de la Soul Society sont toujours les miennes : je n'ai pas oublié l'importance de la coopération et du travail d'équipe. Ces deux éléments réduisent les chances de survie de nos ennemis. C'est là tout ce que je recherche. »

Mes propos résonnaient dans l'immense silence, gavés d'une franchise fracassante. Mon but avoué était la destruction de l'engeance du Yermo : rien de plus. Et surtout rien de moins...
Je pris conscience de la soudaine crispation de mes épaules et de l'éclat mauvais de mon regard. Je me recomposais un masque plus neutre, attendant la suite de l'interrogatoire.

« Maîtrisez-vous le Bankaï, Areku Yamaii ? »

Cette soudaine instigation me pris au dépourvu et je cillais rapidement. Je ne tentais même pas d'évaluer les aboutissants d'une telle demande : c'était là un jeu que je laissais aux maisons nobles et aux politiciens.

« En effet. Une démonstration est-elle nécessaire ? »

« Nous serions curieux, il est vrai, d'apprécier à quel degré vous avez pu l'acquérir en quelques siècles de disparition. Nous comptons sur votre mesure au cas où il s'avèrerait... préjudiciable... pour l'architecture de notre tour bien-aimée. »

J'ignorais s'il s'agissait d'un encouragement ou d'un sarcasme.

« Nulle crainte à avoir. Mon Zanpakutô ne fait pas dans le cataclysme. »

Un unique halo de lumière me nimbait, le reste de la chambre restant plongée dans le noir. Mais bientôt les ténèbres se mirent à faiblir, à pâlir... à fuir. Repoussées par la vague montante de mon Reiatsu luisant, elles refluèrent telle la marée sous l'appel de la lune. Je tirais doucement mon sabre, posant avec délicatesse mon index sur la lame.

« Ban... kaï. »

J'avais murmuré, et au diapason de ma mesure, mon trancheur d'âme se libéra en toute pudeur. Il ondula en silence, gagnant en taille, en largeur et en poids ; s'incurvant au travers de quelques angles cruels, s'équilibrant avec une élégance racée. Une pluie de particules spirituelles aux reflets dorés s'éparpilla dans toute la pièce, malgré ses dimensions écrasantes, nimbant l'endroit d'une lumière liquide. Et l'improbable se produisit.

Le ciel de la Soul Society changea de visage, gouverné par mon injonction. Une lune nouvelle se leva à l'Ouest, ardente, projetant sa clarté d'argent avec la force d'un éclair. Un soleil nouveau émergea à l'Est, sanguinolent, né de l'aurore mais teint ainsi qu'au crépuscule.

« Nisshoku no Kisaki, Reine de l'éclipse solaire. »

L'aube insolite issue du règne partagé des astres jumeaux filtrait par la fenêtre centrale de la Tour, se déversant sur moi. Je me retrouvais cernée par un jour que nul ne reverrait jamais sans mon intervention. Un jour d'éclipse, où le soleil et la lune s'apprêtaient à s'unir.
Quelques secondes s'écoulèrent sans qu'un seul des Quarante-Six ne prononce un mot. Je les laissais goûter au spectacle, les laissant, aussi, imaginer quel pouvoir je pouvais tirer d'une telle manifestation. Si à mon époque mon Shikaï était considéré comme l'un des plus beaux du monde des âmes, je ne doutais pas qu'aujourd'hui, mon Bankaï était également l'un des plus superbes. C'était là ma vanité, mon amour-propre. Inutile mais chatouilleux.
Avec autant de raffinement que je l'avais révélé, je mis fin à la libération de mon Zanpakutô. Les astres s'éteignirent, leur clarté mourût, autorisant les cieux à retrouver leur teinte habituelle. D'un geste souple je rengainais mon arme en même temps que l'obscurité familière des lieux revenait.

« Je pense que nous sommes d'accord pour vous mettre une seconde fois à l'épreuve. La Troisième Division a besoin de son officier, Capitaine Areku. »