Un claquement de doigts vint rompre le silence cafardeux qui avait infecté la citadelle nébuleuse. Une flammèche éphémère s'extirpa et la cigarette s'embrasa, dessinant brièvement les contours de la gueule spleenétique de l'Arrankar. Dans un recoin ténébreux du palais, Nephilim admirait les escarbilles s'échapper de sa clope, s'estompant dans la pénombre éternelle du monde creux. Son habituelle introversion l'avait naturellement écarté des lieux fréquentés du palais, savourant ainsi cette solitude morbide qui lui seyait tant. Celle-ci lui permettait d'ailleurs de méditer, sur tout et rien. Surtout sur rien en fait, ajouta sa conscience, son unique interlocuteur. Des siècles qu'il écumait les mers de quartz du Hueco Mondo, spéculant sur tout ce qui inspirait son cortex. Désormais, il ne trouvait plus de sujets dignes d'animer ses pensées. Existait-il plus dur tourment ? Son corps devenu éternel faisait chaque jour le deuil de son esprit hurlant à l'agonie, incapable de réagir à cette évanescence douloureuse. Son seul salut résidait dans l'allégeance à cette oriflamme implicite brandie par Grimmjow Jaggerjack. Projet bien mélancolique, ruminait l'ancien prêtre en voyant l'éternité s'étendre devant lui.

Perdu dans son for intérieur, le Numéros revint à l'instant présent lorsque sa cibiche se consuma jusqu'à lui en brûler les doigts. Il poussa un juron en jetant le mégot rougeoyant sur les carreaux immaculés de la demeure. N'ayant guère réussi à s'en satisfaire, Nephilim s'en alluma une seconde. Il ferma les yeux, savourant les effluves grisâtres infiltrer ses poumons. Putain, heureusement que je suis déjà mort, pensa-t-il d'un rictus carnassier en voyant sa consommation excessive de nicotine. La provenance de celles-ci était inconnue, l'ancien membre du clergé ne s'étant point rendu dans le monde des humains depuis son décès. Détail certes anodin mais quelqu'un a-t-il déjà croisé un buraliste dans le Yermo ? Son amour pour le monde qu'il avait naguère tenté de rendre « un peu » meilleur n'était aujourd'hui qu'une bribe du passé perdue dans un coin ténébreux de sa mémoire, le monde des Hollows lui suffisait - ou non - désormais pleinement. Bien que cette litanie - intérieur - fugace lui ait octroyé un court instant d'évasion, elle n'effaçait pour autant guère sa lassitude de cette réalité soporifique.

Répandant l'apathie qu'il exhalait au gré de ses pas, Nephilim déambulait dans le palais tout en admirant le firmament obscur se dessiner entre les piliers qui jalonnaient cet étroit corridor. Le perpétuel dédain exhibé par l'ange déchu était la conséquence de sa profonde aversion pour l'entité devenue. Chaque respiration de cette atmosphère viciée était de la cendre dans ses poumons, chaque palabre avec ses congénères était un tourment pour ses tympans, chaque pas dans cette bâtisse méphistophélique était aussi éprouvant que la passion du Christ. Sa seule aspiration était d'éradiquer cet ultime fragment de masque qui altérait son faciès, de ne plus sentir le vent lui traverser la poitrine. Indubitablement, son unique souhait était de rejoindre son Père, tel qu'on le contait naguère lorsqu'on s'interrogeait sur son existence post-mortem. Des chimères à la con, esquissait sa conscience qui l'emporta dans une fièvre colérique. Ses réminiscences exhumées de sa mémoire étaient de véritables fléaux. Nonobstant son épiderme achromique et son impassibilité en toute circonstance, son hémoglobine était en ébullition, son énergie spirituelle parcourait son poing, serré. Ses excès frénétiques et incontrôlables étaient fréquents, ses conflits intérieurs en étaient régulièrement la cause. Habituellement il réduisait les dunes de l'erg immaculé en poussière, là il n'avait que ce mur qui le jouxtait pour étancher cette rage ; auquel il ne laissa évidemment, aucune chance. Paix à son âme.

Le bruit de l'effondrement trancha avec la taciturnité routinière de Las Noches. Nul doute que celui-ci n'était pas passé inaperçu. Nephilim peinait à distinguer la salle victime de ses caprices frénétiques, baignée dans un nuage de poussière. Curieux, celui-ci entra de son éternel pas désinvolte, les mains dans les poches, la cigarette aux lèvres, attendant que les lieux s'éclaircissent. C'est dans un demi-sourire féroce qu'il distingua la salle de réunion des Espadas. Putain j'aurais fait exprès je n'aurais pas réussi, avait-il envie d'ajouter à son ricanement carnassier. Jamais il n'avait eu l'occasion - ni le désir - d'y entrer. C'était une pièce sobre où seul trônait en son centre une table rectangulaire, autour de celle-ci se répartissaient dix chaises. A l'extrémité de la table se dressait un siège plus conséquent. Indubitablement était-ce celui du Roi. Il se dirigea vers ce dernier, le fixant de son regard bestial. Ses iris verts se teintaient désormais d'un rouge écarlate. Chaque pas accentuait un peu plus son aura meurtrière. Il caressa le dossier avant d'y planter lentement ses ongles, le dégradant dans un grincement désagréable. Son énergie s'écoulait librement dans la pièce, explicitant la haine éprouvée envers son souverain. Viendra un jour où se sera ton tour d'y siéger, lui rassurait sa conscience.

Ses égarements dans ses projets ténébreux s'arrêtèrent soudainement. L'ange déchu tourna brusquement la tête en direction du mur, en ruine. A qui appartenait cette silhouette ? Nephilim n'avait senti que tardivement cette énergie étrangère se glisser dans la pièce. Le brouhaha devait être la raison de sa venue, certainement peu amicale. Un sourire exacerbé vint prolonger le fragment opalin de son masque. Il se permit de prendre une dernière bouffée de sa cigarette avant de l'écraser doucement sur le rebord du trône de son Roi. Ses yeux de prédateur contemplaient cet inconnu, traduisant l'impatience de sa réaction face à cette provocation inédite. Le numéros ne dérogeait pas à ses coutumes, hostiles, sanguines. Il expira - en surjouant, bien évidemment - la fumée de ses poumons en direction de l'ombre. Peu importait son identité, l'émissaire de la mort escomptait bien lui faire regretter son intrusion.

- Je loue ton audace et ton courage. Il en faut pour détruire le mur d'une salle vide et souiller ainsi le trône d'un roi absent. Bien que je doute que ce courage ait persisté longtemps si la Panthère avait été présente.

- Je suis Borick "El Emperador". Puis-je savoir ce qui a causé cet accès de rage, Arrancar ? Sache que de tous, je suis le plus magnanime. Tu as donc encore une chance de survivre à tes actes.