Notre délicate alanguie émettait un bruit caractéristique de raclement de gorge, son fin visage tourné vers le ciel et son dos appuyé contre ce qui semblait être une statue de deux mètres de haut, au milieu d'un jardin clos au milieu duquel elle ne semblait pas avoir sa place. La jeune femme ainsi endormie était rousse comme les flammes rougeoyantes d'un brasero, et arborait un shihakusho simple mais généreusement décolleté. Nul n'aurait donc pu deviner avoir affaire à la capitaine Tsunemi, si ce n'était avec le maigre indice que constituaient les lunettes hi-tech qu'elle portait sur le front. Et elle ronflait, en plus. La jeune femme avait en effet et depuis peu la bougeotte, et avait pris l'habitude de se balader sans haori entre les divisions, se promenant à droite et à gauche en savourant le fait de ne pas être reconnue, du moins pas immédiatement. Elle passait donc pour un simple officier de siège, d'autant plus que le fourreau de sa lame n'était pas aisément reconnaissable. Seule la garde triangulaire caractéristique de Masshusebone pouvait mettre la puce a l'oreille.
Aujourd'hui, comme tant d'autres jours, la jeune femme s'était levée du bon pied et avait voulu aller marcher un peu. De division en division, elle avait senti le sommeil la gagner une fois de plus. Elle dormait plus que d'habitude ces temps-ci, et son esprit brillant peu prompt à désirer le loisir le recherchait à présent avidement. Elle n'abandonnait pas ses recherches, mais elle déléguait plus, prenant du recul et prenant le temps d'apprécier les compétences de ses subordonnés. C'était une nouvelle façon de diriger sa division, elle ne prenait d'ailleurs que les décisions cruciales et répondait sans hésiter à toutes les questions de ses subordonnés. Elle avait aussi l'impression que ne pas regarder tout le temps par dessus leur épaule leur enlevait un poids considérable: ils travaillaient plus efficacement et avaient davantage confiance en leurs capacités. Et donc, pour en revenir à cette envie de dormir, elle l'avait mis à exécution au hasard.
Mais elle se trouvait, de fait, adossée à la statue de la vice-capitaine Aono, au beau milieu des quartiers de la neuvième division. Et la neuvième division était le repaire, l'antre du capitaine Yakushiji, réputé pour son intransigeance, et qui risquait donc de n'apprécier que moyennement que la dirigeante d'une autre division prenne son jardinet pour un oreiller. Mais Ai s'était assoupie sans penser aux éventuelles retombées, et à présent les membres légitimes de la division de la justice chuchotaient autour d'elle, se demandant ce qu'ils devaient faire quant à cette intruse. La dénoncer, la réveiller doucement ? Finalement l'un d'eux, après une discussion animée, prit la direction du bureau de son capitaine, afin de déloger cette jeune femme bien trop sans-gêne à son gout.