Il y avait une certaine hésitation dans les pas du Tercera. Il n’avait pas peur non, mais il redoutait cet instant. De tous les Espada, du Rey lui-même et le maître de l’Exequias, c’était bien ce dernier qu’il avait toujours hésité à rencontrer. Et la raison était à la fois simple et multiple : il était le plus ancien des gardiens de Las Noches. Toutes les ères qu’Aaròn avait vues, caché la plupart du temps dans le désert blanc, l’Empereur les avait affrontées. Personne n’avait plus de vécu que lui, et c’était ça qui quelque-part, le rendait dangereux aux yeux du membre de l’Espada.

Mais il était inutile de repousser l’inévitable. Cela lui rappela d’ailleurs ses premières pensées concernant la nouvelle Espada et le nouveau Rey : tôt ou tard, on finirait par s’intéresser à l’Arrancar. C’était avec conscience de ce fait qu’il avait décidé de prendre les devants et de rejoindre lui-même l’armée de Santo. L’appel de Sima l’avait cependant bien aidé.

Ce n’était pas tout. On racontait de Borick qu’il était de ceux qui savaient tout. Il observait, allait à la rencontrer de tous les Hollows, tous les Arrancars, susceptibles de l’intéresser. Il était à la fois un atout de taille et un risque tout aussi grand pour Santo Pastor, mais ce n’était pas au Tercera de l’informer. Non, son Roi le savait bien. Borick était une individualité. Un poids qui pouvait faire pencher la balance. Pire encore, qui pouvait la détruire.

─ Borick l’Empereur, merci de me recevoir.

Il n’était pas forcément son supérieur, mais le Tercera ne pouvait s’empêcher de respecter autrui, tant qu’il en faisait de même. Il ne s’agissait pas de n’importe qui. C’était l’Empereur, sans doute la deuxième personne la plus réputée au Hueco Mundo.

─ Je savais que tôt ou tard, vous viendriez me rencontrer. J’ai simplement voulu nous faire gagner du temps. A vrai dire…

Il esquissa un sourire, comportement d’ailleurs étrange pour Aaròn, qui s’était toujours accoutumé d’une maîtrise de lui-même et d’un sérieux aussi rudes que sa réputation commençait à le faire savoir.

─ … j’étais curieux de vous rencontrer.

La messe était dite. Mais est-ce que celle d’El Emperador suivait Sima ?

Il étudiait les traits de l'Arrancar alors que celui-ci s'expliquait quant aux raisons qui le poussaient à venir à lui. Il n'y avait rien d'étonnant à voir certains faire le premier pas même si c'était souvent l'inverse qui arrivait. L'Empereur aimait être à l'origine des rencontres, cela avait tendance à lui donner l'avantage psychologique dans les discussions qui s'ensuivaient. Ici, ce ne serait pas le cas. Mais est-ce que ça avait de l'importance pour autant ? Pas nécessairement. Il connaissait cet homme, même s'il ne l'avait pas rencontré directement. On n'échappait pas à sa surveillance, même si cette ère nouvelle était arrivée. Même si certaines choses lui échappaient encore pour le moment.

Le Sieur Nada était un nouvel Espada, de la nouvelle vague. Tercera pour être précis, ce qui garantissait à l'être en question un certain prestige auprès de la cour du Rey. Évidemment, cela n'avait aucune incidence pour le Maître de l'Exequias. Il restait un Arrancar parmi les autres, aussi dangereux que sa fratrie. Mais quand il pensait danger, ce n'était pas une crainte pour Las Noches. Ou le Rey. Mais bel et bien pour lui et ses projets personnels.

D'un geste de la main, il désigna un siège avant de prendre lui-même place dans celui qui se trouvait face à celui désigné. Ses quartiers n'avaient pas changés malgré la nomination d'un nouveau Roi. Il faut dire que l'Exequias était toujours debout, sous sa direction, et que l'unité avait besoin de son indépendance. Bien sûr, cet acquis pouvait aussi bien disparaître. Mais pour l'heure, ce n'était pas le cas. Et l'Ange blond poursuivait donc sa quête.

- Il n'y a aucun mal à devancer l'inéluctable, tu as donc bien fait de venir à moi. Je sais qui tu es, Aaròn Nada. Je sais ce que tu représentes. Ce qui m'échappe encore, c'est ce que tu peux apporter à Las Noches et à notre Roi. Mais pour ce dernier point, je ne me fais aucun souci : le temps sera le témoin de tes actes.

Il était parfois nécessaire de montrer qu'on ne donnait pas sa confiance facilement. Pour Borick, c’était même peu de le dire. Les seuls qui avaient gagnés ce sésame se comptaient sur les doigts d'une seule main. Et certains en étaient même morts. Borick aimait à dire que rien ne lui échappait dans l'enceinte de ce palais. Même si ce n'était pas parfaitement exact. La salle du trône échappait à son contrôle et il était trop tôt pour tenter une incursion. La patience était de mise pour l'heure. Surtout avec l'appel de cette entité que lui aussi avait reçu. Même s'il ne se l'expliquait pas vraiment. Même s'il n'était pas un adepte de cette doctrine.

- Mais je dois admettre que c'est toi qui m'intrigue aujourd'hui. Pourquoi donc cette curiosité à mon égard ? Les nouveaux arrivants ont tendance à m'éviter. Vois-tu, mon unité a mauvaise réputation. Chacun a ses propres secrets et il n'est pas toujours évident de les masquer. Quel est le tien, Tercera Espada ? Pourquoi cette unité, en dehors du prestige qu'elle apporte ?

Il joignit ses mains l'une à l'autre, s'accoudant aux bras du fauteuil, sans détacher son regard une seule seconde de cet être. Oui, il était intrigué. Mais il restait pour l'heure le maître du jeu. Votons donc ce que cela amènerait.

Lorsqu’il le regarda, Aaròn ne fut pas surpris. Son interlocuteur avait tous les traits du personnage qu’on lui avait décrit. Pas une prestance physique des plus impressionnantes, mais un trait malin voire même vicieux dans le visage. Un Arrancar des plus intelligents en somme. Et s’il y avait bien quelqu’un qui avait compris que l’intelligence surpassait la force brute, c’était bien le Tercera. Peut-être y avait-il là un premier point commun entre les deux hommes. Mais ne jamais se fier à la première impression était un précepte qui pouvait freiner le Nada à aller dans cette voie. Pour l’instant, il se contenta de s’asseoir sur le siège que lui suggéra son hôte.

Une fois exécuté et face au chef de l’Exequias, la discussion fut pleinement entamée. Il semblait avoir apprécié la démarche. Mais immédiatement, le danger se fit sentir et les hypothèses d’Aaròn se concrétisèrent : Borick savait à qui il s’adressait. L’avait-on espionné durant ses centenaires d’errance ? Se serait-on intéressé à lui dès qu’il devint un Arrancar ? Après tout, un Arrancar de base Adjuchas avait normalement une certaine puissance. Mais était-ce réellement suffisant ? Soit le Nada avait eu quelque-chose de spécial, soit l’Empereur dirigeait un groupe bien plus grand que ce qu’on pourrait croire.

Mais le temps était pour l’instant à la patience, au dialogue et à la curiosité. Borick semblait surpris de ne pas avoir à faire le premier pas cette fois. Et les choses avancèrent, offrant au Tercera matière à répondre et à diriger la conversation sur plusieurs axes.

─ L’Exequias, un groupe d’Arrancars qui espionnent tout le monde pour un chef qui veut tout savoir, qui part à la rencontre de tout ce qui suscite son intérêt. Une mauvaise réputation peut-être, mais ce que la plupart des nôtres ignorent, c’est que la connaissance est la plus forte des armes.

Il soupira, pensant aux nombreux Arrancars et Hollows qui étaient restés à des stades de pensée bien trop animales, bien trop primaires. L’intelligence était une chose rare au Hueco Mundo. Et Aaròn était heureux de pouvoir converser avec des compères comme Borick.

─ Aurions-nous perdu contre les Quincy si nous avions connu leur point faible ? Aurions-nous subi tant de dommages sur nos terres si nous avions percé à jour les Ombres ? Il semble évident que non. Mais avant de connaître l’ennemi, avant de chercher le savoir dans les autres mondes… Il faut commencer par exercer cette quête ici, auprès des nôtres. Car aucun effort ne suffira si un nôtre se transforme en traître et nous poignarde dans le dos.

Il croisa les mains, et posa son regard vidé d’émotion sur celui d’El Emperador, avant de reprendre avec une voix au moins d’une même neutralité.

─ C’est ce que vous vous efforcez de faire. Et c’est ce que nous faisons en ce moment même.

Déceler le vrai du faux. Chercher à purifier Las Noches et le Hueco Mundo. Installer une nouvelle ère sans faux-semblants, sans traîtres. Pour le culte, mais pas seulement. Pour le Rey, mais pas seulement. Pour tous les Hollows. Pour tous les siens.

Il ne put s'empêcher de rire alors qu’Aaron s'exprimait sur l'Exequias. La réputation de Borick n'était plus à faire. Pourtant, il trouvait toujours étonnamment drôle le fait qu'on puisse dire de lui qu'il souhaite tout savoir. Ce n'était évidemment que la vérité mais si l'on commençait à avancer cet argument à son sujet, sans doute devait-il se montrer plus discret. Encore que la curiosité n'était pas toujours un gros défaut. Mais il avait surtout souligné ce qui faisait sa force : la connaissance des autres. Il avait raison, ce Tercera : il s'agissait là d'une arme primordiale pour qui savait l'utiliser.

Après, l'Empereur ne se projetait pas plus que ça. La connaissance était certes importante mais il savait que cela ne faisait pas tout. Quincy, Maho Tsukai. Qu'importe le nom de l'ennemi, il fallait parfois admettre que la puissance des uns dépassait aisément celle des autres. Les certitudes de l'Espada étaient toutefois toutes à son honneur même si le blond n'y croyait pas particulièrement. Il y avait sans doute du vrai, bien sûr, mais il ne s'agissait pas d'une réalité absolue.

Pour l'heure, Borick ne savait pas encore si le Rey était capable de choisir convenablement son élite. Grimmjow par le passé n'avait pas toujours eu l'oeil pour l'Espada. Mais concernant le Nada, le choix semblait juste. Ce n'était que le début de la discussion, bien sûr, mais il montrait une intelligence certaine et une volonté de s'intéresser aux actions de Las Noches. Que l'on croit ou non à Sima, cela n'entrait pas en ligne de compte. La protection de ce bastion était une nécessité. Car cette Citadelle était la frontière séparant le royaume animal de celui des Dieux. Un point de vue biaisé, certes, mais qui appartenait au Maître de l'Exequias.

- Il est vrai qu'il faut d'abord nettoyer chez nous avant d'envisager de le faire chez les autres. Pour autant, notre monde est en plein bouleversement. Et les Hollows ne comprennent pas ce qui leur arrive. Cela doit rendre la tâche de l'Exequias plus complexe, je présume. Bien qu'il y ait encore peu de débordements.

Cela voulait aussi dire qu'il s'attendait à ce que les choses dérapent incessamment sous peu. Il en avait même l'assurance puisqu'il agitait dans les ténèbres quelques fils afin de déclencher quelques brasiers dans les différents quartiers de Nacimiento. Déjà pour voir comment réagirait le Roi. Mais aussi pour tester la capacité des Espadas à interagir face à un danger immédiat. Réprimeraient-ils ces poches de résistance dans la violence ?

- Il est vrai que la connaissance est une arme. Tout comme je ne cache pas la curiosité qui est la mienne. Pour autant, ce n'est pas suffisant. Connaître quelque chose ne signifie pas pouvoir y faire face. Ne crois-tu pas, Tercera Espada ? Notre Roi semble avoir compris l'importance de l'unification de son peuple. La Panthère était bien plus forte que lui. Mais ne possédait pas cette intelligence. Régner par la peur ne suffit pas. Santo l'a compris. Mais sa quête risque d'être longue et semée d'embûche. Et c'est là où nous avons un rôle à jouer. Maintenir l'équilibre ne sera pas aisé pour toi, Aaron. Sauf si tu n'es pas seul...

Il s'enfonça un peu plus dans son fauteuil, adossant l'arrière de sa tête au dossier de ce dernier. D'un claquement de doigts, il fit apparaître un serviteur. Ce dernier tenait en sa main un plateau d'argents, sur lequel reposaient quelques petites choses à boire. D'un signe de la main, il envoya l'Arrancar proposer quelque chose à son invité, lui-même préférant ne pas boire.

- Tous le monde a besoin d'être soutenu. Notre Roi le premier. Mais toi... Quel genre d'exécutant es-tu, dis-moi ? Protecteur ? Quête personnelle ? Tu m'intrigues, vois-tu...

L’Empereur partageait l’avis du Tercera, qui ne fut d’ailleurs pas surpris de le constater. Les deux Arrancars étaient des gens d’esprit, avant d’être des gens de force et de rage. Si les talents du Tercera et du maître de l’Exequias au combat ne faisaient aucun doute, il y avait dans leur dialogue une intelligence et une habileté de pensée perceptibles, à tel point que ça semblerait étrange pour grand nombre de Hollows et d’Arrancars, qui ne respectaient que les lois animales et le combat.

Mais le Nada avait beau être souple d’esprit, il y avait une règle qu’il n’avait jamais pu oublier. Sa survie était ce qui lui était le plus cher, et jamais il n’avait pu se défaire de ce principe. Mais il se rassurait en se disant qu’au fond, cela devait être la même chose pour tout le monde. Qu’importe ce qu’on aimait, le combat, le savoir, la guerre, la paix et tant d’autres choses qui pouvaient parfois sonner faux aux oreilles du Tercera : sans la vie, tout disparaissait. Tout le monde devait avoir peur du néant. Du moins tout le monde devrait.

─ La solitude est dangereuse en effet. Tous les grands noms de l’Histoire ont été entourés d’autres personnes, y compris la Panthère et notre Rey, sans quoi nous ne serions probablement pas assis ici. Et c’est pour ça que je suis venu à Las Noches.

Il n’y avait aucune once d’hésitation dans les mots du Nada. Il fallait avouer qu’il s’était douté que la question de son allégeance viendrait un jour ou l’autre. Et quand il sut qu’il allait rencontrer Borick, il s’était presque persuadé qu’elle viendrait enfin de lui. Il avait eu le temps d’y réfléchir, et de peser chacun de ses mots.

─ J’ai toujours vécu plus ou moins seul. Je ne sais pas réellement si j’ai haï le combat, mais je me suis toujours contenté de me défendre. Et en survivant, j’ai gagné en puissance et en intelligence… jusqu’à comprendre que si je restais sans attache, je serais considéré comme un allié potentiel ou une menace. Surtout avec le culte de Sima.

Il accepta volontiers un verre du serviteur, et le prit d’une main, avant d’hocher de la tête pour remercier ce dernier.

─ En étant une menace, j’aurais fini par mourir : un seul homme ne pourra jamais rien face à une armée entière. Et en tant qu’intérêt, on serait venus vers moi. Et dans ce ca-là, pourquoi ne pas faire le premier pas moi-même ? Je n’ai jamais rien eu à reprocher à notre Rey, et je trouve son envie de rassembler les nôtres louable. Mais, l’élément déclencheur – plus que mon envie de vivre – a bien entendu été l’Appel.

Il fit mine de boire, sans véritablement le faire. Il ne pouvait faire pleinement confiance à son compère, du moins pour l’instant. Posant son verre, il repensa alors à ce fameux jour où Sima l’avait appelé…

Il parlait bien et faisait mention de cet appel, celui-là même qui avait été ressenti par l'ensemble des Hollows, qu'ils soient des bêtes ou des Arrancars. L'Empereur ne contestait pas l'appel, l'ayant lui-même perçu. Seulement il ne savait pas encore quoi en penser. Que cela soit vrai ou issue d'une manipulation, il préférait réserver son jugement. Cela ne l'empêcherait de toute façon pas d'avancer. Seuls ses projets comptaient. Le reste était secondaire. Un nouveau roi. Une nouvelle cité. Une nouvelle dimension, en quelque sorte. Et parmi ce tumulte, un homme ne changeait pas, un homme s'adaptait.

En tout cas, il comprenait mieux les motivations de Nada, même s'il ne pouvait encore s'y fier véritablement. Sima avait changé bien des êtres par cet appel mystérieux et apparemment, ce nouvel Espada y avait trouvé son compte. En un sens, Santo avait raison : il était préférable de se regrouper plutôt que de rester comme ils étaient depuis tant de siècles. Mais ces animaux n'étaient pas encore aptes à vivre en communauté, ce qui générerait des conflits. Tous le savaient. Et la mission de l'Espada le prouvait.

Si Aaron se montrait pour l'heure digne de sa fonction, il y avait encore quelques zones de mystères autour de lui. Et plus que tout, il importait au blond de connaître l'avis de Santo à son sujet. Le Roi ne s’épancherait pas facilement sur son épaule pour l'heure, les deux hommes étant encore en phase d'observation. Mais l'Exequias ne désespérait pas : il saurait se faire sa place parmi ce nouveau système comme il l'avait toujours fait.

- Je vois. Ce n'est pas une réflexion absurde et tu as pris les devants, ce qui t'as certainement fait gagner des points auprès de notre Roi. L'Appel a déstabilisé notre peuple avant que l'on comprenne ce que c'était. Santo a su mettre des mots là où les simples sensations ne suffisaient plus. Je crois qu'il peut parvenir à rassembler les Hollows. Je le crois sincèrement.

Il ne mentait pas sur le coup. S'il ne rejoignait pas ses convictions, il comprenait ce que cela apportait au Roi que d'unifier ce peuple. Mais la question que se posait l'Empereur était simple : était-ce envers Sima que les Hollows juraient fidélité ou tout simplement envers Santo ? Ce n'était évidemment pas la même chose pour lui, la nuance étant évidente. Quant à Aaron, il prouvait qu'il savait prendre les devants. Il l'avait fait avec Santo en rejoignant son armée et agissait à l'identique avec lui en venant ici.

- Le rôle de l'Espada a évolué. Pour le mieux, il est vrai. Mais les ennemis de Santo ne sont pas tous au dehors. Il est facile de simuler la dévotion même s'il s'agit d'un jeu dangereux. Pour l'heure, les factions rebelles n'ont pas encore osée se mettre en avant mais les rumeurs commencent à m'arriver aux oreilles. Il faudra te montrer prudent dans l'exercice de tes fonctions, Aaron. Il me chagrinerait d'apprendre qu'un Espada si intelligent disparaisse. Je ne connais pas encore tous les autres mais ce mystère sera bientôt levé. Pourrais-tu me rendre service ?

L'Exequias veillait dans les murs de Las Noches mais Nacimiento n'était pas encore totalement sous la coupe de l'Empereur. Se redressant, il joignit ses mains l'une à l'autre, plongeant son regard ambré vers l'Espada.

- Je souhaiterais des rapports de ce qui se passe à Nacimiento. Certes, mes hommes sont déjà en place. Mais il me faut le regard d'un membre de l'élite de notre Roi. Mon Exequias n'a pas le même regard que vous autre Espada pourriez porter sur les dangers de cette ville. Le nombre est leur force mais individuellement, mon unité ne vaut pas l'élite.

Il ne faisait qu'énoncer une vérité. Et ne parlait évidemment que des membres les plus faibles de l'Exequias, ne s'incluant pas lui-même dans cette définition.

Rassembler les Hollows, un objectif fou et pourtant désormais réalisable. Mais une question se posait : vers qui allaient-ils se tourner ? Sima ou son messager ? Entre une divinité et un roi, il y a de nombreuses différences. Un roi est réel et mortel, on peut lui parler, on peut le comprendre, on peut marcher à ses côtés. Il est l’un des nôtres. Une divinité a tout de l’irréel, on ne peut pas la toucher, on ne peut même pas converser avec. Pourtant, les deux ne peuvent être dissociés : sans messager la divinité ne peut s’exprimer, et sans message il n’y a tout simplement pas de messager.

L’unique problème étant et restant le suivant : le messager est mortel. Les Hollows auront toujours cet instinct animal qui peut les pousser à la trahison, au meurtre. Et si Santo Pastor en est un, alors qui pourrait prédire qu’il ne se retourne pas un jour contre les siens ? Qui peut promettre qu’il ne sera jamais aveuglé par la puissance ? Le chemin et la parole d’une divinité ne peuvent dévier, c’est même ce qui rend la chose divine. Mais celui d’un être vivant peut changer, peut se détourner de sa promesse. Et si Santo Pastor se met à falsifier les paroles de Sima, qui pourrait s’en rendre compte hormis Sima lui-même ? Et dans ce cas-là, comment croire qu’il ferait quelque-chose lui qui n’a apparemment que choisi un messager.

Pourtant, Aaròn est de ceux qui croient fermement le Rey. Tout simplement parce qu’il croit en l’Appel. Il sait que cet évènement a tout de divin. En l’occurrence, il a cru en ce Hollow originel. Et à partir de là, s’il existe, alors il n’a pas choisi son messager pour rien. Il l’a choisi parce qu’il sait que ce dernier fera ce qui est bon de faire.

─ Je ne puis vous donner une réponse dès maintenant, il me faudra réfléchir. Et sachez que même si j’acceptais, vous ne seriez placés qu’en deuxième position après notre Roi. Ne prenez pas cela comme un manque de respect, mais j’ai un devoir que vous connaissez bien.

Jamais il n’aurait davantage de reconnaissance envers un homme autre que Santo. Borick avait beau avoir la puissance et l’intelligence des plus grands, il n’était pour l’instant qu’un être intriguant pour le Nada. Si le Rey semblait du côté de la religion, El Emperador semblait être du côté de la science. Le destin contre la raison. A long terme, le Tercera voyait même des difficultés pour que l’entente entre le Maître de l’Exequias et le Rey soit parfaite. Est-ce que cela faisait de Borick un éventuel problème ? Non, pas pour le moment. Présentement, il était un allié. Mais un allié ne peut pas avoir les mêmes faveurs que le roi.

─ D’ailleurs, il me faudrait un de vos services pour que je considère pleinement votre proposition. A moins que vous me promettiez que vous me rendrez la pareille un jour. Dans tous les cas, il faudra que j’y réfléchisse. Je vous prierai simplement de ne prendre un éventuel refus comme une offense. Il est primordial pour notre roi et notre race que nous nous entendions bien. Et je pense que tous les éléments sont réunis pour que ça se passe ainsi. Car même si je n’accède à votre requête après y avoir réfléchi, sachez que je vous respect, Borick.

Il réfléchissait et c'était tout à son honneur. De toute évidence, il n'avait pas à faire à un de ces décérébrés incapable de réflexion, ce qui était une bonne nouvelle. En ces temps particuliers, l'Espada ne pouvait plus se permettre d'être aussi faible que par le passé. Aucun ne pouvait se le permettre, pas même le Roi. Surtout pas lui, d'ailleurs. Ses propos étaient touchants de sincérité. Mais la réflexion n'avait pas lieu d'être : en s'adressant à un des tout premiers Espada, El Emperador n'avait pas espéré un seul instant passer en première position pour la primeur des informations. Il n'était pas si sot. Et espérait même que cette requête parvienne aux oreilles du Roi. Ainsi, ce dernier comprendrait que son Exequias œuvrait dans son sens. Comme il l'avait demandé.

Car la partie que se jouaient Santo et Borick s'élevait à un tout autre niveau. Il ne demandait pas l'exclusivité. Seulement un complément à ses propres investigations. Il ne put s'empêcher d'en rire tant la sollicitude d'Aaron était touchante. Par ailleurs, la discussion prenait des allures de négociations. Un terrain sur lequel excellait le blondinet. Mais dans lequel il n'allait pas s'engager ici et maintenant. Le Nada était un homme intelligent mais cela ne lui permettait pas encore de nager dans les mêmes eaux que l'Exequias. Il était trop tôt et avant d'être un requin, il fallait encore apprendre à rester sous l'eau sans se faire repérer.

- Ne crains pas ma réaction en cas de refus. Il ne s'agissait là que d'une demande des plus officielles. J'obtiendrais ces informations, quoi qu'il arrive. Et si tu n'es pas l'acteur de la réussite de cette mission, cela n'est rien. Ça ne change pas le respect commun qui nous lie. Encore une fois, ce n'était qu'un service. En rien un ordre sapant l'autorité de notre Roi.

Il était clair : quelle que soit la réponse de cet Arrancar, il obtiendrait son dû. D'autres étaient à sa botte. D'autres naviguaient dans les ténèbres de Naciemiento. Cela prendrait le temps que ça prendrait. Mais la patience était une vertu qu'il nourrissait. Il balayait de fait les inquiétudes de cet homme quant au possible jugement auquel il se soumettait. Borick n'était pas fou. Toutefois, Aaron devait comprendre une chose : ils n'étaient pas sur un même pied d'égalité. Et si son Roi était prioritaire, ce qui était logique, il ne fallait pas oublier qui dirigeait les armées dans l'ombre. Santo n'avait pas fait l'erreur de mésestimer l'emprise de Borick sur les factions de Las Noches. Il serait dommageable pour le Tercera de le faire.

- Quant à un possible retour en ta faveur, cela ne me pose aucun problème. Connais-tu le proverbe qui dit " La main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit " ? J'en suis l'exemple typique. Demande et je ferais en sorte de t'exaucer. Si mes moyens me le permettent.

Et de lui adresser un sourire sincère. Cela signifiait une seule et unique chose en réalité pour Borick : qui lui demandait une faveur lui était redevable. Et quiconque ne payait pas sa dette disparaissait. Demander quelque chose à l'Empereur, c'était comme pactiser avec les démons. On ne gagnait jamais. Par ailleurs, la nature des demandes lui permettait d'évaluer avec plus de justesse le tempérament de ceux qu'il côtoyait. Une faveur n'était jamais à prendre à la légère. Mais cela, la plupart l'ignorait.

Car pour Borick, la main qui donne est celle qui dirige. Ni plus, ni moins.