Le sentier s’étendait au-delà des ombres du rien, et s’il n’y avait de lumière, il n’y avait de crainte non plus ; Asuna marchait à la tête de son armée, et ses manières ne s’affectaient de la nuit éternelle autour d’elle. Le jour au devant ne l’effrayait davantage, car au contraire, elle n’y voyait qu’une route vers un monde mille fois haï, qui en cette heure-ci réclamait son aide. La Mère se tourna pour regarder ceux qui suivaient son sillage : des visages sans conséquence répondirent à son attention, et aucun d’eux ne pouvait se targuer de l’émouvoir.
Son enfant, son petit dernier, si frêle mais si dévoué, mourrait peut-être en bas, proie parmi les proies ; le Kenpachi, et vaillant, et brave, et plein du fiel de la haine envers elle, envers quiconque car la haine était de son essence, et s’il vivait, c’était par colère ; et d’autres encore, des gradés mis ici sur l’échiquier sans autre attente que leur pleine obéissance. Vivraient-ils ou non avec éclat ? La Commandante l’ignorait mais, lorsque la nuit tomberait sur Terre, elle saurait qui valait son intérêt, et qui s’en irait tomber sans honneur dans une tombe sans nom.
Les épitaphes glissèrent sur ses lèvres moqueuses. La Mère se détourna d’eux, et regarda droit devant :

« Nous ignorons quel danger pèse sur Tokyo actuellement, déclara la Commandante tout en marchant. Des âmes disparaissent, ce que nous ne pouvons accepter alors que la Balance souffre déjà de déséquilibre. Nous éliminerons la menace quoi qu’il en coûte, et chacun doit se préparer dans cette perspective. La Terre est déjà une plaie béante, endiguons ses infections. »

Les pas de la Shinigami claquèrent sur les pierres irréelles de l’entre-deux-mondes comme les notes d’un requiem avant l’envolée ; le tout juste milieu, paisible, en creux de deux attaques symphoniques aux accords de chair et aux instruments de rage.

« Il se peut que nous rencontrions des humains à potentiel spirituel, en bas. Ne les attaquez pas, à moins d’être directement menacés par eux. Toutefois, s’ils vous semblent hostiles aux Shinigami, il n’est pas nécessaire de les sauver. »

Et ils marchèrent vers le portail chatoyant des éclats extérieurs, et avant qu’ils ne fussent happés et séparés, Asuna leur sourit de douceur :

« Rendez fier le Goteï par vos actes et vos triomphes. »

Ouais ouais, c'est ça, fais nous ton blabla.

Pas la peine d'enrober ton discours de belles paroles, et ton topo n'est pas plus nécessaire que ça. Ceux ici qui n'ont pas compris qu'il va simplement être question de traquer, localiser et détruire la source de cette disparition d'âme n'ont juste rien à faire ici. Ce seront les premiers à mourir. Ils meurent tous un jour ou l'autre, de manière plus ou moins glorieuse. Perso, j'ai pas prévu de crever aujourd'hui. Et pour cause, je crèverais pas aujourd'hui. J'laisse ça aux faibles et aux inconscients. Fallait que j'me défoule, les missions de terrain se font bien trop rares pour rater l'occasion. J'avais besoin de laminer, détruire, démembrer. Trop de frustration, de colère accumulée ces derniers temps. La purge à gérer, les Reapers à supporter, la division à gérer... Nan. J'suis juste pas fait pour supporter autant de pression. J'ai trop été habitué par mon vécu à pouvoir couper court à toute source d'énervement à l'aide d'une bonne grosse mandale dans la gueule. Puis j'ai monté en grade, puis j'ai découvert que le monde n'était pas aussi simple. Que de simples mots, prononcées par certaines personnes, peuvent s'avérer bien plus puissant que le plus rageur des coup de poing. Que de simples ordres, données en certaines circonstances, peuvent s'avérer bien plus contraignants que la plus forte des étreintes. Et je suis là, à marcher dans c'néant, aux côtés d'Asuna, quelques autres gradés dans l'assistance, et d'la bleusaille. J'écoute ses mots sans les écouter. Les assimile sans leur accorder la moindre importance. Je sais déjà tout ce qui vient d'être dit. "Rendre fier le Goteï par nos actes et nos triomphes".

Heh, si par là elle entend "défoncez bien comme il faut les types qu'il faut défoncer qui qu'ils soient et hésitez pas à les faire souffrir si ça vous fais plaisir", le Gotei sera très fier, t'inquiète pas pour ça, va.

Un petit regard par dessus l'épaule pour Clotho, Shin et Seito. J'ai combattu ces trois-là, je sais ce qu'ils valent. Je sais les erreurs qu'ils peuvent faire, aussi. Ce serait con s'ils devaient crever aujourd'hui.

Les seules morts que nous aurons sur la conscience aujourd'hui, c'est celles de ceux qui nous font face.

On est dans la grosse merde.

J'peux pas m'empêcher de penser ça, pendant ma marche dans le Dangai. Pas un bruit, si ce n'est celui des pas sur le sol. Une marche longue, et j'aurais presque aimé qu'elle soit plus longue qu'elle ne l'était déjà. Cette petite pause. Ce petit interstice entre les deux monde, tous les deux apocalyptique de deux manières différentes. D'un côté, on a le monde des humains, celui où on est envoyé pour mener nos missions, où l'accueuil se résume souvent à des regards inquisiteurs, des menaces, parfois suivies d'actes. De l'autre, la Soul Society, et le poids des responsabilités qu'elle incarne. Le haori, les subordonnés, les supérieurs, les ordres, tout est et vient de la-bas. Et je dois y rentrer, alors que nous sommes en pleine purge, avec pour seule nouvelle à annoncer la suivante : Le capitaine-Commandant à disparu. Génial.

Un rapide passage à la quatrième, et je devrais assumer mon rôle dans la purge dans l'instant qui suit. Aucun répit. Et des miliers de jeunes Shinigamis qui vous regardent. Et ça n'est pas motivant. Non, l'éclat dans leurs yeux, la confiance qu'ils placent en nous autres, ça me motive pas. ça me décourage. être au centre de trop d'attentes, trop de gens qui suivent le moindre de vos faits et gestes, à laffût du moindre signe de faiblesse. Les premiers à applaudir lorsque vous accomplissez un exploit, mais aussi et surtout, les premiers à vous cracher dessus à la moindre erreur de votre part. Pas que les mots m'atteignent plus que ça. Pas que l'avis qu'on a de moi m'importe d'une quelconque manière. Juste, peur de voir cet éclat disparaître. En particulier chez les gars d'la onzième. peur de ne pas être à la hauteur.

Tête baissée, regard pensif, à penser à tout ça pendant de longues minutes, quand déjà la fin du tunnel est visible. Déjà. Ce fut rapide. Trop rapide.

Enfin, quand faut y aller...