Un craquement de nuque, un soupir. La Soul Society était décidemment peu mouvementée ces temps-ci, mais qui pouvait l’en blâmer ? Toutes les menaces semblaient s’être tout bonnement évaporées. Difficile de dire où étaient désormais les éventuels restes des Quincy, bien que le centre ait fait pression sur la 2nde division pour obtenir des réponses. La vie paraissait plus monotone que jamais après tant d’action. Cette décennie avait été si mouvementée que chaque instant semblait fade désormais. Le ninja avait beau se persuader qu’il préférait les choses ainsi, son fort intérieur ne demandait qu’un rebondissement. Les nouveautés récentes étaient certes appréciables, tant de nouveaux capitaines ayant prit poste, mais elles semblaient si forcées, artificielles, comme pour donner la fausse impression que la Seireitei arrivait sans mal à se remettre de ses plaies.

Doucement, le guerrier épousseta son kimono bleuté, resserrant quelque peu son écharpe autour de son cou. Il haussa les yeux au ciel, ne contemplant que le plafond, se mordillant la lèvre inférieure avec nervosité. La vie d’assassin n’était pas glorieuse, mais l’adrénaline de cette vie lui manquait. Dire qu’il s’imaginait constamment sur le terrain en tant que Capitaine de la section d’espionnage, il avait fait une erreur. Il aurait dû tenter un poste dans la Onzième, eux avaient l’air de passer leurs vies à se battre. Du temps de Zaraki Kenpachi, cette section avait déjà une réputation pour le moins sulfureuse, mais peu de véritables nouvelles récemment.

Le nouveau Kenpachi semblait plus composé que ses prédécesseurs, mais pas moins dangereux. Toujours l’air de se passer les nerfs avec ses cure-dents, et à suffisamment fissurer les édifices de sa lame pour que les agents d’entretien s’en plaignent. D’ailleurs c’était sans doute le plus énigmatique des capitaines qui soient actuellement présents. Cette impression découlait sûrement plus du fait qu’Aoshi ne lui avait que rarement adressé la parole, mais tout de même, il paraissait fort peu bavard. Une qualité indéniable que l’espion, lui-même droit au but et peu loquace, ne pouvait qu’apprécier.

On lui avait pourtant fait la remarque, lui qui avait si longtemps été un outsider, il ferait mieux de prendre contact rapidement avec les autres membres. Déjà deux ans depuis son élection et il n’avait pourtant parlé à presque aucun collègue. Ne pouvant ignorer des remarques que la Seireitei entière semblait vouloir lui faire passer, il s’était promis de discuter aujourd’hui avec Shinjiro, ledit Capitaine de la section la plus brutale qui soit. Le Shimura appréhendait cette rencontre, il avait quelques questions à poser à son associé, de toute façon. Une résurgence d’hollow apparaissait comme évidente depuis peu, et sa division étant la plus employée à la traque de ces bêtes, nul doute que Kenpachi aurait des informations plus approfondies.

Aoshi se releva alors doucement de son siège de bois, ce dernier grinçant légèrement. S’écartant de son bureau, il jeta un petit coup d’œil au maigre tas de paperasse qui trainait sur le bois. Il devait être à peine deux heures de l’après-midi, et pourtant il avait quasiment fini son travail. Un soupir de contentement s’échappa d’entre ses lèvres alors qu’il s’approchait de la fenêtre, appréciant la forte lumière qui rendait éblouissante l’immaculée blancheur de la Seireitei. La prochaine réunion aurait lieu dans une trentaine de minutes, il pouvait donc se permettre de prendre son temps.

Il arriva donc légèrement en avance, comme à son habitude. Et comme d’habitude, la réunion fut ennuyeuse. Aoshi avait vraiment l’impression que presque tous ne faisaient qu’acte de présence. D’après quelques anciens, les réunions étaient bien plus intenses du temps de Yamamoto, et l’on pouvait l’entendre crier à des centaines de mètres à la ronde. En tous cas Shunshui était beaucoup plus laxiste et calme, sans grande surprise pour tout le monde. Ainsi le ninja profitait souvent de ces moments pour ne rien écouter et reposer son esprit. Il n’avait pas la parole aujourd’hui, la résurgence des Hollow n’étant pas encore jugée assez grave pour être abordée.

Dès lors que la réunion fut achevée, l’assassin s’approcha lentement, d’un pas ferme et assuré, du colosse. L’interpellant de sa voix forte mais calme, il lui adressa un hochement de tête en guise de salutation. Il lui avait semblé que son camarade partageait cette aversion pour les politesses trop poussées et souvent peu sincères. Pas besoin de se répandre en futilités dans ce cas. Aoshi comptait bien faire connaissance au passage, mais son but premier était avant tout de se renseigner sur les évènements récents. En tant que Capitaine de la 2nde Division, le shinigami avait le chic pour toujours devoir assumer les échecs des autres groupes, lorsqu’une information n’était pas correctement retransmise.

Le brun n’avait rien d’un nabot, mais Kenpachi, lui, était tout simplement géant, parfaitement l’image physique d’un capitaine de la 11ème, et Aoshi n’aurait pas voulu tenter un bras de fer avec ce type. Toujours silencieusement, il fit signe à son collègue de le suivre. Marchant quelques peu à travers les couloirs, jusqu’à arriver sur un balcon vide près des quartiers de la 1ère Division, le ninja réfléchissait silencieusement. Il s’arrêta sans rien dire et se retourna vers le colosse. Décidemment, ce jeune homme lui rappelait Zaraki.

« Kenpachi. » Dit-il simplement pour exprimer son respect, une once de fatigue dans la voix. « Je vais t’appeler comme ça, tu m’excuseras mais hors des réunions je n’ai pas le courage de vouvoyer mes collègues. »

Acheva l’homme en s’adossant à un des piliers rouges de l’édifice, croisant les bras. Il avait revêtu son grand Haori blanc et noir avant la réunion, comme le voulait la tradition. Mais il avait toujours le cou entouré de son écharpe écarlate, laquelle couvrait son visage en quasiment toute situation, comme une sorte de réflexe. Par respect néanmoins, il l’avait rabaissé de sur sa bouche avant de prendre la parole, ne tenant pas à offusquer un associé qu’il connaissait bien mal. Son regard sérieux et plutôt inexpressif détaillait lentement Kenpachi, avec tout le savoir d’espion qui allait derrière.

« Tes hommes ont dû affronter pas mal de Hollow sur Terre au Japon d’après mes rapports. Les chiffres concordent étrangement avec la dernière montée des Arrancar il y a quelques années, et je voulais savoir si vous aviez vu quelque chose de particulier. » Expliqua-t-il calmement, attendant d’éventuels renseignements importants. « Du moins il me semble que c’est vous que l’on envoie constamment combattre ces êtres là. »

La réunion était passée rapidement. Certaines choses étaient intéressantes, d'autres beaucoup moins. Mais rien de bien nouveau à se mettre sous la dent. S'il est vrai qu'il fallait se coordonner pour éviter toute surprise, Shinjirô commençait sérieusement à en avoir marre de devoir se bouger dans les quartiers de la Première Division pour écouter ces fous parler pendant des heures. Plus que tout, il avait surtout envie de foutre son poing en pleine tronche du Capitaine Tenzen... L'animosité de ces deux-là n'était pas un secret et les récents évènements prouvaient que cette petite guerre interne n'était pas prêt de s'achever, au grand désespoir du Capitaine-Commandant. Ce dernier avait beau menacer les deux hommes de sanctions, il ne pouvait pas faire grand-chose pour réellement apaiser les tensions. Faut dire que le Seireitei avait plus que jamais besoin d'hommes forts et que malheureusement, ces deux-là en faisaient partis.

Alors qu'il s'apprêtait à quitter les lieux sans même un mot envers ses homologues, Aoshi interpella le Kenpachi. Lui retournant tout d'abord sa salutation muette, il comprit rapidement que le Capitaine de la Seconde Division souhaitait s'entretenir avec lui. Prenant les devants et l'invitant à le suivre. Si d'ordinaire, Shinjirô n'était pas friand de ce genre de petites conversations, il n'ignora pas pour autant son vis à vis et prit le parti de le suivre. Il faut dire que cet homme n'était pas le plus bavard de tous et que sa discrétion - à mettre sans doute sur le compte de la Division qu'il dirigeait - était légendaire. Peu pouvait prétendre connaitre le Shimura et l'occasion pour le colosse d'en apprendre plus était trop belle pour être ignorée. C'est pour ça qu'il le suivit sans un mot, attrapant simplement un cure-dent qu'il glissait déjà entre ses mâchoires, tic étrange au possible mais qui avait tendance à calmer les nerfs de notre cher Kenpachi.

Traversant quelques couloirs, il s'arrêta enfin près d'un balcon surplombant la cour de la Première Division. Intrigué, Kiryû suivit son exemple et attendit que son confrère prenne la parole. Après tout, c’était lui qui avait souhaité cette entrevue. Ce serait donc à lui de faire en sorte de lui en expliquer la raison. Les premières paroles de l'homme firent sourire le colosse. Ce n'est certainement pas lui qui reprocherait à un capitaine ce genre de familiarité, bien au contraire. N'était-il pas lui-même réputé pour se foutre de l'étiquette ? D'un haussement d'épaules qui signifiait clairement qu'il s'en moquait, il lui répondit du tac au tac.

- Fais comme tu veux, j'm'en balance.

La rudesse de ses propos n'était pas une preuve de mauvaise humeur, loin s'en faut. Disons simplement qu'un homme qui est peu habitué à s'adresser aux autres ne peut véritablement être courtois dans ce genre de contexte. Shinjirô n'était finalement pas un mauvais bougre, seulement son exil volontaire avait quelque peu mit à mal ses habitudes. Noboru excepté, il ne s'était pratiquement adressé à personne pendant ces deux derniers siècles. Alors que Aoshi reprenait calmement, expliquant au passage les raisons de son entretien avec lui, Shinjirô se mit à réfléchir à ce qu'il allait lui dire. Il faut dire que ce qu'il demandait concernait en réalité deux services. Sa propre division, bien sûr, mais aussi et surtout la Treizième qui était en charge de la surveillance de la Terre.

- Y'a en effet eu pas mal d'affrontements ces derniers temps mais rien de bien spectaculaire. Des minables qui ne tiennent pas vraiment la route. Nombreux, ouais... Mais trop faiblards pour inquiéter mes gars. La division du Capitaine Shiba a émis de nombreux rapports à ce sujet. Rien de bien inquiétant pour le moment.

Un instant, l'Argenté retira le cure-dent de sa bouche, réfléchissant aux détails qu'il avait eu entre les mains récemment. Rien de bien particulier ne lui revenait en tête. Des Hollows, il y en avait toujours eu. De là à se faire du mouron pour si peu, il y avait un fossé. Mais plus que ce détail, c'était surtout la question qui intriguait Shinjirô. Car dans les faits, en quoi cela pouvait-il intéresser la Seconde Division et son capitaine si énigmatique ?

- T'en pose pas mal des questions... Mais en quoi ça te concerne ? Mon taff, c'est d'écraser ceux qui peuvent présenter un danger. Celui de la Treizième de surveiller la Terre. Ta division n'a pas grand-chose à voir la dedans...

Une véritable interrogation pour lui. Même si en un sens, il se moquait bien de son intérêt. Des ordres, il en avait et y obéissait. Tant qu'il pouvait s'éclater, rien d'autres n'avait d'importance. Au moins lui, il avait l'occasion de se défouler. Rien que ça, c'était déjà une victoire en soi.

Décidemment, malgré ses airs peu avenants, et surtout son air peu bavard, le capitaine de la onzième division avait de la vulgarité à revendre. Pas exactement comme Zaraki, et encore moins comme Ikkaku, mais on sentait bien à quelle section appartenait le colosse. Sa réponse arracha un léger sourire à l’homme au foulard qui acquiesça sans rajouter la moindre objection, jetant un coup d’œil vers la cour, plus bas, s’assurant que personne ne serait en mesure d’entendre cette conversation. La réelle raison ? Pouvait-il vraiment lui dire ? Bien sûr, les affaires terrestres ne le concernaient presque pas, à quelques rares exceptions près. Mais sa curiosité l’avait poussé à se mêler un peu à toute cette histoire.

Il hésita un instant, décroisant ses bras pour saisir son menton entre son index et son pouce droits. Fermant les yeux pour mieux réfléchir, son sourire s’estompa, laissant place à un air plus sérieux, plus neutre. Ainsi c’était l’œuvre de Hollows inférieurs. Quel dommage. Pourtant le capitaine avait lui-même constaté leur nombre étrangement important. Kenpachi devait sûrement savoir que la dernière recrudescence de ces monstres avait été en rapport direct avec l’arrivée des Arrancars des années auparavant. Le service d’espionnage devait notamment s’enquérir des informations sur le plan mortel, afin d’incriminer ou de discriminer certains suspects.

Rouvrant alors les yeux, Aoshi porta son regard droit sur son collègue, s’avançant, délaissant le pilier qui lui avait servi de dossier. Un léger raclement de gorge, un petit grognement d’hésitation et un soupir d’abnégation furent les seuls sons à s’échapper des lèvres du ninja. La réalité était simple. Soul Society devenait trop laxiste à son goût, la chasse aux Hollow était devenue ennuyeuse, trop facile. Ces derniers avaient vu leur nombre drastiquement diminuer après l’assaut de Juha Bach, et leurs assauts depuis Las Noches avaient également presque cessés. Pourtant un genre de recrudescence avait pris le plan mortel récemment. Avec la disparition du Hougyoku, la création d’Arrancars aurait dû devenir bien plus difficile, réduisant leur nombre considérablement.

« Le problème c’est que je ne pense pas à des Hollows simples, même pas à des Gillian. » Expliqua l’assassin, l’air pensif. « C’est un sentiment, je ne sais pas trop, peut-être que je me trompe. »

Observant un instant l’horizon, depuis le balcon, Aoshi posa ses mains sur la rambarde de sécurité, s’y appuyant, les sourcils froncés, en pleine réflexion. Nul doute que son collègue comprendrait où il voulait en venir. Kenpachi était sûrement avide de combat, comme tous ceux qui avaient porté ce nom avant lui. Le Shimura n’avait que faire de la chasse aux âmes, lui qui officiait très rarement, pour ne pas dire jamais, hors de la Soul Society. Mais il avait quelques plans, quelques projets personnels à réaliser, et un éventuel retour massif des Arrancars l’aiderait beaucoup. Lui qui aimait la rigueur et l’ordre, il trouvait que l’organisation au sein de la Seireitei était devenue trop laxiste et permissive.

Imbriquant les idées, comparant les situations, il en venait toujours à douter de sa propre conclusion. Comment quiconque pourrait bien le croire ? Le capitaine de la onzième étant un impulsif et un combattant renommé, il restait le meilleur moyen pour le ninja de vérifier ses doutes. Si les soupçons de l’espion ne convenaient pas aux autres capitaines ou s’ils s’avéraient erronés, les conséquences seraient mauvaises pour la seconde division. De plus se rendre sur Terre, pour un capitaine d’une division interne, serait sûrement perçu comme un acte de défiance, ou tout du moins un comportement suspect. Pinçant doucement ses sinus, de sa main droite, le guerrier reprit la parole.

« Je ne suis pas capitaine depuis si longtemps que ça, mais je suis à la Soul Society depuis bien longtemps. » Commença-t-il. « Cette étrange remontée du nombre de hollows est suspecte. Mais le plus problématique c’est que l’on m’a remis plusieurs rapports qui font état de l’apparition de Gillian à des points précis, et des intervalles précis. J’ai reçu le dossier pour mener une enquête en interne, afin de savoir si ce n’était pas une éventuelle expérimentation secrète de la douzième division, mais mes recherches n’ont rien montré d’incriminant. » Dit l’homme, s’arrêtant un instant de parler.

Pas vraiment difficile de voir où il venait en arriver. Les Gillian étaient considérés comme le gros de l’armée du monde creux, les fantassins idiots que l’on envoie toujours pour une raison. Les enquêtes n’avaient montré aucune utilisation d’un quelconque appât, autrement dit presque aucune chance que ce soit l’œuvre d’un maniaque. Que penser de tout cela ? Les questions se chamboulaient, malgré que la suite paraisse évidente, l’omnitsukido avait souvent fait fausse route, et la prudence était de mise.

« Je voudrais que tu surveilles ça de près pour moi. » Demanda Aoshi. « Il est possible que nous ayons des nouvelles d’ennemis bien plus dangereux qu’auparavant désormais. Je te le demande parce que tu es un vrai combattant. Tu n’iras pas tout gâcher si les Arrancars refont surface, comme moi tu aimes te battre. Je ne veux pas écraser la remontée des Hollow dans l’œuf, j’ai des projets, Soul Society a besoin de se durcir, de changer de fonctionnement. Est-ce que tu me comprends ? » Questionna-t-il, le regard plus sérieux qu’il ne l’avait jamais été, presque vicieux.

Oui, il savait que la onzième division était la plus puissante en termes de puissance pure, et la plus employée pour remédier à des insurrections hollow de bas rang. Mais si Kenpachi trouvait le moyen d’assouplir la rigueur dans sa section, s’il faisait croire aux monstres que la Soul Society était affaiblie, peut-être alors, des ennemis bien plus puissants sortiraient de l’ombre. Pour voir les généraux, il faut laisser avancer les fantassins. Chacun des deux hommes pourrait y trouver son compte. Les idées du capitaine espion étaient pour le moins extrême, clairement dangereuses, mais le pari pouvait rapporter gros, et combler le vide qui semblait s’être emparé de la Seireitei depuis des années.

« Saches que je ne souhaite pas renverser quiconque, et encore moins nous nuire, mais dans l’état actuel des choses, si la discipline ne se durcit pas, nous ne seront jamais prêt pour un éventuel retour de nos ennemis. De plus ces deux dernières années ont été fort ennuyantes, et un bon combat face à des adversaires puissant ne me ferait pas de mal. Aussi je souhaiterais que tu fasses en sorte de ralentir les efforts pour stopper les hollow au Japon, afin que nous puissions assister à l’arrivée des vrais chefs. » Dit calmement Aoshi, le regard froid et sérieux.

Il croisa de nouveau les bras, signe qu’il avait fini de parler, attendant la réponse. Le rejet serait une mauvaise chose, mais il ne pensait pas vraiment prendre un risque. Le grand gaillard en face ne semblait pas être du genre à répéter tout ce qu’il aurait entendu.

L’inquiétude était perceptible dans le ton et les paroles du Capitaine des Forces Spéciales. Ce qui était une preuve de l’intérêt qu’il portait aux propos rapportés par le Kenpachi. Shinjirô ne connaissait pas vraiment cet homme mais du peu qu’il venait de voir ici, il le prenait très au sérieux. Nul doute qu’il savait de quoi il parlait. Ce qu’il sous-entendait était clair : selon lui, ces Gillians n’étaient finalement que des trouffions de base, envoyés ça et là pour tester les réactions des Shinigamis. Et pourquoi pas des terriens, également. Ceux qui tiraient les fils dans l’ombre chercheraient donc quelque chose de précis. Ou une faille. L’idée n’était pas si absurde que ça et Kiryû posait déjà un regard nouveau sur les informations qu’il avait obtenues.

Par contre sa demande n’était en l’état pas ou peu concevable. Le Kenpachi avait beau aimer se battre, il ne pouvait se permettre de laisser un ennemi prendre plus de force même si cela rendait les combats plus intéressants. Les événements les plus récents le prouvaient. Le laxisme envers les ennemis de la Soul Society avait été tel que Quincy et Arrancars étaient presque parvenus, chacun à leur tour, à renverser les forces en présences. Et maintenant que le Gotei parvenait à remplacer les hommes et femmes qui avaient péris lors de ces guerres, voilà que le Taishô de la Seconde Division demandait que la Onzième lève le pied ? Absurde ! Quant à la raison avancée, elle l’était tout autant. Des combats qui amèneraient encore plus de morts parmi le Seireitei ne pouvaient de toute évidence pas les renforcer. Si le laxisme était réel, il fallait agir autrement.

- J’ai capté… J’veux bien te tenir au courant des trucs un peu louches que je trouverais. Par contre tu te plantes sur la méthode à employer. S’il y avait un autre combat comme celui contre les Quincy aujourd’hui, les trois-quarts de nos effectifs tomberaient. Durcir le fonctionnent du Gotei, ouais je suis pour. Mais là, ce serait juste une boucherie. Trouve autre chose.

Bien sûr, Shinjirô ne pensait pas un instant que ce type pouvait avoir l’idée de renverser le système en place. Non seulement ce projet serait dangereux – voir irréalisable sans appui – mais surtout il ne se serait certainement pas confié ainsi au Kenpachi. Il semblait intelligent, or agir autrement serait de la pure folie. La discipline était un domaine cher au cœur de Kiryû, même si ça n’avait pas toujours été le cas par le passé. On ne forçait pas les choses. Pas aussi radicalement en tout cas. Par contre le raisonnement de l’assassin était faux sur un point précis, point que le Kenpachi allait de suite détailler.

- Tu fais fausse route sur un truc, par contre. Tu penses que si nous levons le pied, en laissant nos ennemis tranquille, les plus puissants sortiront de l’ombre. C’est plutôt l’inverse. Si nous les stoppons assez tôt, nous forcerons ces lâches à quitter leur tanière bien plus rapidement que prévu. Regarde-nous ! Les Shinigamis sont envoyés en première ligne. Si résistance il y a, on envoie les capitaines de Division. Y’a plus de chance que ce soit la même façon d’agir pour eux. Et regarde l’avantage… S’ils sortent trop tôt, ils seront moins préparés. Ce ne sera que plus simple de torpiller ces monstres.

S’il partageait son envie d’avoir de beaux combats, il restait toutefois cohérent. En l’état, une grosse attaque serait fatale au Seireitei. Et le taff des capitaines était précisément de renforcer les effectifs et de les préparer au mieux.

Kenpachi dévoilait enfin tout son aspect stratégique. Aoshi était quelque peu surpris, mais réellement étonné. Pour être un combattant d’exception, il fallait bien faire preuve d’un minimum de génie militaire. Ce type avait l’air plutôt confiant et receveur des idées de l’espion, mais pas forcément d’accord sur la méthode à employer. Dommage que cela se joue de cette façon, mais le capitaine n’avait pas dit son dernier mot. La dernière guerre contre les arrancars, mais aussi, et surtout, l’assaut de Bach sur Soul Society, avaient démontré le terrible manque de rigueur qu’avait laissé s’instaurer Genryusai tout au long des derniers siècles. Laisser les ennemis se préparer pour mieux les prendre de court était une technique peu banale et qui pouvait paraître ridicule, mais le ninja n’y pensait pas ainsi.

Ainsi, le capitaine de la onzième division jugeait plus utile de les écraser avant qu’ils ne puissent mettre en place un quelconque plan. Mais c’était justement ce que craignait Aoshi. Cette certitude maladive de toujours pouvoir gagner était l’hybris qui avait faillit anéantir la Seireitei peu de temps auparavant. Ils prenaient la voix de la facilité à vouloir régler tous les conflits trop vite, ils ramollissaient la puissance des shinigami. Malgré tout, Kenpachi était sur la bonne voie dans son raisonnement, de la même façon que l’assassin était persuadé d’être dans le juste avec sa façon d’appréhender les évènements. Seul le temps leur dirait quel aurait été le bon choix, mais il fallait tout de même qu’il tente de s’expliquer.

« Justement, la simplicité va renforcer terriblement le sentiment de confiance excessive qui prend Soul Society depuis ces dernières années, comme elle nous prenait il y a déjà plusieurs siècles. Les missions sont devenues trop faciles, nos jeunes générations sont moins bien formées que celles d’il y a quelques décennies, et ces mêmes générations précédentes, elles, se sont fait balayer par Bach. Autrement dit il faut trouver un moyen de restaurer l’équilibre. » Expliqua le capitaine de la seconde division, l’air sérieux. « C’est le déséquilibre qui amène, un jour ou l’autre, à ce qu’un camp submerge les autres, parce que l’on ne croit plus à sa dangerosité. Il y aura toujours des Hollows, mais pas forcément toujours des Shinigami. J’ai proposé une motion pour que nous renforcions les entraînements quotidiens et le système général, mais elle n’est pas passée. Je ne sais même plus si le conseil des 46 a un réel pouvoir depuis qu’Aizen les a massacrés il y a quelques années. » Continua-t-il, soucieux.

En tant qu’agent de renseignement, il était de son ressort de s’inquiéter trop, c’était peut-être même en parti son travail. Il faisait néanmoins confiance à son collègue de la onzième division pour raffermir sa poigne sur ses hommes. Si la division réputée la plus brutale de toute la Seireitei était en forme, accompagnée des services d’espionnage les plus rigoureux, nul doute qu’une nouvelle attaque ne serait pas un problème. Hochant la tête, Aoshi tenta de chasser ses doutes, mais il restait empreint d’un étrange pressentiment. Sans doute les attaques successives d’Aizen et des Quincy l’avaient-elles laissé légèrement paranoïaque, en tous cas il mènerait sa propre enquête, discrètement, en dehors même de la Soul Society, s’il le fallait.

Observant une nouvelle fois par delà le balcon, l’assassin fit bien attention à ne pas être entendu. Lui qui avait une réputation d’extrémiste acquise chez les rares personnes le connaissant, il n’avait pas besoin d’une encore plus mauvaise publicité. Il fit craquer son cou doucement en constatant que personne n’était là, légèrement soulagé. Décidemment, personne n’osait réellement s’approcher des quartiers de la première division après une réunion, sûrement pour éviter les capitaines énervés qui devaient en sortir. Le ninja lui-même se rappelait de l’ambiance de tension qui régnait entre ses prédécesseurs à chaque sortie de réunion.

L’ambiance était des plus calmes ces temps-ci, en contraste avec cette époque. Sûrement le fait d’avoir Shunshui comme Commandant, bien qu’il se soit ressaisi. Ce type n’inspirait pas vraiment confiance à Aoshi, pas dans le sens de la faiblesse ou de l’incompétence, ni même du danger, mais plutôt parce qu’il était trop doux, trop flemmard pour paraître vraiment apte à remettre le Gotei 13 en ordre. Kenpachi semblait être un des rares capitaines à pouvoir comprendre les intérêts que voulait servir l’espion. Ainsi, persuadé que cet homme ne lui mettrai pas de bâtons des les roues, le ninja décida d’accorder du crédit à son hypothèse.

« Tu as ma confiance, dans ce cas. Peu importe le moment où ils apparaitront, de toute manière. Si quelqu’un tire les ficelles, il finira par se montrer, j’espère juste que les divisions auront durci leur poigne entre temps. La cohésion au sein de la Seireitei m’est souvent reprochée quand elle fait défaut, vu que je dois gérer l’Omnitsukido. Je souhaitais donc juste me mettre au courant avec toi, étant donné que ta division sera aux premières lignes dans le cas d’un affrontement. Malgré le refus du conseil, j’ai quand même débuté un programme plus intensif et disciplinaire dans ma section, afin d’être prêt s’il le faut. Je serai prêt à agir si quelque chose de suspect se produit. » Expliqua le guerrier, calmement.

Les bras du capitaine étaient toujours croisés, comme à son habitude, pas par signe de nonchalance, mais pour montrer sa concentration. Il enrageait de ne pas pouvoir se déplacer lui-même sur les terres du monde creux pour aller vérifier ses soupçons. Ce poste qu’il avait tant désiré pour la gloire montrait maintenant ses limites, lui qui avait tout le temps à demander la permission de se rendre ailleurs que dans la Soul Society. Etait-ce pareil pour son collègue ? La question le taraudait. S’il aimait, certes, se battre, de telles restrictions devaient être bien plus gênantes pour le capitaine de la onzième division, qui n’avait sûrement pas dû avoir un affrontement à sa hauteur depuis belle lurette. Laisser les plus puissants shinigami rouiller ainsi était-il vraiment une si bonne idée ? Une pensée vint alors à l’esprit du guerrier, qui releva la tête, son regard se portant à nouveau sur Kenpachi.

« N’enrages tu pas de devoir faire le chien pour avoir la permission de sortir d’ici, pour un oui ou pour un non ? Peut-être est-on plus permissif avec ceux de la onzième, moi je n’ai que peu d’occasions de sortir. Et donc peu d’occasions de me battre. » Commença-t-il. « Je pense que tu vois où je veux en venir. Vous qui avez une réputation de guerriers surpuissants, pourquoi ne pas nous entraîner un jour ? Je ne suis qu’un capitaine récent, pas forcément au niveau des plus anciens, tester ma force contre un collègue m’aiderait à me situer. Bien sûr ce ne serait pas pour aujourd’hui, mais je serais ouvert à l’idée. » Termina Aoshi, prêt à reprendre ses activités journalières après une réponse.

Shinjirô comprenait parfaitement où voulait en venir le capitaine face à lui. Et si ses intentions étaient louables, il n’en devait pas moins rester extrêmement prudent quant aux propos qu’il avançait. Le colosse, une fois encore, ne prenait absolument pas cela comme de la félonie mais d’autres Capitaines plus enclin au jugement – comme Tenzen par exemple – n’auraient certainement pas fait l’impasse sur ces dires. Encore que… Il y avait du vrai dans ce qu’il avançait et la faiblesse du Seireitei était évidente. N’était-ce pas pour cela que Shinjirô avait quitté le Gotei deux siècles auparavant, afin de s’entraîner seul ? Agir pour le bien de tous. C’était le crédo de Aoshi, sans le moindre doute.

- Le Conseil est inutile. Ce n’est pas nouveau. A quoi bon perdre du temps avec eux ?

La sincérité perçait dans les propos du colosse. Ne jamais s’embarrasser de mots superflus et aller droit au but. Une qualité rare chez les représentants des différentes divisions. Une qualité que semblait posséder son homologue. Un sourire féroce apparut sur les lèvres du Kenpachi alors qu’il reprenait :

- Y’a qu’un seul moyen de renforcer les entraînements. C’est tout simplement de me laisser la direction des opérations. Avec moi, c’est marche ou crève ! Si nos gars ne tiennent pas la cadence, ils resteront sur le carreau lors de la prochaine guerre. Ca tient aussi pour les Shinigamis appartenant à ta division. Alors si ça te tente, plutôt que de passer par l’administration, viens à la Onzième.

Bien qu’il ne remette pas en doute les compétences du chef des Services Spéciaux et sa façon de durcir son propre entraînement avec ses hommes, Shinjirô préférait ses propres méthodes. Savoir conduire un assaut ou savoir s’adapter à la situation lorsque l’on se trouve en plein combat, c’était de son ressort. Et il n’y avait certainement pas meilleur comme professeur. Rude, il l’était. Mais c’est ainsi que l’on forgeait de vrais guerriers, pas autrement. Bien sûr, il ne saurait jamais enseigner l’art de la nécromancie ni les déplacements éclair mais dans ce qui concernait le maniement du Zanpakutô et l’art du Hakuda, il n’avait pas ou peu d’égal. Sa proposition était donc sincère et utile au Seireitei.

Attrapant le cure-dent qu’il mâchouillait depuis quelques minutes, il le jeta négligemment au travers du balcon, sans se soucier de polluer inutilement les quartiers de la Première Division. Ce n’était pas le genre de chose dont il se souciait pour être franc. Quant à la réflexion de son comparse concernant sa qualité de « chien » ou du moins de ce qu’il fallait faire pour sortir d’ici, cela n’entrait pas non plus dans ses préoccupations. Des règles existaient, il fallait s’y plier tant que cela ne mettait pas en danger l’intégrité et la sécurité du Seireitei. Il comprit également la demande de ce dernier. Une offre qui fit sourire le colosse et qu’il ne pouvait qu’accepter. La base d’un guerrier étant de se confronter aux autres, refuser un défi lui paraissait impossible.

- La seule chose qui m’emmerde avec cette histoire de passage sur terre, c’est de voir ma force bridée lorsque j’y vais. J’sais bien que ca permet de garder l’équilibre et tout et tout. Mais y’a rien de plus chiant que de ne pas être à fond. C’est déprimant. Pour ta petite demande, c’est avec plaisir que je m’opposerai à toi.

D’un bond, Shinjirô arriva sur le rebord du balcon, non sans égratigner au passage le sol avec son arme. Accident évidemment mais qui n’avait rien de nouveau : Kaimetsu étant aussi grande que Shinjirô, ils leur arrivaient à tout deux de laisser des traces durables là où ils allaient. Tournant une dernière fois son regard vers le Capitaine, il lui adressa ces derniers mots :

- Passe à la Onzième à l’occasion. Histoire de voir ce que tu vaux. On se tient au jus pour cette histoire de Hollow, mon pote. Moi, je me tire.

Ce qu’il fit dans la foulée, sautant de l’estrade pour atterrir quelques mètres plus bas. Ce petit entretien avait été intéressant finalement.