Le Yermo... Du sable blanchâtre à perte de vue, qui contrastait avec un ciel aussi noir et obscur que l'âme de ceux qui l'arpentaient. Si la flore y était inexistante, on ne pouvait pas en dire la même chose de la faune. Simples Hollows, Adjuchas ou même Vasto Lordes millénaires pouvaient se cacher derrière la moindre dune de sable de cet illusoire paysage désertique. Ce n'était pas un lieu où il faitsait bon vivre pour les faibles, et nombreux étaient les habitants du Yermo qui se réfugiaient à Las Noches, splendide bâtiment dont on apercevait les courbes depuis le désert.

Là, dans ce palais si vaste et si grand, cohabitaient les Arrancars. C'étaient des êtres qui avaient abandonnés leur bestialité, leur masque, sur le seuil de la porte afin de gagner en puissance et en assurance. Pour le petit garçon qui traversait les étendues sablées du Yermo tout en regardant pensivement les formes lointaines de édifice, ce n'étaient que des morts en sursis, déjà enfermés dans leur cercueil constitué de pierres et de salles. Un cercueil aussi colossal que leur bêtise était crasse.

Pourtant, une lueur de convoitise passa dans le regard du jeune garçon alors qu'il contemplait le palais, s’infiltrant dans le bleu de ses yeux sous la forme d'une rivière d'émeraude. Un jour, ces murs seraient sien. Non par peur du désert ou de ce qu'il pouvait receler. Juste histoire de montrer à tous que dans le désert jouxtant le palais, il y avait un être qui, dans son incommensurable bonté, laissait le bon roi chauffer son trône à sa place.

Enfin, ce n'étaient là que de viles rêveries et Salvador les chassa de son esprit en secouant la tête, tandis que ses pupilles reprenaient le bleu de l'assurance. Il n'était pour l'instant ni assez fort pour prendre le pouvoir, ni assez stupide pour le désirer de tout son être. Il se laissait juste bercer par de tels fantasmes, afin de tromper son ennui.

Cela faisait plusieurs heures qu'il marchait, et il touchait presque au but. Bien entendu, il aurait pu courir ou même enchaîner les Sonidos afin d'arriver à sa destination en bien moins de temps, ce qui n'aurait pas non plus coûté une quantité faramineuse d'énergie spirituelle. Sauf que Salvador disposait de ce qui manque aux simples mortels : du temps. Il n'était donc pas avare de patience, et prenait plaisir à se contenter de marcher alors qu'il pouvait aisément courir, comme un chat peut prendre plaisir à laisser partir sa proie alors qu'il peut la manger.

Un nid de vers de sables : tel était sa destination. Depuis maintenant plusieurs années, Salvador s'intéressait à la science, plus particulièrement à l'étude des organismes d'origine Hollow ou dont la création avait été influencé par les Hollows. Vizards, Adjuchas, Fullbringers, Vasto Lordes, Arrancars, tant de races qu'il espérait étudier avec calme et attention. Les vers de sables, qui survivaient en se nourrissant de pauvres Hollows isolés, intéressaient grandement Salvador. En effet, certains de ces vers avaient mis au point un système de défense plutôt inattendu : dans les phéromones qu'ils produisaient, une molécule empêchait les êtres organiques touchés d'employer leurs techniques spirituelles de nature Hollows. Ainsi, le Cero, le Bala ou toute autre technique de ce type étaient totalement inutilisables contre ces vers. Les Hollows qui avaient d'autres pouvoirs ou de bonnes caractéristiques physiques s'en sortaient tout de même. Quant aux autres... Ils n'étaient plus de ce monde pour démentir ces faits.

Toutefois, les vers n'étaient pas un grand problème pour un ancien Vasto Lorde et Salvador considérait que tuer et ramasser plusieurs dizaines de porteurs de phéromones ne serait guère un problème. Enfin, c'était sans compter sur la forme humanoïde qui s'approchait du garçon, venue tout droit de Las Noches.

Les contours de la forme se précisèrent, dévoilant une jeune femme bien plus grande que Salvador, que bien d'hommes ne se seraient pas lassés de regarder. Mais le jeune garçon se contenta d'examiner la créature du regard, cherchant un quelconque numéro sur sa chair. Las Noches était bien trop proche, et cette créature bien trop humaine pour ne pas faire une corrélation entre ces deux faits.

D'une mince courbette, la créature se présenta en un mot : Shotoka. C'était très impersonnel de sa part, et Salvador se demanda ce que la Dixième Épée pouvait bien penser de lui. Se cantonnait-elle toujours à ce type de présentation courte et efficace ou faisait-elle un effort pour le singulier personnage qu'il représentait ? Cela resterait certainement un mystère.

Quant à savoir comment l'enfant millénaire pouvait savoir qu'il était en présence d'une Espada... Salvador disposait de bon nombres d'informateurs (la plupart l'étant contre leur gré), et était donc capable de nommer les dix créatures qui occupaient actuellement les sièges des Espadas. Lui donner un nom, c'était lui donner ses titres, aussi pompeux qu'ils puissent être.

Contemplant fixement la nouvelle arrivant, Salvador avança d'un pas, quittant l'immobilité que lui avait causé l'apparition de ce facteur inconnu. Il se fendit d'une simple courbette et, un sourire amical aux lèvres, se présenta à son tour.

- Salvador.

Son complet gris lui donnait une impression d'assurance mâle qui contrastait avec sa petite taille et son visage d'enfant. La couleur de sa chair, parfaitement normale, rendait la distinction avec un réel enfant difficile. Même ses yeux bleus semblaient proclamer sa candeur enfantine et sa naïveté maladive. Pourtant, derrière cet apparence capable de symboliser l'Enfance même, se tenait l'un des habitants du Yermo les plus âgés.

Bien qu'il n'ait que bien peu de respect pour les habitants du palais, le démon aux traits juvéniles devait traiter les Espadas avec la même patience et la même dextérité que s'il s'agissait d'une des substances hautement instables qu'il manipulait parfois dans son laboratoire. Défier ouvertement Las Noches et ses hérauts était de loin la pire idée qui puisse naître dans l'esprit d'une créature du Yermo, surtout lorsqu'elle n'avait pas -et n'avait jamais eu- l'appui des Seigneurs du désert.

Se montrer respectueux et courtois était la meilleure chose à faire, pour les deux partis.

- Quel bon vent vous amène hors de votre forteresse, Shotoka ? demanda innocemment Salvador, son sourire s'étirant davantage.

Il n'y avait pas le moindre vent, mais l'arrancar se plaisait à employer les expressions humaines. Il les trouvait amusantes, surtout lorsque l'ironie se dissimulait dans la teneur de ses paroles, leur ajoutant un goût acide particulièrement... rafraîchissant.

Le sourire de Salvador s'étira encore davantage lorsque son interlocutrice lui renvoya sa question. Quelle explication pouvait-il donner à sa présence dans les environs de Las Noches ? Cette question appelait à faire un choix : mentir, éluder ou répondre franchement. L'être millénaire à l'aspect juvénile fit le troisième choix, ne voyant aucun intérêt à mentir à cette Épée si respectueuse.

- Ce que je viens faire près de Las Noches ? Vous l'ignorez sans doute, mais il y a un nid de vers des sables à proximité. J'étudie ces charmantes bestioles et leurs capacités, et j'ai pour cela besoin d'un certain nombre d'échantillons. Ce n'est donc qu'une pure coïncidence, même si cette forteresse exerce sur moi une véritable... (il semble réfléchir au mot adéquat) fascination.

L'être de nature féminine se rapprochait du nommé Salvador avec confiance, tandis que ce dernier restait d'un calme olympien, aussi immobile qu'une statue antique. Jusqu'à présent, hormis lors des mouvements nécessaires à sa courbette, seules ses lèvres et les traits de son visage avaient bougé. Shotoka était une créature plutôt intéressante, et l'intérêt de Salvador grandissait dans la mesure qu'il y avait longtemps qu'il n'avait pas eu un interlocuteur digne de ce nom. Aussi, lorsque l'Espada lui annonça qu'elle était venue effectuer des exercices, Salvador eut du mal à dissimuler sa satisfaction. Il parvint cependant à faire garder à son visage sa teinte habituelle, bien qu'une lueur verdâtre passa dans la rivière bleutée qui entourait la pupille de chacun de ses yeux.

- Vous appréciez réellement le calme qui règne en ces lieux ? Je dois dire que cette attitude n'est pas pour me déplaire et que je serais fort honoré de pouvoir assister à vos exercices. J'apprécie les êtres qui préfèrent s'exercer dans le calme et la sérénité d'un environnement naturel, plutôt que dans le secret de leurs appartements.

L'éternel enfant détourna son regard de la silhouette de Shotoka et, bougeant sa tête, laissa sa vision se perdre dans le vague.

- Quant à mes confrères Arrancars... Disons que je n'en connais aucun qui soit digne d'intérêt, moi inclus. S'il y a des êtres à craindre, dans ce désert, c'est bien les Vasto Lordes. Ou les Arrancars qui sont issus de cet ultime stade d'évolution, mais je n'en connais aucun. Même si ça n'engage que ma parole, vous êtes bien la bienvenue sur ces terres, aussi longtemps que vous le désirerez. Je serais même flatté que ma présence vous oblige à rester plus longtemps que vous ne l'aviez escompté.

Reportant son attention sur la jeune femme, Salvador écouta attentivement ce qu'elle avait dire. Lorsqu'elle lui proposa de l'escorter jusqu'à Las Noches, l'Arrancar de base Vasto Lorde se crispa légèrement avant de reprendre sa contenance habituelle. C'était courtoisement dit, la politesse était de mise, mais cela sonnait aux oreilles de Salvador comme une peine de prison. Il ne se sentait pas encore près pour rentrer dans la gueule du loup sans la moindre appréhension.

- Puisque vous êtes capable d'apprécier le désert à sa juste valeur, vous devez sans doute comprendre les raisons qui me poussent à décliner cette aimable invitation. Il m'aurait également été plaisant d'y être accompagné, surtout par quelqu'un comme vous, mais je ne puis me résigner à quitter le Yermo. Cependant, je réitère ma demande : me permettriez-vous d'assister à vos exercices ? Je vous permettrais ensuite, du moins si cela vous intéresse, de m'assister dans ma récolte : vous pourrez ainsi convenir que mes activités ne représentent aucun danger pour Las Noches et ses habitants.

Lorsque Shotoka déclara qu'elle préférait le considérer comme un débutant plutôt qu'un simple spectateur, les traits de Salvador se contractèrent. De véritables nuées noirâtres passèrent dans son regards qui, telles de funestes voiles, semblaient annoncer une mort prochaine.

* Laissons la rage et la frustration aux faibles. Je suis bien trop âgé pour me laisser aller à la colère pour une simple question d'orgueil. * pensait-il, tout en restant muet.

Son iris reprit une couleur plus innocente, plus pure. Il sembla plus calme, presque apaisé. Tandis que Shotoka parlait et guidait ses mouvements, lui expliquant qu'il fallait connaître son propre corps, l'esprit de Salvador était à des lieues de là. Dans l'abri impénétrable de son imaginaire, l'Arrancar juvénile fracassait des crânes, arrachait des masques et buvait le sang des Hollows sans défense qui grouillaient à la surface du Monde Creux. Il n'en fallait pas moins pour qu'il conserve son calme, alors qu'il se faisait traiter comme un enfant, comme un être inférieur.

S'il avait eu de l'estime pour la jeune femme, il n'éprouvait à présent plus qu'une haine glaciale. Bien entendu, il ne comprenait pas que la jeune Vizard lui accordait sa confiance en lui donnant cet entraînement. Il ne voyait pas que ce qu'il considérait comme une abjecte raillerie, comme une plaisanterie infâme, n'était rien de plus qu'une sorte de marque d'intérêt, voire de respect. Non, Salvador était bien loin de comprendre la philosophie de l'art qu'était le Wing Chun. Et il ne voulait pas le comprendre. Il voulait voir le visage de cette femme se parer du masque du Hollow, il voulait tout connaître de ses techniques les plus puissantes. Le savoir, c'était le pouvoir, et Salvador en avait soif.

Deviens un faux ami, mais un vrai espion. Apprends à connaître tes ennemis.

Tels étaient les préceptes qu'appliquait, en ce moment-même, l'être millénaire. Le sourire qui étirait ses lèvres, alors que Shotoka guidait ses gestes, était franc. Sauf que la cause de ce sourire n'était pas la jeune femme, mais les barbareries que commettait Salvador dans son imaginaire. Plongé dans ses fantasmes, il n'en était pas moins attentif à la jeune femme, qu'il percevait comme à travers un voile, et se laissait guider sans rechigner.

Elle semblait considérer que les arts-martiaux, pratiqués par les hommes, étaient de grossiers tours de force. Salvador se serait fait une joie de lui prouver le contraire, mais il n'acceptait pas de montrer ses talents de combattant à la légère. Contrairement à Shotoka, il ne laissait éclater son art mortel que sur un champs de bataille. Les seuls apprentis et spectateurs qu'il avait eu étaient à présent, et à jamais, morts.

- Intéressant. Une vitesse qui surpassera largement les autres techniques de combat... Très intéressant. Je suis plutôt néophyte dans le combat au corps à corps, mais je suis quand même plutôt déçu. Vous avez voulu me montrer les bases, et je conviens qu'il faut d'abord apprendre à marcher avant de courir, mais pourquoi ne me feriez-vous pas une démonstration de cette vitesse ? Histoire de me montrer que l'Espada n'usurpe pas sa réputation...

Il ne s'attendait pas à ce qu'elle accepte, toutefois, qui ne tente rien n'a rien. Depuis sa rencontre avec Logan Van Singer, Salvador prenait beaucoup de plaisir à se dévaloriser. Qu'il était plaisant de dissimuler sa propre valeur, de se faire passer pour le commun des mortels alors qu'on avait partagé la compagnie des « dieux » du Monde Creux !

Non, Salvador ne se lasserait jamais de ce petit jeu.

- Ais-je commis l'erreur de vous offenser ? Je m'en excuse. Et je refuse de vous combattre, même lors d'un entraînement. N'y voyez pas un quelconque mépris ou même un machisme imbécile. Pour moi, les entraînements se font seuls. Lorsque deux personnes sont amenés à se battre, seule l'une d'entre elles vaincra. Mais vous avez parlé du Shotokan, me feriez-vous une démonstration de quelques katas ?

Salvador n'était pas décidé à se battre, enfin plutôt à tuer. Il ne voulait pas que ses relations avec Shotoka s'étiole à ce point. Bien entendu, il ne l'estimait guère, la méprisait même. Qu'est-ce qu'il en avait à foutre des arts-martiaux inventés par ces insectes d'humains ?! Pourquoi voulait-elle à ce point lui faire une démonstration de force ? C'était ça, l'Espada ? De misérables Arrancars ou Vizards qui se contentaient de copier les techniques humaines ? Pathétique !

Pourtant, Salvador avait des connaissance dans ce domaine. Il ne s'était pas fait tout seul. Certains Adjuchas qu'il avait rencontré n'avaient pas été de simples mortels sans ressources. Il avait tué des professeurs, après leur avoir extorqué tout leur savoir. Le Muay-thaï, le Shotokan, l'Aikido, le Judo, le Karaté, la boxe anglaise, le pugilat grec et bien d'autres disciplines martiales, provenant d'une grande diversité d'époques et de civilisations, avaient rythmé ses entraînements des dix dernières années.

Pourtant, aucune de ces disciplines ne lui convenait. Salvador ne cherchait pas à ce que le combat dure, il ne voulait pas se contenter de parer, d'anticiper les mouvements de son adversaire ou même de porter des attaques. Non, ce qu'il désirait, c'était en finir avec son adversaire d'un seul coup. Le combat était un art, du fait qu'il soit éphémère. Plus le combat était rapide, plus le combat était beau, magnifique. Abattre des adversaires puissants en une seule attaque, voilà ce à quoi Salvador s'était entraîné. Ce n'était pas un combat, il n'y avait pas le respect due à l'adversaire dans la majorité des arts-martiaux.

Et il ne pouvait en faire la démonstration car, une fois lancé, il ne pouvait pas suspendre ses propres mouvements. Lorsqu'il combattait, Salvador tuait son adversaire en un éclair. Si jamais quelqu'un parvenait à survivre à son attaque... Salvador ne préférait pas y penser. Il se ferait probablement tuer. S'il était capable d'anéantir la plupart des créatures du Monde Creux, à quelques exceptions près, d'un seul coup, l'inverse était vrai.

- Si vous ne voulez pas me faire la démonstration d'un WanKan ou d'un Chinte, que vous devez certainement maîtriser avec un nom pareil, pourquoi ne passerions-nous pas à la collecte des vers ? demanda l'enfant, d'un air enjoué.

Si Shotoka acceptait de faire une démonstration, tant mieux. Sinon, Salvador avait également des choses à lui montrer.