Une légère brise tiède s’engouffra au plus profond de la tanière, avant de mourir sur l’enchevêtrement de corps assoupis. Les quelques gémissements et frissons provoqués par ce choc thermique furent suffisants, et bientôt le scintillement d’une pupille dorée perça les ténèbres environnantes. Le regard de l’impératrice des sables se mit à parcourir silencieusement chaque recoin, et une foule de questions naquirent dans son esprit encore embrumé. Où ? Comment ? Pourquoi ? Un cheminement qui la mena très vite à reconsidérer sa propre condition physique. Elle tenta vainement de se redresser, notamment à cause de la douleur toujours aussi lancinante lui plombant l’échine. Pourtant la source première de cette incapacité à se mouvoir proprement lui octroya, l’espace d’une seconde, un sentiment proche de l’amour maternel. Car en effet, si Hammer restait fidèle à son poste de gardienne à l’entrée du repaire et si Betelgeuse manquait à l’appel, pour les deux dernières impossible de rester de marbre. Stup et Flip, chacune à leur manière s’étaient lovées, emmêlées de part et d’autre de son corps vierge d’artifices, visages enfouis contre sa poitrine généreuse. A l’image d’une mère et de ses filles, bien que pour la nonne masquée on était en droit de se questionner sur la nature du geste. Toujours est-il qu’après s’être délectée de la scène la Tercera n’eut d’autres choix que de s’abandonner à leur étreinte passionnelle, avant de reporter son attention sur l’unique individu susceptible de lui apporter un semblant de réponse. Et encore…

- Hammer, j’aimerais un récapitulatif des évènements depuis notre escapade sur Terre. Tu pourrais m’éclairer ou tu fais toujours vœu de silence ?

Miracle, une réaction. La chienne de garde est visiblement capable de comprendre lorsqu’on lui parle.

- Le colosse est tombé, Mère. Vous emportant avec lui, ainsi que l’une de nos sœurs. Nous avons suivi vos ordres à la lettre et avons planifiés l’extraction. Depuis, je veille.

Double miracle, la bougresse daigne enfin parler.

- Où est Betelgeuse ? Quel est ce taudis et depuis combien de temps sommes-nous rentrées ?

Cette fois elle se mura de nouveau dans son silence, consciente ou non qu’on prendrait le relais. Une formidable télépathe, la petite Betelgeuse. Elle se lança aussitôt dans un long monologue, soucieuse de répondre au flot de questions gangrénant son éveil laborieux. Elle confirma tout d’abord la chute de leur adversaire commun, la sienne, le repli stratégique au plus fort des combats et le pénible retour au bercail. Vint l’éprouvante convalescence, l’étrange coma semé de phases lucides, Daestra invoquant un certain Borick avant de replonger dans les limbes, souffrant le martyr. Prises de pitié et d’un furieux amour naissant envers leur nouvelle Mère adoptive les quatre sœurs, une fois rétablies avaient entrepris de construire un semblant de refuge partiellement enfoui où elles veillèrent au bon rétablissement de leur modèle. Laquelle n’avait jusqu’à maintenant pas retrouvé son éternelle cuirasse d’ivoire, ce qui en plus de l’exposer aux risques extérieurs faisait également étalage de ses nombreux stigmates corporels auxquels s’ajouta dans toute la zone de la clavicule gauche la forme approximative d’un poing gigantesque. Vestige de son dernier affrontement, mais aussi symbole d’une chasse interrompue qui ne pourra désormais lui sortir de l’esprit avant de faire front et de vaincre.

Le briefing terminé, on lui proposa de revêtir quelques habits car, devant l’insistance de ses requêtes concernant le dénommé Borick la télépathe avait entreprit de l’en informer personnellement et de l’inviter au cœur du désert en vue d’un quelconque entretien. Fort heureusement le réveil de la prédatrice tomba à pic, puisque la présence de cet homme encore inconnu des sœurs venait d’être captée dans le périmètre. Répugnant à l’idée de se vêtir de haillons et de montrer son véritable visage à l’Empereur, l’Espada se fit violence et tenta une nouvelle fois de se redresser. Au risque de réveiller ses filles encore en phase d’hibernation. Il lui aura fallu plus de temps qu’à l’accoutumé, toutefois sa cuirasse la recouvra bel et bien. A défaut de ne s’être véritablement remise de sa chute, elle pourrait sauver les apparences. C’est aussi ça, l’avantage du masque.

Voir, facile à dire. Devait-elle lui rappeler sa condition, au risque de le décrédibiliser aux yeux de ses filles à défaut des siens ? Non, car à priori il ne s’agissait là que d’une simple tournure de phrase laquelle, restée en suspens lui suggérait de prêter attention. Ce que fit donc la Principessa, amusée d’abord puis brutalement circonspecte. Son éternel sourire devint fade, et se figea pour embrasser le silence ambiant. Son analyse approfondie ne lui donna aucune information susceptible de trahir un changement radical, en revanche l’examen de surface révéla un détail d’importance. Il faut dire aussi que la prédatrice ne se focalisait guère sur l’apparence de ses interlocuteurs la plupart du temps. L’image est trop souvent un reflet du mensonge, alors que le noyau lui ne sait se jouer d’une âme affutée et fourbe. Voilà pourquoi le numéro présent sur son visage ne lui fit pas de l’œil au premier regard, pour ainsi dire. Et, si la découverte en elle-même ne signifiait absolument rien pour Daestra on ne pouvait toutefois nier que la chose ne s’était faite par hasard. Quant à savoir s’il fallait l’inclure dans son projet….

- Est-ce là ta façon de noyer une panthère ? Lui promettre allégeance dans un premier temps ? Bah, tu sais bien ce que tu fais après tout, pour autant n’espère pas mes faveurs ou celles de mes filles en guise de bravo. Un numéro reste un numéro, j’imagine que tu en es aussi conscient que je le suis sur ce point…

Une nouvelle grimace se dessina sur son visage d’ivoire. Une expression franche et sincère afin d’appuyer ses moqueries tout en faisant preuve de compassion. Nul doute que sa récente promotion devait être due à un quelconque fait d’arme, ce qui n’arrangerait certainement pas ses accès de mégalomanie naturelle. Toujours est-il que cette information ô combien futile pour l’hybride posa une énième pierre à son édifice, jusqu’au jour où la rampe serait suffisamment solide pour envisager d’autres perspective plus reluisantes. Car une chose sûr : cet homme n’est pas fou. Elle l’avait vue, sa terre promise. Elle s’y était rendue, avait gouté à la chaire des proies locales et à l’acier des gardiens défendant avec ferveur la misérable parcelle du paradis qui serait bientôt le sien. Le leur. Mais avant de le lui confirmer, une initiative plus en adéquation avec le thème traversa son esprit.

D’un geste de la main, elle l’invita à prendre place. De l’autre un subtil claquement se fit entendre, tandis que le reste de son corps martyrisé se contenta de jouir d’une confortable assise lui servant jusqu’alors de nid. Le signal sonore rameuta ses dernières filles restées dehors, qui se placèrent automatiquement de part et d’autre de leur génitrice adoptive. Stup et Flip, encore hébétées tentèrent vainement de paraître plus présentables.

- Comme tu peux le voir, question nouveauté, je suis servie à la même enseigne…

Elle désigna chacune de ses disciples à la manière d’une vendeuse d’esclave, et ajouta d’un ton amusé en balayant la pièce de son regard inexistant.

- Ceci. Ceci, est la Nature.

Puis d’un ton plus impérieux, plus froid.

- J’incarne sa Loi. Quiconque se plaît à jouer avec les lois de la Nature finit un beau jour par en payer le prix fort. Qu’importe le moment, la manière ou l’endroit. Garde bien ça à l’esprit et je ferais en sorte de répondre aux attentes qui sont les tiennes. Parle donc mon ami, sans détours. L’heure n’est plus aux politesses et autres civilités d’usage. Nous sommes en guerre, et je compte bien m’en donner à cœur joie…

Shinigami. Ce nom lui revenait souvent. La plupart du temps il ne s’agissait que d’un subtil murmure rythmant ses nuits cauchemardesques où elle déambulait nue, agonisante, en plein milieu d’un champ jonchés de cadavres dont les visages d’apparence familiers ne la quittaient pas du regard à mesure qu’elle s’avançait jusqu’à atteindre le sommet d’une colline gorgée du sang de ses victimes. A bout de forces elle s’écroulait alors devant la lame plantée en son centre, sur laquelle flottait toujours ce curieux manteau d’ivoire maculé. Les insignes, le blason y figurant lui chuchotait quelque chose d’incompréhensible. Mais lorsque son esprit tentait de s’attarder dessus vainement, une créature dégoulinante de ténèbres et portant une couronne d’os surgissait brutalement par derrière elle pour lui planter ses griffes d’ébène, lui arracher le visage tout en s’armant d’un sourire carnassier, le sien, et ainsi l’offrir au néant qui précède un réveil soudain.

Une vision dantesque qui venait justement de reparaître en plein « jour », sous les yeux inquiets de ses filles remarquant sans mal que leur mère souffrait en silence. Il lui aura fallu quelques secondes pour reprendre ses esprits, et constater son état. Malgré que la Principessa soit en nage et crispée de tout son corps, elle tenta de dissimuler la chose à son interlocuteur en reprenant la parole. A commencer par celle lui ayant procuré un tel supplice.

- Ces Shinigamis… J’ai plusieurs comptes à régler avec eux, et des réponses à trouver dans leurs entrailles fumantes. Une très vieille histoire, semée d’ombres ne demandant qu’à être déchirées sous les coups de griffes et de crocs. Il est temps pour moi de partir en croisade, mais je ne le pourrais toute seule. Voilà aussi la raison de mon intérêt pour ta quête.

Si le projet de Borick ne consistait pas à envahir le Gotei, acte raisonnable car il ne s’agirait que d’une mission suicide, tenter de conquérir ce pourquoi ils se battent avec acharnement permettrait d’isoler quelques pions en vue d’un interrogatoire musclé et peut-être de recueillir des informations primordiales dans sa recherche de la vérité. Nul rêve ni cauchemar n’est anodin. Ses souvenirs, son passé encore frais lui apportent une poignée d’indices, bien que la plupart soient de source obscure et improbable. Mais ce blason, cette épée, ce nom qui sans cesse lui revient. Aoi. Et puis, comme elle le confessait au jeune homme certains individus sujets à une vendetta mériteraient qu’on leur découvre un nom. Pour les traquer, et leur faire payer.

- Ton offre est alléchante, les risques tout autant. Aux dernières nouvelles le Kanshu n’est plus que cendres, et leurs généraux sont désormais sous la protection du Gotei. Je me dois d’en retrouver quelques-uns, à des fins personnelles et non cordiales. Si je t’aide, la réciproque s’imposera d’elle-même. Mais garde bien à l’esprit que je vante d’aucune allégeance. Aucune. Je vais où me guident mes sens, rien de plus.

Encore sous le choc de ses dernières visions apocalyptiques Daestra se mit à creuser l’écart avec le blondinet, s’affaissant davantage au creux de son nid. Stup et Flip, conscientes de son statut vinrent tout naturellement se lover sous ses bras protecteurs. Les deux dernières ne bougèrent pas d’un cil, fidèles à leur rôle de gardiennes. Ce faisant, la matriarche s’arma d’un tout nouveau sourire. Pour la première fois depuis une éternité, elle daignait accorder sa confiance à un être souillé du même mal que le sien. Un être aussi intelligent et fourbe, quoique légèrement mégalo sur les bords. Cela lui plaisait, réellement. Et pour la première fois depuis l’aube de leur rencontre, elle affichait une expression sincère. Son visage, habituellement si théâtral se fissura littéralement. Les multiples fragments glissèrent au hasard des courbes qu’ils rencontraient pendant leur chute, et l’aveugle devint borgne. Un phare d’ambre crevant les ténèbres de la tanière.

- Bas les masques. Je suis tienne à compter de cet instant, et jusqu’au jour où j’en aurais décidé autrement. Par la présente tu deviens mon Brasier dans la Nuit, éclaire-moi.