Le quotidien, aussi connu sous le nom de tueur d'humeur, car s'il y a bien une chose que je déteste vivre c'est l'ennui. Ce sentiment que l'on ressent lorsqu'on rentre inconsciemment dans un train-train non désiré, celui qui nous rend dépressif et pessimiste, avec comme seul espoir que quelque chose de divertissant apparaisse sous notre nez, qui nous tire de ce genre de moment, nous projetant vers l'inconnu et le nouveau... Ah lala, me revoilà a rêver dans mon coin alors que ma cigarette se consumer sur le bout de mes lèvres, installé sur mon bureau attitré alors qu'une pile de rapports traînait sous mes yeux. Un soupire, un seul, afin d'expirer toute cette fumée dans mes poumons avant de soulever un à un les rapports pour jauger le nombre. Tous les rapports de la 7ème Division à propos des rondes d'aujourd'hui étaient là, entre mes mains. Et oui, pour un Vice-capitaine le boulot n'est pas que sur le terrain, des fois il doit étudier chaque rapport afin de voir si des améliorations pouvaient être faites au fil des activités de la Division etc... Bref, un travail de lecture et d'analyse, un boulot sédentaire. Reprenant une bouffée de tabac sur ma cigarette, lunettes de lecture sur le bout du nez, je commençais à lire un à un les rapports d'aujourd'hui, en lisant avant tous ceux des territoires les plus éloignés afin de voir si tout va bien. On ne le dira jamais assez, mais plus les districts du Rukongai sont proches du Seireitei, plus ils sont en sécurité, mais ce n'est pas une raison pour délaisser les plus éloignés...

▬ « Blablabla... Tout en ordre blabla... Situation stable... » Bon, au moins il n'y a rien de neuf ces temps-ci, tant mieux...
▬ Vice-capitaine Tokishi ? De nouveaux rapports viennent d'arriver.

Un regard sur le côté et je pouvais apercevoir un fier membre de la 7ème se dresser au pas de ma porte. Bon sang, cela ne finira donc jamais, pensais-je en jetant un oeil sur les quelques documents qu'il tenait en main. Fumant une nouvelle bouffée sur ma cigarette, la cendre prête à tomber au moindre mouvement brusque, je tendais ma main en direction du soldat, les yeux toujours rivés sur les papiers sous mes yeux.

▬ Merci, veuillez me les passer.
▬ Mais... Votre bras !

Un regard en direction de mon propre bras tendu, et je pouvais déjà commencer à écarquiller les yeux, de surprise. Un liquide pourpre coulait le long de mon avant-bras, tombant sur le plancher sur lequel reposait mes pieds, avant que je ne me lève immédiatement en faisant tomber ma cigarette sur le bureau. Repassant la manche longue de mon kimono sur mon bras, le ramenant contre mon corps afin d'éviter que mon sang ne tombe sur le sol, je soupirais en sachant parfaitement d'où cela pouvait provenir... J'ai simplement dû oublier de me ménager ces derniers temps, ce qui a fait remonter de vieilles cicatrices. Un regard amical accompagné d'un sourire gêné, j'annonçais à mon compagnon :

▬ Ne vous inquiétez pas, j'ai dû me couper sans le remarquer à l'entraînement ce matin. Je prends congé pour cette après-midi.

Je ne le laissais pas répondre à cette annonce alors que mon regard se renforçait, marchant dans sa direction avant de passer à côté de lui. Une nouvelle visite à la 4ème devait se faire, arf... Quand on a pas le choix.

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Bon, me voilà enfin dans la 4ème Division, dans l'un de leur bâtiment, enfin celui où l'on m'a toujours dit d'aller pour ce genre de situation. Evitant de trop forcer sur mon bras saignant, j'avançais vers l'accueil pour m'entretenir avec la personne derrière le comptoir.

▬ Excusez-moi, Tokishi Sada de la 7ème Division, je viens poursuivre mon traitement en cours.
▬ Hmm... Vous avez un numéro précis ?
▬ Le 365 B49.

Elle ne pris pas la peine de relever ses yeux durant la discussion, se contentant au final de pointer une direction avec le numéro d'une porte comme simple réponse. J'évitais de souffler une nouvelle fois, après tout je n'ai pas souvent eu pour écho la sympathie des membres de la 4ème, qui étaient plutôt cadres comme personnes. Soit. J'avançais en direction du couloir indiqué, regardant à droite et à gauche pour chercher le numéro correspondant à ma salle de traitement. Ah la voilà, la 51. J'ouvrais tranquillement la porte en refermant derrière moi, me dirigeant vers le placard où était rangé diverses serviettes. Je pris une avant de redresser mes manches et de m'asseoir sur le seul lit disponible, posant le tissu sur mes genoux et mes bras couverts d'entailles dessus. De vieilles cicatrices qui s'ouvrent, encore une fois... Cela fait presque un siècle que ce traitement dure, quand est-ce que je vais arrêter de saigner après de trop gros effort sur mes bras ? Avec le temps j'ai finis par m'habituer à la douleur quand cela arrive, mais je ne suis pas sûr que mes bras pourront rester fonctionnels si je me mettais à utiliser la totalité de mes pouvoirs... Je me demandais cependant qui viendrait, probablement la fille qui s'occupait de moi avant que mon traitement soit suspendu, elle était gentille... Ah, la porte s'ouvre, quelqu'un entre.

La perle rouge glissa sur le chemin pâle, vers la chute. Son sillage tracé au derrière d’elle, d’océans pourpres et de ruisseaux sanguins, luisait de vies à l’abandon. La perle rouge était faite d’univers, sur le déclin à présent, dont les empires et les civilisations s’effondraient tour à tour, emportés par l’élan toujours plus vif vers le néant. Enfin vint le vide, et la perle tomba en direction d’une terre qu’elle souillerait pour jamais.

« Vous salissez mon carrelage, Lieutenant, dit la jeune femme en quittant des yeux la tache sanglante sur l’immaculé du sol.

Elle se tenait sur le seuil, dossiers en main, la stature figée, l’air absent. D’un geste vif, elle referma la porte dans son dos et s’avança vers l’homme, impassible. Asuna ne voulait pas être là, à jouer les infirmières. Toutefois, l’élément Tokishi, en tant que soldat de valeur, pouvait espérer un traitement spécial à l’aune de son rang : là où le Shinigami du bas de l’échelle recevait les soins sans urgence véritable, les plus hauts gradés se voyaient attribuer l’élite pour être traités promptement, et retourner ainsi à leurs fonctions capitales pour le Goteï 13. Bien qu’étant à l’origine de ce protocole officieux au sein de la Quatrième, la Capitaine devait s’admettre que remplir ces charges supplémentaires ne généraient pas un trop grand élan d’enthousiasme. Hélas, tant qu’Asuna ne se serait pas trouvée un lieutenant compétent pour la seconder pour l'épauler dans toutes ces offices pénibles à remplir, il lui faudrait bon gré mal gré les assurer seule, car l'élite, c'était elle.

« Je suis la Capitaine Kuragari Asuna, enchantée. On m’a fait part de vos soucis.

Rapidement, elle réunit un plateau de fer, différents outils, du coton, et s’assit face au lit sur un tabouret, son attirail à portée de main. Elle scruta l’état des bras de son patient, sans sourciller face à l’aspect impressionnant des blessures. Avec une délicatesse héritée de l’habitude, elle appliqua sur ces dernières un coton imbibé d’alcool sans prêter attention aux potentiels cris de douleur du lieutenant.

- Je dois désinfecter la plaie avant de refermer cela. La blessure est profonde. À quoi est-elle due, exactement ? »

▬ Vous salissez mon carrelage, Lieutenant.

La personne qui venait d'entrer était une femme que je ne connaissais pas. Ses yeux posés sur mon sang ayant coulé sur le pauvre carrelage sali, elle avait entre ses doigts divers dossiers, probablement des fiches en rapport avec son travail. Ses cheveux d'un blond que je pouvais qualifier de platine, dû à sa blancheur annoncée, tandis que son regard se tournait vers moi après la brusque fermeture de la porte, cette dernière ayant probablement sentie passer la main de la dame. En espérant quand même que je n'aurais pas à la sentir avec autant d'entrain dans l'heure qui suivra, on ne sait jamais si je sortais une blague de mauvais goût à son encontre...

▬ Euhm... Bonjour ?

La première chose qui me venait pour répondre à l'injuste accusation de la dame qui avait fait vite le rapport entre le sang sur la victime – le carrelage – et mes blessures aux bras. Je suis innocent, ça se voit ! Non ?... Bon, blague mise à part, je ne détachais pas mon regard de la femme qui semblait au service de la 4ème Division de l'armée shinigami, bien qu'elle me donnait l'impression d'être différente des autres... Dans le sens où on dirait presque qu'elle était la...

▬ Je suis la Capitaine Kuragari Asuna, enchantée. On m’a fait part de vos soucis.

Oh... Bon, c'est clair : je suis définitivement aveugle et pas malin pour le coup. Depuis le début, au moment où elle était entrée, j'avais un aperçu sur sa veste blanche désignant qu'elle était graciée Capitaine de la Division, mais tête en l'air que je suis je ne l'avais même pas remarqué. Je soupirais intérieurement en baissant les yeux sur mes bras, laissant se refléter sur mes pupilles azurées le liquide rouge qui s'échappait par-ci et là de mes deux membres supérieurs. Je voyais ensuite la Capitaine approcher une sorte de plateau, sur lequel bougeais divers outils - certains dont je ne pouvais imaginer la manière et la situation où ils pouvaient être utilisés - alors que la dame s'installait face à moi, sur un tabouret. Je remarquais bien à quel point elle ne se laissait pas berner par la vision que pouvait laisser l'état de mes bras, et elle avait bien raison : ce n'est que trois-fois rien si vous voulez mon avis. Il n'empêche que cela restait plutôt énervant de voir de temps en temps de vielles blessures resurgir, même après autant d'années. Je relevais la tête sur celle en face de moi en ignorant les divers picotements sur mes plaies, j'avais déjà enduré bien plus et je n'étais pas du genre à me soumettre face à de si petites douleurs. Elle m'expliquait le pourquoi elle appliquait du désinfectant. La regardant s'appliquer, j'haussais légèrement les épaules, esquissant un mince sourire qui n'était destiné qu'à moi-même.

▬ Bof, rien qui ne sort d'habitude... Prenait des griffes tranchantes et des crocs acérées de Hollow, mélangeait le tout et multipliait-le par un nombre x, et vous obtenez ça.

Disais-je en faisant mine de montrer mes bras, ouvrant même les paumes de mes mains pour insister. De mon côté, je ne voyais pas l'utilité de ressortir de vieux dossiers pour qu'une personne appartenant à l'élite de la médecine puisse recoudre mes blessures, chose qu'on ne me fit pas à l'époque puisque je ne faisais pas partie de l'ordre des priorités des médecins, grade trop petit j'imagine.

Asuna observa avec circonspection les blessures que découvrait le Lieutenant. Ses yeux froids scrutèrent avec une pleine attention les lèvres et béances des plaies, analysant la moindre déchirure, le moindre entrelacement de chair torturée, et en déduisit les informations qui s’imposaient. La jeune femme releva la tête avant de dévisager roidement son vis-à-vis.

« Je ne suis pas certaine de comprendre, Lieutenant. Il n’y a pas d’énergie résiduelle d’Hollow présente dans vos lésions. Faut-il que je répète ma question ? »

Son ton avait été tranchant, prononcé sans émotion, quoiqu’il fût possible d’y sentir une certaine forme d’impatience. Sans pour autant se retrouver dans un état avancé de contrariée, crée par l’infertilité des renseignements donnés par son patient, la Capitaine souhaitait signifier à ce dernier que son temps était précieux, qu’elle avait d’autres affaires à traiter que ce genre de palabres.
Elle se leva, traîna son charriot jusqu’à l’autre bout de la pièce, s’approcha d’un évier pour s’y rincer les mains, pour finalement appliquer sur ces dernières une lotion purifiante. Elle revint vers l’homme avec la pesanteur d’un monolithe de glace. Asuna scruta une dernière fois les traits de Sada à la recherche d’un quelconque témoignage de sa reddition.

« De vieilles cicatrices, je présume. Je souhaite simplement savoir ce qui en a causé le réouverture, rien de plus. Passons. »

Sur ces derniers mots, la jeune femme pinça la plaie du bras droit, à l’intérieur du coude, et scella les lèvres de l’incision entre son pouce et son majeur. La peau se souda à elle-même, de telle sorte qu’en remontant vers le poignet, on eût pu croire qu’Asuna refermait la blessure à la manière d’une braguette de vêtement. Dans le sillage de son geste, il ne resta plus que la chair enflée, mais saine, barbouillée d’un sang qui ne s’épanchait plus. La Capitaine opéra le même geste sur l’autre bras. Une fois l’opération finie, la Shinigami s’écarta, les doigts collés par le carmin.

« Évitez tout geste brusque. Les plaies risqueraient de se rouvrir. Évitez également d’affronter une centaine d’Hollows, la prochaine fois. »

Une dernière remarque qui passa presque pour de l’humour.

Je me laissais étudier par la dame de la 4ème division, avant de croiser son regard alors qu'elle avançait une importante incohérence entre ce que disent mes lèvres et mes blessures. Tout en haussant un sourcil, j'esquissais un léger sourire en étant intéressé par son verdict, quand je pense que je venais enfin de rencontrer quelqu'un de cette division qui ne s'arrêtait pas à de « simples » blessures dues aux attaques de Hollows. Je ne montrais aucun signe pouvant montrer que j'étais intimidé par le ton que prenait la Capitaine sur mon compte, puisque je ne l'étais pas après tout. J'étais même rassuré de voir enfin quelqu'un qui ne se contenterait pas d'un tel scénario simpliste qu'un enfant pourrait inventer. Non, cette Kuragari Asuna était intelligente. Après qu'elle ait écarté le chariot en fer puis qu'elle se soit lavée les mains, elle croisait de nouveau mon regard, elle attendait une réelle réponse de ma part, bien que je restais silencieux, analysant les moindres faits et gestes de la Capitaine durant ces quelques moments. Difficiles de trouver des ouvertures dans ses paroles, bien que derrière ce ton lassé je pouvais espérer y trouver un peu de sincérité. En tout cas, elle était déterminée à me soigner, je sentis bien ses doigts passer sur mes plaies alors que j'avais l'impression qu'on me plantait un pic de douleur, assez fort pour laisser échapper un rictus.

La blessure se refermait à vue d'oeil, alors qu'elle effectuait les mêmes soins sur le second bras, avant de se retirer, les doigts recouverts une nouvelle fois de mon sang. J'observais l'état de mes membres, voyant simplement que les blessures s'étaient refermées. Je souriais en laissant même échapper un léger rire suite à la remarque d'Asuna, regardant dans sa direction en laissant mes lèvres s'entre-ouvrir pour transmettre ma voix.

▬ Des centaines de Hollows ? Vous m'auriez dit cela il y a quelques mois je vous aurai répondu que c'était le métier qui voulait ça, comme le jour où j'ai reçu ces blessures.

Me pinçant les lèvres, je me suis finalement décidé à en parler, après tout elle semblait honnête et méritée de savoir ce qu'elle soignait, on ne sait jamais si elle pourrait être confrontée à cela un jour.

▬ Une membre de mon équipe était cernée par un groupe d'Hollows avancés, j'étais le seul qui pouvait venir l'aider puisque tout le groupe était séparé. J'ai vite compris que je ne pouvais pas la sortir de là si je n'allais pas au-delà de mes limites avec mon Zanpakuto. J'ai réussi à la sortir de là, mais mes bras n'ont pas supportés, et des Hollows ont profité de ce moment de faiblesse pour frapper.

Je serrais le poing droit, sentant une vieille colère se réveiller petit à petit, une colère qui n'était dirigée vers personne, en tout cas c'est ce que je voulais me laisser croire. Je regardais Asuna avec cette même colère dans le regard.

▬ Dîtes-moi, Capitaine. Pourquoi ? Pourquoi, alors que j'étais profondément blessés, on me refusa les quelques examens afin de me soigner à l'époque où j'étais un simple soldat ? J'étais inutile à l'époque ?

« Certainement parce que vous étiez un simple soldat, tout simplement. »

Asuna le fixa lui et sa fureur, sans ciller, sans regret, sans rien. Elle avait éprouvé une pointe de surprise à l’entendre soudainement hausser le ton alors que quelques minutes auparavant, il racontait son histoire, presque heureux de le faire. Et la raideur avait gagné son visage, sa voix, et ses mots s’étaient gorgés de rancœur.

« Je n’étais probablement pas à la tête de cette division lorsque vous avez été blessé. Cependant, j’aurais agi de même. »

La jeune femme ne s’attachait pas à compatir à sa douleur, elle en était bien incapable. Elle-même avait reçu son lot de cicatrices, sans pour autant ressentir le besoin de s’attarder sur le pourquoi. Le « parce que » lui suffisait amplement, car il caractérisait toute l’absurdité de leur existence : les Shinigamis se battaient, se blessaient, mourraient, tout ceci pour une cause floue et insensée, et c’était tout. Simplement tout. Il n’y avait là-dedans rien à expliquer de plus que l’ordre des choses.

« Vous étiez soldat, et d’autres plus gradés nécessitaient des soins plus urgents, ou plus réguliers, ou je ne sais quoi d’autres. Actuellement, vous êtes ici, avec moi, quand des soldats s’entassent dans des brancards en attendant que mon personnel surchargé vienne les examiner. Parce que vous êtes lieutenant, et eux sont de moindre importance. »

Asuna repartit à son robinet et il ne lui fallut que quelques secondes pour ôter le sang poisseux de ses doigts. Elle revint vers son hôte en se frottant les mains dans une serviette immaculée. Elle l’observa à nouveau de son expression dépourvue d’affect, et inclina la tête légèrement de coté, comme examinant un objet de curiosité inattendue.

« Pensiez-vous que chacun était traité avec équité, sans étiquette ? Le Goteï Treize est une organisation militaire qui préconise l’efficacité. Sur le court terme, soigner les officiers est plus rentable que se consacrer corps et âme au rétablissement de sans-sièges. N’allez cependant pas supposer que ceux-ci sont laissés à l’abandon. Ils sont soignés. Mais ils sont qualifiés de basse priorité. Tandis que vous, tant que vous aurez votre brassard, vous serez assuré de recevoir le mieux et l’immédiat. »

Elle jeta négligemment la serviette dans l’une des poubelles.

« On ne fait pas la guerre avec de bons sentiments, Lieutenant Tokishi. »

▬ J'apprécie votre honnêteté, sincèrement.

J'avais suivis du regard la demoiselle aux cheveux argentés, ne faisant pas l'erreur de la couper dans son élan, privilégiant l'écoute. Après tout je lui ai posé une question, et elle ne m'a pas perturbé durant mon monologue, donc c'était la moindre des choses de se taire et de comprendre... Oui, comprendre. Elle m'expliquait ce dont j'avais fini par comprendre au fil du temps par le passé. Cela me rappelait une très vieille conversation avec ma défunte femme, où nous nous racontions tout type de scénario où la logique et la réalité étaient en perpétuelle conflit. Le meilleur exemple que j'ai en tête et qui se rapproche de ma situation, c'est celle du docteur et du maire, où un brillant docteur est mis à l'épreuve entre : sauver un enfant et sauver le maire. Bien entendu, le temps que prendrait l'opération pour l'un serait fatal pour l'autre. D'un point de vue logique, il serait naturel de sauver l'enfant car même si le maire est le dirigeant d'une communauté et qu'il ait son lot de responsabilité, un enfant est un être qui va grandir, avoir sa famille etc... Mais d'un point de vue réaliste, sauver le maire de la ville serait bénéfique à la réputation de l'hôpital et du docteur, le rendant ainsi populaire et privilégié, tout en laissant de côté la mort de ce pauvre enfant inconnu. Enfin, je me faisais soigner par la Capitaine ici présent parce que j'avais un brassard autour du bras, et même si ça me désolait d'être ainsi face à la réalité, je ne pouvais que baisser les yeux face à cette évidence. Lorsque l'efficacité prime sur la logique, il est naturel de soigner les soldats capablent de retourner une situation, et de les maintenir au meilleur de leur forme.

▬ Mes bons sentiments, je les garde pour ceux que je chéris et que je souhaite protéger, donc ne vous inquiétez pas, je ne suis absolument comme ça face à l'ennemi. C'est juste que... Au bout d'un moment, on souhaite poser ces questions, même si on connaît déjà la réponse. Cela ne vous est jamais arrivé ?

Je n'avais plus besoin d'exprimer cette colère et cette rancune si dépassée par le temps, finalement. Je reprenais mon sourire fin habituel en adressant un rendant entendu à Asuna, posant mes coudes sur mes genoux et en joignant mes mains entre elles. Ma mauvaise humeur s'étant éloignée à présent, ma curiosité habituelle reprenait le dessus dans mon esprit, me forçant presque à vouloir en savoir plus sur la dame en face de moi.

▬ Excusez-moi cette soudaine question, mais pourquoi avoir rejoint le Gotei 13 ? Si vous n'étiez pas Capitaine à l'époque, c'est que vous avez très vite grimpé les échelons. Je suis curieux à votre égard.

L’humeur du lieutenant s’adoucissait à vue d’œil, visiblement assagie par les quelques mots prononcés par la Capitaine. Une réaction appréciable, preuve de raison, et ce malgré qu’il s’était enflammé quelques minutes auparavant. Asuna soutint son regard rendu au calme, et se garda bien de montrer ce qu’elle en pensait.

« Non. Je ne me pose pas de questions dont j’ai déjà la réponse. Perte de temps. »

Elle n’avait plus de patients urgents à voir, du moins pendant encore une dizaine de minutes, avant que d’autres arrivent, tout en cris et en maux. Si Tokishi Sada ne lui apparaissait d’aucun intérêt (comme une grande partie de ses semblables), discuter avec un des hauts gradés d’une autre Division pouvait représenter un bon calcul, tout comme stimuler la curiosité de son interlocuteur, et lui faire entrapercevoir quelques détails vrais pour le laisser peindre ensuite, de lui-même, un tableau infiniment chimérique. Elle vint se rasseoir face à au Lieutenant pour demeurer juchée sur son tabouret, inébranlable et lointaine.

« Vite ? Je ne sais pas. »

Unique sincérité qu’elle s’accorderait. Son parcours n’était à ses yeux qu’un regroupement de hasards, de circonstances favorables et de choix plus ou moins forcés. Elle était suffisamment lucide pour connaître ses compétences, mais devait-elle se juger comme un modèle à suivre ? Sans doute pas.

« J’ai rejoint le Goteï par nécessité, il y a longtemps. Le manque de contrôle ronge. J’en ai fait mes frais. Après, je suis restée. La vie y est plus confortable qu’en dehors. Non ? »

Une question qui n’appelait pas de vraiment de réponse. Le Rukongaï possédait quelques quartiers douillets, l’ensemble ne composait cependant qu’un vaste champ de pauvreté sordide. Un enfer qui, une fois quitté, ne donnait plus l’envie d’y remettre les pieds.

« Sauver des vies a quelque chose de plus enthousiasmant que de mourir la gueule ouverte, et personne pour s’en soucier. »

Ses paupières mi-closes, sa bouille figée, son regard éteint, Asuna n’était pas femme à laisser sa douleur se calquer sur son visage.

« Et vous, quelles sont vos raisons ? »